Toute l'histoire du transport le démontre : il a toujours su répondre aux besoins du marché. Son évolution n'a été qu'une suite d'adaptations. Selon Gabriel Wackermann, professeur d'aménagement à la Sorbonne et auteur des Transports de marchandises dans l'Europe de demain, « c'est la modernisation constante des transports depuis le début du XXe siècle qui a rendu possible la croissance spectaculaire des échanges de marchandises à travers le monde ». C'est son adaptabilité et son aptitude à développer les nouveaux marchés, notamment, qui a permis au transport routier de prendre des parts de plus en plus importantes au détriment des autres modes de transport terrestre. Sans pour autant pouvoir se targuer d'être un créateur de marchés. « Son rôle prééminent n'est pas évident a priori, souligne Gabriel Wackermann. Parmi les acteurs majeurs du mouvement des biens et des personnes, le transport figure souvent en retrait face au chargeur, industriel ou distributeur ». Cela tient au mode de fonctionnement : par tradition, le marché, c'est le transporteur qui l'assure, mais c'est le chargeur qui le crée. Et, ce n'est pas un hasard si la plupart des entreprise de transport routier ont démarré leurs activités en effectuant ce que l'on appelle communément le « transport à la demande »... Puis, une grande majorité d'entre elles se sont développées en « accompagnant » la croissance de leurs clients ce qui, souvent, leur a permis de se spécialiser sur un marché, voire, ultérieurement, de créer des « niches ».
Elles sont la première traduction d'une démarche commerciale dans un secteur où « les forces de vente » brillaient par leur absence, les entreprises se reposant fréquemment sur les « bureaux de fret » pour alimenter leurs voyages de retour.
Selon Maurice Voiron, ancien président de la FNTR, « ces niches, face à la formidable concentration d'entreprises à laquelle nous nous assistons, restent un marché sur lesquelles les pme pourront continuer de se maintenir et se développer. Il y aura toujours de la place pour les entreprises qui font du cousu main et il y aura encore du travail pour ceux qui effectuent des transports bien ciblés ». (voir encadré)
Les choses, aujourd'hui, ont quelque peu évolué bien que, comme le note Bernard Gras, consultant, « le concept de marketing soit encore très récent dans la profession et que la fonction ait du mal à trouver sa place ». Il n'empêche que le créneau du monocolis de moins de 30 kg, qui a été transposé d'Allemagne en France, il y a quelques années, est le fruit d'un concept marketing. C'est cette prestation spécifique qui paraît la plus apte à accompagner le développement annoncé du commerce électronique. Telle est, en tout cas, l'opinion de Jean-Noël Thénault, P-dg de Volvo Trucks France : « Je pense que la montée en puissance du commerce électronique va faire exploser la production de transport, notamment l'acheminement des petits colis de moins de 30 kg. Car, par ce biais, les clients pourront acheter jour et nuit et il faudra assurer les livaisons dans des délais très courts. Il reste à savoir quel sera le mode de distribution utilisé. »
Le fait que tous les grands regroupements d'entreprises qui se sont opérés ces derniers mois aient été réalisés sous l'égide des grandes organisations postales apporte un élément de réponse. Vivant leurs derniers mois à l'abri d'un monopole, pour ne pas se faire évincer d'un marché dont on prévoit un développement fulgurant, elles ont occupé des positions qui les rendent difficilement contournables. En France, la reprise par La Poste du réseau DPD, spécialiste de ce type d'acheminement, n'est pas totalement innocente...
L'e-commerce, en effet, est perçu comme le nouveau « filon » par les transporteurs. Sous le titre « Les transporteurs investissent la toile », l'Usine Nouvelle a récemment consacré un dossier à ce nouveau marché sur lequel se sont engouffrés Heppner, Hays, Calberson, Gefco, Mory, dans la foulée des integrators Fedex, DHL, UPS, voire Chronopost, pour ne citer que les plus importants car, chaque jour, un nouvel arrivant fait son entrée dans le circuit pour prendre ses marques sur « un marché potentiel estimé à 340 milliards d'euros en 2003 » par l'Institut Forester Research. Avec plus ou moins de bonheur, selon l'association pour le commerce et les services en ligne Acsel. En effet, son président, Henri de Maublanc, a déclaré récemment à l'Officiel des transporteurs « qu'il n'existait pas encore d'offre logistique capable de répondre aux besoins des e-commerçants », comme il a pu le constater à l'occasion des fêtes de fin d'année. Les transporteurs cherchent à atténuer cette appréciation en justifiant du fait que « la période est généralement très sensible en raison des pointes de trafics qu'elle occasionne » et arguent du « formidable bond de la demande qui a mis en ligne, l'an dernier, 9 millions d'internautes pour un montant d'achats évalué à 1,5 milliard de francs ». Il n'en reste pas moins que l'e-commerce n'en est qu'à ses balbutiements et que les opérateurs doivent encore peaufiner leur organisation, notamment d'un point de vue logistique. Verdict à la fin de l'année en cours. « Nous mettons en place des solutions dédiées comme la globalisation de la messagerie, le traitement des flux d'informations, la répartition géographique de nos réseaux pour proposer des solutions de livraison fiables et rapides des particuliers », souligne Jean-Benoit Sangnier, secrétaire général de Mory Team, dans le cadre d'une enquête récente réalisée par l'AFT-Iftim.
Celle-ci mettait en scène une dizaine d'acteurs de la profession, dirigeants de grands groupes, de pme, responsables de ressources humaines ou chargeurs, qui se sont risqués à jouer les pythonisses en ce qui concerne l'émergence de nouveaux marchés qui sous-tend l'évolution des métiers du transport.
Tout d'abord, il apparaît que la mondialisation des économies soit devenue un phénomène irréversible et que « pour faire face à la globalisation des échanges, les industriels vont poursuivre leurs regroupements et il en sera de même de la logistique ». Pour Sylvie Maraux, directeur général de Ditrans, « les appels d'offres logistiques, générés principalement par les trafics sur Internet, aujourd'hui européens, seront demain mondiaux et les sociétés de logistique devront posséder la taille nécessaire pour y répondre, voire survivre ». Daniel Delva, P-dg de SDV avance un chiffre : « Le taux de croissance de la logistique au cours des prochaines années devrait être de l'ordre de 10 % à 15 % en moyenne annuelle... » La course effrénée contre le temps qui régit l'ensemble de la chaîne pour satisfaire la politique des flux tendus depuis plusieurs années dans un grand nombre d'entreprises exige de ses acteurs réactivité, flexibilité et polyvalence, maitres-mots qui qualifieront les logisticiens de demain, selon Frédéric Sarboni directeur de l'AFT-Iftim en Rhône/Alpes/ Auvergne. Pour Jean-Claude Rennesson, chargé de mission dans ce même organisme, « toutes les productions ne relèveront pas du commerce électronique, mais vont tendre vers une intégration de plus en plus accrue de la chaîne production/distribution ».
En conséquence, pour Christophe Eggers, responsable transport de Kodak-Pathé, « les professionnels devront être capables d'organiser des transports multimodaux à partir et à destination de n'importe quel pays d'Europe ». Un marché qui reste à explorer pour un grand nombre d'entreprises. Car, malgré les regroupements qui se sont opérés et qui ont permis à d'importantes entreprises de se positionner dans la plupart des pays européens, selon Christophe Eggers, « leurs réseaux restent juxtaposés et les offres de transport manquent toujours d'homogénéité ». Les chargeurs sont nombreux à dresser ce même constat et suggèrent aux opérateurs de poursuivre l'amélioration de leurs services avant de partir à la conquête de nouveaux marchés.
Daniel Nicolas, directeur général des Transport Nicolas, est convaincu que « le transporteur d'aujourd'hui va devenir le logisticien de demain ». La logistique a été, en effet, le principal moteur du développement des entreprises de transport au cours des dernières années. Sur un marché largement ouvert en terme de prestations, elles ont su imaginer des solutions répondant à des besoins sur mesure. Dans ce domaine, le transporteur s'est érigé en force de proposition. Mais, le filon ne risque-t-il pas de s'épuiser ? Selon les estimations, les quatre leaders sur le marché national - Géodis, Hays, Dentressangle et Giraud - qui, pourtant, enregistrent annuellement une progression supérieure à 10 % de leurs activités, dépassent à peine 10 % du marché potentiel global. Quant à la durée, les responsables de ces entreprises semblent assurés de la pérennité du marché logistique pour au moins dix années. Cependant, en raison de sa très forte atomisation, il est sans doute appelé à se concentrer, mais il reste sans doute l'un des marchés les plus sûrs en terme de développement.
Globalement, toutes les prévisions sont concordantes : en 2015, il faut s'attendre à un doublement des trafics routiers. C'est le résultat logique de la mondialisation des économies et de la multiplication des échanges ainsi que de la dissémination des lieux de production « qui se spécialisent de plus en plus sur la fabrication d'un seul produit ou d'une gamme de produits », note Jean-Marc Prigent, directeur général de Groupeco.
Cette organisation devrait continuer à générer de nouveaux trafics qui restent la base du développement pour la plupart des entreprises routières.
En principe. Car, il ne serait pas impossible que l'on assiste à des revirements. « Déjà la tendance s'inverse dans le secteur de la chimie, note Jean-Louis Amato. Certains gros chargeurs sont en train de revoir leurs implantations de manière à réduire des trajets qu'ils considèrent aujourd'hui inutiles ». Autre facteur à prendre en compte, il faut envisager que les pouvoirs publics, en Europe et en France, prennent des mesures pour enrayer, d'une manière ou d'une autre, le développement des trafics qui est envisagé par tous les experts et qui, selon eux, constitue une menace de thrombose pour les infrastructures. Une volonté politique qui existe et que Micheline Cousture, directrice de l'IMTL, détecte dans « les interventions étatiques qui déterminent environ 60 % des prix de revient des entreprises de transport »...
Dans chacun de ses numéros des Cahiers de l'Observatoire, le Comité National Routier analyse l'évolution à moyen terme des différents marchés dont certains, compte tenu du nombre restreint d'opérateurs, constituent de véritables niches :
-> Automobile : nouveaux records ?
Selon les prévisions, à la fin du premier trimestre, le marché des véhicules neufs devrait enregistrer une progression de 5 % cette année et les experts tablent sur 2,5 millions de véhicules immatriculés. Une évolution favorable aux quelques transporteurs installés sur ce créneau d'autant que « le développement des prestations de transport touche non seulement les véhicules neufs mais également ceux qui transportent des composants » : moteurs, pièces de carrosseries, pneumatique, sièges, etc. « Cette évolution est amplifiée par l'interpénétration croissante des différents marchés européens et par la spécialisation des sites, note le CNR. Il est fréquent qu'un constructeur réalise la fabrication d'un moteur dans un pays puis le tranfère dans un autre pays ou se fera l'assemblage avant que le véhicule complet ne soit acheminé sur une troisième destination ». Il est néanmoins probable que le marché soit plus modéré l'an prochain, car le marché intérieur est désormais un simple marché de renouvellement. De ce fait, la production de véhicules devrait enregistrer une évolution moins favorable en 2001. Mais, le dynamisme des pays de l'Est pourrait compenser favorablement à l'export le tassement du marché national.
-> Textile-habillement : croissance modérée
Le comportement d'achat des consommateurs, « plus attirés par les produits de bas et de moyenne gamme au détriment des produits haut de gamme » ne favorise pas l'industrie française dont la production, cette année, devrait reculer de 2 %. En revanche, « la forte dévaluation des monnaies asiatiques a renforcé la compétitivité de ces pays ». Les produits d'importation devraient soutenir le marché transport intérieur et les produits haut de gamme français devraient se retrouver dans les trafics d'exportation.
-> Bois : entre dynamisme et traumatisme
Aprés les tempêtes de fin d'année, on a assisté à une forte reprise d'activité pour les industries de transformation du bois. « Le volume de chablis est estimé à 120 millions de mètres cubes, soit l'équivalent de trois années de coupe. Les secteurs de l'exploitation forestière et de la transformation ont des besoins croissants en prestations transport. » Le dynamisme de l'activité prévu cette année devrait se prolonger également l'an prochain. « Par ailleurs, le nettoyage des forêts et la mise en oeuvre de circuits de récupération et de stockage sont à l'origine d'une demande supplémentaire. »
-> Produits laitiers : croissance de 3,5 % l'an prochain
« Les produits laitiers frais et les fromages sont de plus en plus prisés par les consommateurs européens. Ils devraient enregistrer, cette année et les prochaines années, une hausse de la production estimée à 3,5 % qui génèrera de forts besoins en transports. » On notera cependant une concurrence très vive des Hollandais et des Italiens sur ce marché « mais les producteurs souhaitent de plus en plus des prestations de très haute qualité qui devraient permettre aux transporteurs français compétitifs de renforcer leurs positions ».
-> Chimie : progression jusqu'en 2004
On distingue trois grandes catégories sur ce marché : la chimie organique, la chimie minérale et la chimie de spécialité. « Les plus forts développements concernent les parfums et cosmétiques qui devraient enregistrer une progression de plus de 4 % jusqu'en 2004 qui représentent 39 % des produits d'origine chimique transportés et les colles et adhésifs (3 %) pour lesquels la production continuera de progresser de 5 % par an ». C'est l'Allemagne qui représente le plus grand marché, suivie de la France et de l'Italie.