Pour la première fois depuis 1994, une grande entreprise de transport routier de marchandises, Aubry, a été mise en redressement judiciaire l'an dernier. Malgré les rumeurs qui avaient pu courir sur certains d'entre eux, les groupes avaient tenu bon pendant cet intervalle ou avaient trouvé à temps une solution de reprise. Mais, après avoir vendu à Charles André son activité de transport routier de produits pulvérulents (Aubry Silos et René Sevenier), Patrick Aubry a été contraint, en mars 1999, de déposer le bilan, quelques mois après avoir succédé à son père Landry, fondateur de l'entreprise après-guerre. Les activités transport d'un groupe qui réalisait environ un milliard de francs de chiffre d'affaires avec 1560 salariés ont ensuite été cédées. Plus modeste en taille, Resano, qui avait réalisé en 1998 un chiffre d'affaires consolidé de 270 MF, a déposé le bilan au tribunal de commerce de Dax.
Ces deux exemples, la stabilité de la situation des entreprises de 5 MF à 100 MF de chiffre d'affaires, la très légère amélioration de celle des petites entreprises de moins de 5 MF de chiffre d'affaires, montrent une fois de plus la dépendance du transport routier vis-à-vis de son environnement direct. Le transport routier en 1999 a connu moins de défaillances parce que l'économie est en croissance, mais il a enregistré une amélioration nettement plus faible que les autres secteurs parce qu'il a été victime de problèmes qui lui sont propres. La croissance a bien entendu été au rendez-vous avec une augmentation en volume de 6,5 % pour le transport routier, et conséquence directe, une nouvelle année record des immatriculations de véhicules de plus de 5 tonnes financées en grande partie par la location financière. En revanche, les effets de la revalorisation des rémunérations, de la réduction du temps de travail et de la hausse du gazole ont tous eu l'occasion de se manifester, débouchant sur des augmentations de défaillances au premier et au dernier trimestre.
Cette distorsion entre le bien aise de l'économie en général et le malaise particulier du transport routier risque de se confirmer en 2000. Le coût du carburant continue à flamber et les 5 centimes de ristourne qui viennent d'être accordés sur la Taxe intérieure sur les produits pétroliers ne peuvent compenser le franc supplémentaire du prix d'achat du litre de gazole en un an. La revalorisation programmée par étapes des salaires des conducteurs, qui avait mis fin au conflit routier de novembre 1997, s'achève par une majoration des salaires conventionnels de 5,26 % au 1er juillet 2000. Elle s'accompagne dans de nombreuses régions d'une grave pénurie de conducteurs qualifiés qui fait redouter des difficultés sérieuses d'acheminement pour la période de juillet à septembre. Il en résultera sans doute un certain désordre chez les chargeurs, mais sûrement chez les transporteurs qui réaliseront des acrobaties onéreuses pour réaliser des missions, sinon impossibles, du moins difficiles.
Une profonde mutation. Tous ces éléments vont peser sur un coût de revient auquel vont s'ajouter pour nombre de sociétés le surcoût des loyers de location financière par rapport au coût technique des véhicules amortis.
Ceux qui n'auront pu adapter en cours d'année leurs prix de vente à ces nouvelles conditions d'exploitation vont se trouver rapidement confrontés à de graves problèmes de trésorerie en août et septembre où augmente traditionnellement le besoin en fonds de roulement. C'est à ce moment que ceux dont les fonds propres étaient déjà faibles à fin 1999 vont devoir répondre au questionnaire complémentaire sur la capacité financière que leur enverra la Direction Régionale de l'Equipement. Le transport routier est donc en train de connaître une profonde mutation, avec vraisemblablement une réduction de la surcapacité provoquée à la fois par la réduction du temps de travail, par la pénurie de conducteurs et par l'obligation administrative de fonds propres, mais également une modification profonde des conditions d'exploitation et de vente de la prestation. Cette mutation aura ses répercussions sur le niveau des défaillances d'entreprises. Se fera-t-elle brutalement comme en 1993, ou étalée sur plusieurs années ? Sera-t-elle profonde ou amortie ? Tout dépend de la capacité des transporteurs à faire accepter par leurs clients les répercussions économiques de cette évolution.