Les 35 heures : un passage difficile pour les transporteurs

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Selon les chiffres avancés par le Medef, fin septembre, 90 % des entreprises qui emploient moins de 50 salariés en sont restées au statu quo et n'ont entrepris aucune démarche pour appliquer la Loi Aubry visant à ramener à 35 heures la durée hebdomadaire du travail. 3,6 % des entreprises auraient ouvert des négociations alors que 6,6% seraient parvenues à la signature d'un accord.

Et dans le secteur des transports, combien sont-elles? « Nous n'avons pas d'indications précises », reconnaît Brigitte Couly, responsable des questions sociales à la Fédération des entreprises de Transport et Logistique de France, et les demandes de renseignements dont est saisi le siège de TLF ne témoignent pas d'un élan enthousiaste. Même si un certain nombre d'entreprises, notamment celles qui n'emploient pas de conducteurs grands routiers (messagerie, principalement) ou qui fonctionnent par systèmes de relais, appliquent la Loi Aubry dans sa première version depuis plus d'un an, « si leur décision fut largement médiatisée, on ne peut pas parler de franc succès », souligne Brigitte Couly. « Néanmoins, poursuit-elle, il est indéniable que, depuis 5 ans, des efforts considérables ont été faits. La tendance vers une réduction du temps de travail des conducteurs est maintenant incontestable ».

Même sentiment à l'Unostra où Christian Rose estime « qu'il faudra un minimum d'un an pour disposer d'indications chiffrées. En revanche, nous avons fait une étude d'impact du passage aux 35 heures chez les chargeurs auprés de nos adhérents. Le constat est très simple, explique-t-il: elles ont réduit la durée du travail et n'ont pas embauché, ce qui a eu pour effet de concentrer la période de livraison sur quatre jours au lieu de 5 et d'allonger les temps d'attente... »

Voilà sûrement qui va arranger les affaires des transporteurs routiers pour qui la durée du travail a toujours été un problème endémique.

Des efforts que l'on ne peut nier

Dans son rapport sur l'évolution sociale du secteur publié en 1998 et se référant à une enquête de la Sofres, le Conseil National des Transports notait que la durée de travail des conducteurs routiers atteignait 56,3 heures alors qu'elle n'éxcédait généralement pas la durée légale de 39 heures dans les autres secteurs.

Une moyenne. Et une nette amélioration, déjà, par rapport aux abus mis en lumière par les syndicats de salariés, relayés par les médias, à l'occasion d'accidents dramatiques impliquant des poids lourds et que la profession toute entière s'est empressée de dénoncer parce ce que ces dépassements outranciers « mettaient en jeu la sécurité, l'honorabilité de la profession et faussaient les règles élémentaires de la concurrence ». Les organisations professionnelles appelèrent leurs adhérents à l'autodiscipline et la diminution du temps de travail fut inscrite dans le contrat de progrés et suivie d'effets.

Les chiffres avancés par l'Observatoire Social du Transport en témoignent, même s'il prennent en compte la durée du temps de service et non seulement le temps de travail. En effet, « entre le premier et le second semestre 1999, le mouvement de baisse s'est poursuivi », note-t-il, le temps de service hebdomadaire des chauffeurs a atteint 55,2 heures en moyenne, soit près d'une heure de moins que l'année précédente sur la période de référence. » Et une baisse de 1,8 h pour les conducteurs qui réintègrent l'entreprise chaque soir.

On peut y voir, en partie, les effets de la Loi Aubry , mais, surtout, le résultat d'une démarche volontariste amorcée depuis 5 ans pour tendre progressivement vers les...39 heures. « Il y a eu télescopage avec la loi Aubry qui ramenait à 35 heures la durée légale du travail et la marche est devenue trop haute à franchir », explique un représentant patronal d'Aquitaine, actuellement en « délicatesse » avec son organisation professionnelle, pour justifier la colère de la profession qui a conduit les transporteurs à bloquer les frontières, début janvier.

Le mouvement de protestation ne s'est achevé qu'avec la publication du décret du 27 janvier 2000. Ce texte « relatif à la durée de travail dans les entreprises de transport routier de marchandises » comportait en effet un dispositif dérogatoire puisqu'il ne concernait « que les seuls personnels roulants (voir encadré) et, selon la Direction des Transports Terrestres, prenait en considération les particularismes de ce secteur d'activité ». Il s'appliquait à compter du 1er février « à toutes les entreprises de transport routier de marchandises y compris celles de 20 salariés et moins ».

Mais, en attendant, le processus de réduction du temps de travail avait été bloqué et il l'est resté jusqu'à fin juillet, date à laquelle a été publié le texte fixant le montant, les conditions à remplir et les procédures à suivre pour obtenir les aides d'accompagnement à la réduction du temps de travail prévues par le décret du 23 mars 2000 qui, lui-même, déterminait les obligations auxquelles étaient astreintes les entreprises.

Les demandes ont repris en septembre

C'est maintenant que la réduction du temps de travail revient à l'ordre du jour et s'affiche comme une véritable préoccupation comme le confirme Jacques Perret à la sous-direction du travail et des affaires sociales de la Direction des Transports Terrestres où, « depuis septembre, une relance sensible du dossier a été enregistrée ». « Nous disposons maintenant de tous les éléments et les choses vont pouvoir commencer. Ce ne sera pas facile, annonce Christian Rose, le procédé est lourd et il se présente comme un véritable parcours du combattant pour les petites entreprises ».

Et pas seulement pour elles si l'on en croit Brigitte Couly. « Les conditions et les accés aux aides sont assez stricts », reconnaît- elle. « La réduction du temps de travail va demander aux entreprises des efforts d'adaptation énormes. Il sera très difficile de respecter les durées hebdomadaires de travail qui ont été fixées. Le système prévu ne pourra s'appliquer que dans des sociétés innovantes, qui ont une taille conséquente et parfaitement structurées ».

Et sur le terrain, outre que « le système des aides proposées paraît trop lourd et difficilement gérable », comme l'exprime Jean David, gérant de TFN, une entreprise spécialisée dans le transport frigorifique basée à Marquette, près de Lille, les transporteurs voient surgir d'autres difficultés.

« Je pense que la réduction du temps de travail doit être notre objectif et je m'y emploie, poursuit Jean David. Mais le problème est loin d'être simple. Tout d'abord, je ne trouve pas normal, dans une entreprise, de ramener le personnel sédentaire à 35 heures quand on ne peut pas réduire, simultanément, la durée de travail des conducteurs et c'est la raison pour laquelle j'ai différé ma décision.

Par ailleurs, une réduction du nombre d'heures travaillées correspond forcément à une baisse de recettes. Or je me refuse à toucher à la feuille de paie. Dans ces conditions, il me faut trouver des solutions qui permettraient de générer des gains de productivité pour compenser. Dans un premier temps, je vais tenter de dégager les conducteurs de toutes les tâches annexes qu'ils pouvaient effectuer, notamment sur les quais, lors d'opérations de chargement et de déchargement, pour qu'ils consacrent plus de temps à la conduite pendant les 192 heures qu'ils effectuent actuellement. Je vais également les décharger du lavage des véhicules pour le confier à des sédentaires. Je vais donc être obligé d'embaucher à cet effet, mais je constate que même pour cette catégorie de personnel, depuis l'an dernier et en raison des augmentations intervenues, la masse salariale a progressé de 10 % ».

La pénurie de chauffeurs incriminée

Car il est sans doute plus facile de recruter des manutentionnaires que des conducteurs... En effet, pour Pierre Le Cloarec, responsable d'une entreprise de ramassage de volailles dans le Gers, « la pénurie de chauffeurs bloque complètement le système. Je dispose actuellement de 7 chauffeurs pour 9 camions. Même les cadres ont repris la route », explique-t-il. « Si je ne peux pas envisager de réduire la durée du travail, pour le moment, c'est parce que je suis dans l'incapacité de trouver du personnel roulant. Compte tenu de nos activités, il me faudrait 13 chauffeurs pour passer à 35 heures et 8 que je pourrais embaucher immédiatement pour répondre à un nouveau contrat ».

« L'insuffisance de conducteurs sur le marché du travail est effectivement un frein important à la réduction du temps de travail, convient Brigitte Couly ». Et pour beaucoup de transporteurs, les 35 heures seraient même « un facteur aggravant de pénurie ». Selon une étude de la Direction des Transports Terrestres, le « turn over » des personnels aurait pris des proportions anormales qui placerait le transport routier loin devant les autres secteurs. Un transporteur du Centre trouve une explication dans sa propre expérience: « De grandes entreprises de messagerie voisines sont passées aux 35 heures et ont dû recruter en masse. Malgré les salaires que nous avons relevés à 13 500 F nets pour 200 heures de conduite, les conducteurs nous quittent pour un métier qui leur paraît plus confortable. La réduction du temps de travail a provoqué un véritable appel d'air », constate-t-il.« L'équation que les transporteurs ont à résoudre comporte, en effet, des paramètres difficilement conciliables: réduire le temps de travail quand l'activité tourne à plein et que l'on ne trouve pas de conducteurs pour y faire face », note pour sa part Jean-Charles Fortier, responsable de clientèle Transport/Logistique chez Adecco. Un argument qu'invoque certains pour expliquer le retard qu'ils ont pris dans l'application de la réduction du temps de travail. Ce qui n'étonne pas Brigitte Couly pour qui, en tout état de cause, « la réduction du temps de travail n'est pas une décision qu'il faut prendre à la hâte; elle doit être réfléchie et maîtrisée car il ne faut pas sous-estimer les pesanteurs ». « Peu de transporteurs routiers reconnaîtront ouvertement qu'ils ont monté leur dossier de façon trop rapide », fait remarquer Jean David. « Contrairement à ce qu'ils escomptaient, ils n'ont pas relevé d'amélioration de leur productivité. Et ils semblent constater aujourd'hui que la réduction du temps de travail s'est en fait traduite par une baisse du travail ».

En profiter pour réorganiser le travail

Nets, à Cambrai, fournit, cependant, un contre-exemple. « Nous avons signé l'accord d'entreprise sur la réduction du temps de travail en juin 99 », rappelle Jean-Paul Grard qui fait fonction de DRH. « Le bilan est dans l'ensemble positif. L'entreprise a gagné en productivité et en climat social ». Les conducteurs sont descendus au dessous de la barre des 200 heures et le poste charges/salaires est resté stable. « Mais parallèlement à la réduction du temps de travail, nous avons procédé à une réorganisation de l'exploitation», poursuit-il. « Nous avons constitué des équipes qui comprennent chacune 4 véhicules et 5 chauffeurs. Quatre d'entre eux ont un véhicule affecté dont ils sont responsables, le cinquième remplace les titulaires quand ils prennent leur journée de récupération ». Cette réorganisation a été consécutive à deux audits. Le premier portait sur la démarche qualité et a mis en relief les postes qui pouvaient dégager des points de productivité. C'est le deuxième qui décida de l'aménagement des temps de travail et la démarche s'est donc effectuée sur près de 2 ans.

Dans le groupe Joyau, où la réduction du temps de travail est effective depuis le 3 janvier 2000, elle a pris plus d'un an. « L'accord a été signé à la suite d'un référendum qui a obtenu 80% de votes favorables, rappelle Jacques Godet, le Pdg du Groupe. Nous avons mis un an pour négocier cet accord et organiser le travail en conséquence. Les sédentaires sont passés à 35 heures et le personnel roulant à 38 heures par semaine ce qui correspondait à une réduction du temps de travail de 12 % , avec maintien du salaire et des avantages acquis ».

Néanmoins, le P-dg de l'entreprise reconnaît que l'opération a été très complexe et qu'elle a coûté très cher à l'entreprise.

« Au-delà des aides qui peuvent être obtenues, l'embauche d'une centaine de conducteurs devrait créer, cette année, un delta que j'estime à 4 MF. Je pense qu'à terme, c'est un investissement mais j'espère surtout que les chargeurs prendront compte de l'avalanche des coûts d'exploitation à laquelle nous avons à faire face et qu'ils accepteront de revoir les prix à la hausse »...

A mi chemin entre ces différents exemples, beaucoup de transporteurs ont opté pour une réduction du temps de travail par paliers successifs. C'est le cas de La flèche Bressanne. « A la fin de l'an dernier, nous étions à 50 heures par semaine et progressivement nous sommes descendus à 48 aujourd'hui, expliquait Guy Ducculty, le directeur général dans France Routes. Nous allons poursuivre dans ce sens avec un but clairement affiché: travailler moins pour gagner autant, salaire et frais de route compris. Pour y parvenir, je pense qu'il est logique de continuer à travailler cinq jours, d'étaler les missions sur la semaine en réduisant le nombre d'heures de travail quotidien. C'est la solution que j'ai envisagée pour que les frais de route soient maintenus au même niveau car c'est ce point qui reste le plus épineux à résoudre ». Actuellement le temps de travail est constitué à 72 % par les opérations de conduite et à 28 % pour les temps de mise à disposition.

COUP D'OEIL

Les chiffres émanant des contrôles effectués par l'inspection du travail dans les transports, entre avril et juin dernier, ne montrent qu'une lente amélioration de la situation: une minorité d'entreprises, soit 39%, ne respectent pas les règles fixées par les nouveaux textes pour les temps de repos et continuent d'appliquer un système de décompte des heures qui leurs sont propres, mais 50 % des entreprises contrôlées n'appliquent pas les nouvelles règles en matière de paiement.

Par ailleurs,selon le ministère des Transports, à fin juin, 426 sociétés avaient signé l'accord d'entreprise sur la réduction du temps de travail. Cela concernait 51 563 salariés. Ce sont, pour la plupart, des grands groupes dont une majorité opèrent dans le secteur de la messagerie. Ces mêmes entreprises ont recruté 3558 personnes...

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