L'enfant terrible du transport préside le CNR. Jean-Louis Amato a été de toutes les luttes : la libéralisation du transport routier dont il estimait la mise en place trop hâtive et mal préparée, l'encadrement de la sous-traitance et des transports légers, les prix anormalement bas. De quoi se créer des inimitiés...
Mais, le nouveau président du Comité National Routier est un homme attachant parce qu'il n'a qu'une conviction : la défense de la profession. Bec et ongles. Turbulent, mais efficace. Utopiste, mais lucide. Homme d'ouverture et diplomate aussi. Ce sont sans doute les raisons pour lesquelles, au delà des différents clivages, il a été choisi pour présider le Comité National Routier, version troisième millénaire. Un organisme décrié, mais dont la profession souhaitait, à la fois, le maintien et la rénovation. Jean-Louis Amato veut en faire « le lieu de rencontre le plus consensuel possible ». « Un organisme technique dont l'orthodoxie des analyses sera garant de sa crédibilité. » « Le CNR ne doit plus prêter le flanc à la critique », souligne-t-il.
Dans ses nouvelles fonctions, il s'impose un « devoir de réserve » et refuse de se laisser entraîner sur le terrain politique. Il pèse ses mots. Plus qu'il ne l'a jamais fait, sans doute, avec les ministres. Qu'ils s'appellent Douffiagues, Quilès, Sare, Pons, Idrac ou Gayssot. Sans distinction d'étiquettes, on le lui a d'ailleurs reproché. L'enfant terrible du transport a fait son entrée dans le cercle des sages. Sans rentrer dans le rang. Son prochain combat : « Contribuer à améliorer l'image d'une profession qui subit des attaques injustifiées. Nous n'avons pas à rougir d'être transporteurs. Le transport a un rôle économique primordial. Il a droit à plus de considération. » Et pour ce combat, il prône l'unité de toute la profession.
Officiel des Transporteurs Magazine : Comment se présente, aujourd'hui, le Comité National Routier dont vous présidez le premier exercice après la mise en place de la réforme qu'attendait toute la profession ? Par ailleurs, cette réforme est-elle totalement achevée ?
Jean Louis Amato : Le Comité National Routier a été créé il y a plus de 50 ans, par décret, le 14 novembre 1949. La loi du 22 juin 1978 a redéfini sa forme juridique mais il restait un organisme de professionnels géré par eux, auxquels l'administration avait délégué certaines missions réglementaires dont l'établissement de la tarification obligatoire. Le décret du 13 mars 1989 a érigé le CNR en Comité professionnel de développement économique en application des termes de la loi de 1978. Son conseil d'administration est composé de 18 membres qui sont nommés par arrêté ministériel. Douze d'entre eux sont désignés sur proposition des organisations professionnelles du transport routier et de la logistique. 5 de ses membres sont issus de la Fédération Nationale des Transporteurs Routiers (FNTR), 5 sont nommés par Transport et Logistique de France (TLF) et 2 sont désignés par l'Union Nationale des Organisations Syndicales des Transporteurs Automobiles (Unostra). Par ailleurs, 6 membres sont choisis par le ministre en charge des Transports au titre de leur compétence.Enfin, le directeur des Transports Terrestres a qualité de commissaire du Gouvernement.
Aujourd'hui, la réforme interne du Comité National Routier est actuellement en cours d'achèvement. Il reste au CNR à se doter des différents outils, notamment d'un service Internet, pour permettre aux entreprises de transport routier de mieux cerner leurs coûts de revient. Cela répond à un souci de cet organisme de s'adapter aux besoins permanents des entreprises de transport. Les analyses qui sont effectuées font l'objet déjà d'une publication, elles sont relayées par la presse professionnelle et économique, bénéficient d'un accés libre par minitel, mais il faut être en mesure d'avoir la diffusion la plus large possible sachant que 86 % des entreprises de transport emploient moins de 10 salariés et qu'elles ont besoin d'éléments comparatifs.
Les informations pratiques qui sont diffusées à leur intention leur servent de support dans leurs négociations. Mais, en ce qui concerne la réforme structurelle, celle-ci est achevée, conformément à la volonté de l'ensemble de la profession.
OTM : Quel est désormais le rôle du Comité National Routier ?
J.-L. A. : La profession dans son ensemble a souhaité que le CNR soit un organisme technique dont la mission première serait l'observation des modes de fonctionnement des marchés. Une nouvelle équipe composée de spécialistes hautement qualifiés a été mise en place, dirigée par Michel Hirou, dont le rôle essentiel est de suivre l'évolution des coûts dans une totale transparence. Le Comité National Routier est ainsi le seul organisme disposant d'une compétence en matière d'observation de l'évolution des conditions d'exploitation et des composantes des coûts. Il développe des outils permettant aux entreprises de calculer leurs prix de revient. Par ailleurs, les sujets d'étude qu'il est amené à traiter sont retenus en fonction de leur intérêt pratique pour les entreprises de transport routier afin que celles-ci soient en mesure de s'en appropier les résultats. Aujourd'hui, l'utilité du CNR a été réaffirmée par les trois organisations professionnelles et le ministère reconnaît la pertinence de ses travaux. Leur objectivité est reconnue non seulement dans le monde du transport mais également par les entreprises industrielles et le secteur de la distribution. Le CNR se doit de ne plus prêter le flanc à la critique et il doit asseoir sa crédibilité sur l'orthodoxie de ses calculs. Depuis sa restructuration, l'an dernier, le CNR élargit ses observations à l'échelle du marché européen et, pour cela, développe actuellement un réseau de coopération avec d'autres organisations, des univertaires et des cabinets d'études, en France comme à l'étranger. Parallèlement, le CNR a un rôle d'animation. C'est désormais un lieu consensuel et il faut qu'il le soit le plus possible.
OTM : Selon les analyses du CNR, quelles sont les incidences des augmentations qui, depuis plus d'un an, affectent le prix des carburants ?
J.-L. A. : cette analyse a fait l'objet d'une note qui a été publiée par le CNR vers la fin du mois de juillet. Si l'on applique l'indice 100 au prix du gazole en décembre 1998, cet indice est passé à 128,57 en décembre 1999 et à 133,93 en juin dernier pour ce qui concerne les approvisionnements sur route. Pour les carburants pris à la citerne dans les entreprises, l'indice est passé respectivement de 100 à 133,77 et à 137,01. Pour être clair, en moyenne arithmétique le prix du litre de gazole qui était de 3,22 en décembre 1998 a augmenté de 1 F en 1999 pour se retrouver à 4,22 F et à 4,36 F en juin dernier. Mais, dans ses calculs, le CNR prend en compte une moyenne pondérée considérant que 37 % des approvisionnements se font sur route et 63 % à la citerne. Il en ressort que le prix du gazole est passé successivement de 3,18 F à 4,19 F puis à 4,32 F.
Ainsi, au cours des derniers 18 mois, de janvier 1999 à juin 2000, nous estimons que la variation du poste est de 33,1 % à
34,7 % et
que l'incidence sur les prix de revient oscille de 5,4 % à 7,5 % pour les transports à longue distance et de 4,1 % à 5,8 % pour le transport régional.
OTM : Ajoutées aux revalorisations salariales et à la mise en place de la Loi Aubry visant la réduction du temps de travail, à combien estimez-vous la dérive des coûts d'exploitation ?
J.-L. A. : La diversité des conditions d'exploitation - un préalable dont il faut également tenir compte en ce qui concerne l'impact du prix des carburants - a conduit le CNR à présenter des fourchettes d'évaluation sur les trois facteurs de hausses qui ont affecté le coût du poste de conduite. Il estime que, pour le transport à longue distance, la hausse des salaires intervenue le 1er octobre 1999 a fait évoluer le poste de 4 % à 4,4 % en transport à longue distance. L'incidence du décret du 1er février visant les heures supplémentaires et la réduction du temps de travail est estimée entre 3 % et 7 %. Quant à la hausse des salaires intervenue au 1er juillet dernier, elle se situe entre 5 % et 5,3 %. Pour cette activité, l'incidence de ces trois facteurs est estimée entre 3,6 % et 5 %. Elle a été plus forte en trafic régional et se situe entre 5,8 % et 7,4 %. Les hausses salariales de juillet dernier s'alignent au même niveau que dans l'activité précédente. Mais, l'incidence du décret de février a une amplitude plus large et s'établit entre 1,5 et 7,7 %. Quant aux augmentations d'octobre 1999, comprises entre 6 et 6,9 %, ce sont elles qui ont été le plus fortement ressenties.
OTM : En conséquence, quelles sont les revalorisations tarifaires que les transporteurs routiers pourraient prétendre obtenir de leurs chargeurs ?
J.-L. A. : Si l'on ajoute à ces différentes augmentations les évolutions des autres charges d'exploitation qui sont intervenues, parallèlement, entre janvier 1999 et juin 2000, le CNR estime que, pour les activités régionales, la hausse du coût de revient des entreprises se situe entre 11,3 % et 14,2 %. Pour le transport à longue distance elle est comprise entre 10,7 % et 12,7 %. Encore fait-on abstraction de certains coûts induits qui peuvent être difficilement quantifiables, comme le coût de la formation pour le personnel recruté dans le cadre de l'application de la réduction du temps de travail, le coût pour la mise en place de nouvelles organisations de transport, etc.
Il me semblerait légitime que les revalorisations de tarifs prennent en compte ces différentes augmentations. Cela me paraît l'évidence même si l'on veut maintenir une offre de transport durable et si l'on ne veut pas aboutir à une rupture entre l'offre et la demande. Je crois que les chargeurs n'ont pas intérêt à mettre en péril les entreprises de leurs prestataires.