«C'est la première année que le manque de chauffeurs s'avère aussi catastrophique», confie Alexis Gardés, dirigeant de Provence Transport (13). A la tête d'une entreprise de dix salariés, le chef d'entreprise a repris le volant pour assurer le travail. Deux des dix camions sont au garage, faute de personnel disponible. « Je remplace les chauffeurs en vacances, ce qui pose des problèmes en matière de gestion administrative puisque désormais il n'y a plus qu'une personne au bureau». Le cas d'Alexis Gardés n'est pas une exception. Cet été, nombreux furent les transporteurs à reprendre la route. Le recours à du personnel intérimaire aurait pu constituer une solution, mais beaucoup y ont renoncé. Trop de risques de casse ou d'accidents. Autre palliatif : anticiper les recrutements et n'accorder que le minimum de congés en été. « Nous essayons toujours de limiter les départs en juillet-août. Ce n'est pas facile mais possible », assure Thierry Gorlier, P-dg de l'entreprise générale de transport et de location (EGTL) basée à Marseille. Réalisant la moitié de son chiffre d'affaires (64 MF en 1999) en transport sous température dirigée, l'entreprise recrute du personnel dès avril. Ainsi, sept ou huit personnes sont embauchées en contrat à durée déterminée de six mois. « En nous y prenant à l'avance, nous trouvons davantage de chauffeurs qu'en juin et nous avons le temps de les former ». Si l'entreprise, également implantée à Aix en Provence, Cavaillon et Perpignan, n'a pas arrêté de véhicules il s'en est fallu de peu. « Nous avons refusé du travail, faute de matériels et de personnels suffisants. Néanmoins, nous sommes parvenus à assurer de nouveaux contrats en reportant de quelques jours les trafics ».
Comme son confrère, Olivier Rodriguez, responsable d'exploitation chez Lomatrans dans les Bouches du Rhône, recrute dès janvier en prévision de la saison estivale. De juin à septembre, sa politique consiste à n'accorder des congés qu'à cinq ou six chauffeurs par semaine. « Nous embauchons le même nombre de chauffeurs afin d'assurer les remplacements. Ils signent un CDD de trois mois renouvelable une fois et dans 99% des cas, ils intègrent l'entreprise à la fin de leur contrat. Ainsi nos véhicules tournent à 100% ».
60 F de l'heure au minimum. A la tête d'une centaine de personnes, Didier Pillot, directeur de Carola, filiale du groupe Giraud implantée à Narbonne, a été obligé d'arrêter dix camions. Fin août, il manquait encore une dizaine de personnes pour que l'entreprise « tourne » normalement. Soit un manque à gagner estimé à 3400 francs par jour et par véhicule auxquels s'ajoutent 2200 francs de frais fixes : « Cette perte sèche aura un sérieux impact sur nos résultats ». Pour la première fois cette année, l'entreprise n'a recueilli aucune candidature spontanée. « Jusqu'à présent, nous en recevions plusieurs dès le printemps, ce qui nous évitait de publier des annonces et d'organiser des campagnes de recrutement ». Le phénomène de débauchage et de surenchère salariale n'arrange rien. Les chauffeurs qui ont entre trois et cinq ans d'ancienneté sont recrutés par la concurrence et n'hésitent pas à faire monter les enchères. « En entretien de recrutement un candidat m'a imposé ses conditions : il ne travaillait pas en dessous de 60 F de l'heure», se souvient Didier Pillot. Pour sa part, Thierry Gorlier a vu plusieurs de ses salariés partir à la concurrence. « Les salaires paraissaient être plus élevés que chez nous, mais je ne suis pas sûr que ces employeurs respectaient la législation », confie le dirigeant. « L'administration ne doit montrer aucun laxisme, car la pénurie de personnel pénalise les entreprises vertueuses ».
« Depuis un mois je suis en short et j'assure les relais la nuit. Je travaille plus de quinze heures par jour », explique Philippe Fournier, P-dg des Transports Fournier (13), et président de l'Union régionale de l'Unostra Provence-Alpes-Côte d'Azur. « En période estivale, il n'y a pas cinquante solutions : les chauffeurs font beaucoup d'heures et nous jouons avec la législation puisque nous ne trouvons personne pour assurer les remplacements et absorber le surcroît de travail ». Selon lui, les dérives sur les temps de service sont monnaie courante et nombre d'entreprises dans l'illégalité. « Nous pouvons nous permettre de faire un peu n'importe quoi en été car nous savons que les pics d'activité ne vont s'étaler que sur deux ou trois mois. En revanche, la réduction du temps de travail va durer plus longtemps et nous ne trouvons personne pour accroître nos effectifs ». Même analyse de Michel Mattar, délégué régional de TLF (Fédération des entreprises de transport et logistique de France) Méditerranée. Ce dernier souligne les effets pervers de l'envolée économique. « En matière de recrutement, les chefs d'entreprise n'ont plus le temps de vérifier si les candidats sont titulaires de toutes les formations obligatoires. Ils sont dans l'urgence. Ils confient des véhicules coûteux à des conducteurs dont ils ne connaissent pas les compétences. L'un d'entre eux a été obligé de faire rouler un chef de quai, car il n'avait pas d'autre solution ». Dans ce contexte, Michel Mattar s'interroge, lui aussi, quant à l'application des nouvelles durées de travail. « Comment les transporteurs pourraient-ils appliquer les 35 heures en période de forte activité et de sérieuse pénurie de chauffeurs ? Il vaudrait mieux que l'administration ne contrôle pas de trop près les temps de service des salariés car elle risque d'avoir quelques surprises ».