Une fois n’est pas coutume, un congrès s’est ouvert… par les discours de clôture. Celui du secrétaire d’État aux transports venu apporter la « bonne parole » des pouvoirs publics. Celui d’une présidente d’organisation patronale mandatée pour interpeller ce même ministre sur les sujets qui préoccupent ses adhérents et, au-delà, la profession du transport routier de marchandises. Alain Vidalies avait en effet modifié son agenda du week-end, ceci expliquant cela.
L’OTRE et le ministre cultivent une relative proximité sur quelques dossiers, comme a tenu à le rappeler, non sans une légère touche de câlinothérapie, Alain Vidalies à la tribune du congrès : « Vous êtes pour les pouvoirs publics un interlocuteur précieux et incontournable. J’en veux pour preuve le travail que nous avons mené conjointement lors de la consultation publique de la Commission européenne sur l’évolution des règlements européens relatifs à l’accès à la profession et au marché du transport routier. Je souhaite que nous adoptions la même démarche pour répondre à la consultation en cours sur le renforcement de la législation sociale dans le secteur du transport routier ». Difficile à la tribune d’un congrès de transporteurs — 299 Otristes recensés pour cette 16e édition — d’évacuer les sujets relatifs au très sensible dossier de la concurrence exercée par les anciennes républiques d’Europe de l’Est. La question, brûlante, du dumping social figure en bonne place dans les préoccupations du gouvernement. C’est ce qu’est venu rappeler le secrétaire d’État aux Transports que beaucoup, parmi les congressistes, considèrent comme un interlocuteur « à l’écoute et qui porte la voix du TRM ». Alain Vidalies s’est joint, fin septembre, à une initiative commune visant à « défendre une certaine idée de l’Europe », sous la forme d’une lettre remise à Violeta Bulc, la commissaire européenne en charge des Transports. Cette initiative commune rassemblait, outre la France, l’Allemagne, l’Autriche, la Belgique, le Danemark, l’Italie, le Luxembourg et la Norvège. « Ce combat, cette mobilisation dans la lutte contre la concurrence déloyale, est le premier sur lequel nous nous mobilisons […]. Notre mobilisation nationale est aussi relayée sur l’ensemble du territoire par les alertes de nos syndicats locaux qui ont tous rencontré les préfets pour les alerter sur les mesures à prendre contre ces pratiques destructrices économiquement mais, surtout, socialement. Il reste beaucoup à faire mais nous avons été, je crois pouvoir le dire, entendus », a déclaré Aline Mesplès, présidente de l’OTRE.
Moment fort du congrès, le secrétaire d’État aux Transports a tenu à déclarer son identité de vue avec son homologue allemand, Alexander Dobrindt. France et Allemagne sont décidées à s’entendre sur la nécessité de s’opposer à « toute initiative nouvelle en matière de libéralisation tant que des mesures préalables de lutte contre le dumping social, dans le secteur, ne sont pas mises en œuvre ». Ainsi, les deux pays, a assuré Alain Vidalies, sont-ils déterminés à indiquer, lors du Conseil du 1er décembre, que « nous n’accepterons pas de rentrer dans les travaux sur le paquet routier tant qu’on n’aura pas réglé le débat sur le dumping social. Ce sera une position très forte ».
Dans ce que le secrétaire d’État aux Transports qualifie lui-même de « « far-west » de la libre concurrence », l’efficacité de la politique de contrôle demeure une question centrale. Les annonces sur le renforcement des moyens mis en œuvre par le gouvernement n’ont pas manqué ces derniers mois. C’est un euphémisme : Alain Vidalies ne possède pas les moyens matériels et financiers nécessaires à l’efficacité de cette politique. Il s’est rendu, en tout cas, à Tours pour affirmer que « le maintien des effectifs de contrôleurs des transports terrestres, dans un contexte général de contrainte de la dépense publique, est une de mes priorités ». Les contrôles sur les lieux de chargement et déchargement sont ainsi devenus plus fréquents. Alain Vidalies s’est engagé à poursuivre leur intensification et à « engager avec les Dreal une démarche de rationalisation et d’harmonisation des modes opératoires ». Il s’est déclaré « convaincu de l’intérêt d’une Agence européenne pour le transport routier, qui est la seule réponse possible pour s’assurer que tous les États respectent bien les règles ».
Alines Mesplès a répondu au ministre que « les plans régionaux sont, pour certains, restés à l’état d’ambition », tout en faisant référence dans le même temps aux propositions qui ont été formulées récemment par le comité d’évaluation des politiques de contrôles. « Vous devez maintenant trancher, rapidement », a assené la présidente de l’OTRE à la tribune du congrès. Et de proposer plusieurs pistes de travail au ministre : mise en place d’un vrai corps de contrôle sur les routes, élargissement du chronotachygraphe aux VUL et renforcement des sanctions administratives au niveau régional.
Autre sujet épineux, le financement des infrastructures. Alain Vidalies a indiqué que le budget de l’AFITF (Agence de financement des infrastructures de transport de France) devrait atteindre les 2,2 Md€ en 2017, en augmentation de 20 %. « Mais une telle augmentation ne permettra pas de financer les engagements passés et actuels de l’État pour les années à venir. Par contre, l’affectation totale de la fiscalité qui devrait être dédiée à l’AFITF permettrait de répondre à cette exigence », a tenu à souligner le ministre. Aline Mesplès a, de son côté, rappelé que « les 4 centimes sur le carburant n’ont fait que creuser les écarts de compétitivité entre nos entreprises et les entreprises étrangères sans résoudre la problématique du financement des infrastructures ».
Faisant référence aux contrôles tatillons exercés par les Urssaf (pour le CFA) sur un certain nombre d’entreprises hexagonales, Alain Vidalies a annoncé l’engagement de l’État afin que le dialogue social se déroule « sereinement » entre les partenaires de la filière.
La présidente de l’OTRE s’en est prise aux élus locaux et nationaux qui diabolisent, selon elle, le diesel au format Euro 6, « aux faibles émissions de CO2 ». Le secrétaire d’État aux Transports a précisé que la France s’apprête à « présenter à l’Union européenne un cadre d’action national relatif aux infrastructures pour carburants alternatifs, présentant notamment les objectifs nationaux en matière de points de ravitaillement en gaz naturel. Un appel à projets a aussi été lancé dans le cadre du Programme d’investissements d’avenir ».
Alain Vidalies a conclu son intervention à la tribune du congrès de l’OTRE par le programme France Logistique 2025 qu’il a impulsé lors du dernier SITL. « Le travail collaboratif va se poursuivre pour la mise en œuvre et le suivi de la stratégie nationale dans le cadre d’une instance de concertation », a déclaré le secrétaire d’État aux Transports, devant un Gilles Mathelié-Guinlet, le délégué général de l’OTRE, très à l’écoute de toutes ces annonces dont on ignore si elles passeront — en même temps que le ministre et d’autres — le cap de la prochaine élection présidentielle. Et devant une salle qui, un peu plus tard dans la journée, à l’initiative de Pierre Garonne, rendra un vibrant hommage à Jean-Pierre Morlin, le premier président de l’OTRE (en 2000) disparu cet été.
Autre sujet poil à gratter entre transporteurs et pouvoirs publics : l’article L 121-6 de la loi baptisée “Justice du 21e siècle” votée à l’Assemblée nationale, le 12 octobre dernier. Elle impose l’obligation au dirigeant d’entreprise de signaler les salariés auteurs d’infractions routières avec un véhicule d’entreprise (650 € d’amende si le dirigeant refuse de soumettre à cette obligation). « Il est inacceptable que nous soyons agents de l’État », a indiqué Aline Mesplès. Une autre mesure de cette loi doit permettre au transporteur d’avoir accès à l’état de validité du permis de conduire de ses salariés.
S. B.