Ils avaient beau s’y attendre, le choc a été rude ! Dans les états-majors européens des constructeurs de poids lourds, condamnés en juillet dernier pour « entente sur les prix de vente » de véhicules routiers, l’heure est à la mobilisation, chez MAN, Daimler, Daf, Iveco et Volvo-Renault Trucks, secoués par l’amende de 2,9 Md € infligée par la Commission européenne. Selon l’estimation de la pointilleuse commissaire européenne en charge de la concurrence, Margrethe Vestager, l’entente illicite entre les six motoristes aurait concerné plus de 7,5 millions de véhicules de + 5 tonnes (achetés ou loués), sur une période de 14 ans, entre 1997 et 2011. Pour les constructeurs européens, la procédure d’infraction cache une double peine. La première, avec les autorités de Bruxelles, les oblige à aller sur le terrain de la transaction, afin de minimiser le montant des amendes (par le biais de possibles ristournes). Cette défense, qui leur coûtera cher en frais d’avocats, se fera dans un cadre bien connu. La deuxième lame s’annonce beaucoup plus aléatoire, plus complexe, car elle touche au commerce et aux clients. Au plan des affaires, l’impact de ce coup de canif dans les règles de la concurrence commence à se faire entendre, que cette voix soit portée par des avocats spécialistes du droit de la concurrence (flairant la bonne affaire), des groupements (ayant mandat pour initier des actions en justice en nom collectif) ou des entreprises de transport (s’estimant lésées à titre individuel). Comment aborder le litige ? Vers quelle juridiction se tourner, ou en France, auprès des tribunaux de commerce, ou à l’étranger ? Comment acter le préjudice et, surtout, sur quels fondements l’évaluer entre 1997 et 2011 ? Et quid des concessionnaires et réseaux de distribution, placés entre les transporteurs et constructeurs ? Laisser aux seuls juristes le soin d’ester en justice est risqué si la dimension commerciale, dans toute sa multitude, n’est pas prise en compte. Chaque transaction et accord financier entre une marque et un transporteur est unique, et tient de la poupée gigogne. La relation d’affaires ne se limite pas à l’achat simple du véhicule. Les garanties, valeur de revente, stocks de pièces consignées, équipements des ateliers intégrés, formations des conducteurs, contrats de services… sont autant d’éléments qui soudent les deux parties. Les enjeux commerciaux sont réels, que personne ne peut ignorer. Seule certitude : il faudra du temps au temps pour démêler l’écheveau de l’indemnisation, au poids bien pesé du préjudice passé et sans plomber le futur.
Éditorial