OT : Faut-il, selon vous interdire l'acces du tunnel du Mont-Blanc aux poids lourds ?
Eric Fournier : si vous interrogez l'adjoint au maire de Chamonix, je répond que c'est ce que souhaite la population locale. Mais en tant que chargé des transports au conseil régional, je pense qu'il serait non approprié de prendre une décision qui ne traite que du problème du tunnel du Mont-Blanc dans l'année à venir. Il m'est actuellement impossible de répondre de manière brutale à la question de la réouverture du Mont Blanc aux camions, car cela reviendrait à faire l'impasse sur tout ce qui doit être fait en matière de politique de transport dans ce pays pour gérer le trafic. Nous ne pouvons pas nous contenter de dire que telle infrastructure - le Mont Blanc en l'occurrence - doit rouvrir car il est nécessaire de faire passer deux mille camions. Ce n'est pas décent de penser cela.
Michel Meylan : le tunnel rouvrira aux poids lourds puisque le ministre des transports l'a dit. Mais cette décision devra être soumise à des conditions de sécurité, comme le contrôle systématique des véhicules et de leurs chargements. Il faudra peut-être envisager une limitation des tonnages comme en Suisse, s'équiper des dernières technologies et embaucher du personnel supplémentaire car je crois que les hommes sont plus efficaces que les machines, si sophistiquées soient-elles. Ces projets dépendent de la volonté politique à gérer ou non les problèmes. De plus, il faudra sérieusement informer l'opinion publique pour faire comprendre que les camions contribuent au développement de l'économie.
OT : quelle est votre analyse quant à l'accroissement du trafic dans les Alpes ?
Eric Fournier : il faudra un recours plus important au fer via des solutions alliant le transport combiné à la construction d'autoroutes ferroviaires. Il ne s'agit pas de lutter contre le mode routier. Il y a actuellement un réel problème qui ne pourra être réglé qu'en échafaudant des solutions, lesquelles ne peuvent être prises qu'en concertation avec l'Etat, les professionnels de la route et l'opérateur ferroviaire. Pour cela, il est nécessaire de définir une politique globale et cohérente des transports, échelonnée sur quinze ans.
Michel Meylan : si le transport routier a le poids qu'on lui connaît aujourd'hui, c'est par la carence des obligations de l'Etat. Aujourd'hui nous semblons découvrir un problème qui existe depuis de nombreuses années. Jusqu'au 24 mars 1999, on vivait avec le tunnel du Mont-Blanc sans se préoccuper de savoir si les conditions de sécurité étaient suffisantes.
OT : que proposez-vous ?
Eric Fournier : il faut que l'Etat nous fasse connaître rapidement ses intentions sur la définition d'une politique de transport de marchandises et que cela se traduise par des actions à court, moyen et long terme. Au regard des perspectives de développement économique, il faut se donner les moyens intelligents pour faire face au développement des relations commerciales, avec des infrastructures de qualité qui soient sécurisées et respectueuses de l'environnement.
Michel Meylan : il faut élaborer des stratégies, concevoir différents scénarios et prévoir sans à priori politique ce que sera le transport dans quinze ou vingt ans. Il faut anticiper et ne pas réagir lorsqu'on est au pied du mur. On sait depuis très longtemps que la France est une terre de transit avec un accroissement naturel du trafic. Or il n'y a pas de système de voie ferrée performant. Je ne peux que déplorer l'absence de réflexion sur ces sujets. Peu d'hommes politiques prévoient l'avenir à long terme. Souvent la projection se limite à la fin de leur mandat.
« Il est évident que le transport routier est nécessaire. Il a montré sa capacité d'adaptation et sa réactivité au moment de la fermeture du tunnel du Mont-Blanc. Cependant, à moyen et à long terme, il faut donner toute sa part au ferroviaire selon la volonté du gouvernement », explique Patrice Raulin, directeur régional de l'Equipement Rhône-Alpes. « Dans les passages sensibles, comme les Alpes, il convient de coordonner au mieux le mode routier et le mode ferroviaire dans le cadre d'une politique cohérente ». Les conclusions concernant la réalisation de la section internationale du Lyon/Turin - lequel devrait être mis en service entre 2014 et 2017 pour un coût de 90 milliards de francs - devraient être rendues après l'été pour que les chefs d'Etat décident de sa réalisation, lors du prochain sommet franco-italien. Pour ce qui est de la partie française, les études techniques complémentaires du premier tracé entre Satolas et Chambéry sont sur le point d'être achevées. Par ailleurs, dans le cadre du contrat de plan, l'Etat, le conseil régional et Réseau Ferré de France ont débloqué 225 millions de francs pour l'amélioration du réseau rhônalpin, notamment l'axe qui relie Dijon (26) à Montmelian (73). Les travaux de mise au gabarit devraient commencer au début de l'année prochaine. « Si un tunnel ferroviaire est construit sous les Alpes, il faut qu'en amont la qualité de services soit améliorée. D'ici cinq ans, l'objectif est d'accroître d'environ 20 % le trafic sur cette ligne historique sur laquelle circule actuellement dix millions de tonnes de marchandises », précise Patrice Raulin.
Une centaine de milliers de personnes qui signe une pétition pour interdire le passage des camions sous le Mont-Blanc. La presse grand public qui s'empare du sujet en insistant sur la pollution, le bruit, le danger. Des maires qui menacent de prendre des arrêtés municipaux pour que leur commune ne soit pas traversée par les poids lourds. A ces attaques, André Chevrier, P-dg des Transports Chevrier, répond : « Nous sommes victimes de notre succès et de notre développement. Pourtant, le trafic routier a largement contribué au désenclavement de la commune de Chamonix, qui précisons-le, n'est pas traversée pas les camions. » L'ouverture du tunnel en 1965 a été une aubaine pour la région. Des sociétés industrielles et de services (restaurants, stations-service, garages, autocaristes) se sont rapidement implantées et développées. « Maintenant qu'il y a une autoroute, on ne veut plus de camions. C'est totalement absurde. Je veux bien admettre que le nombre sans cesse croissant de poids lourds provoque des nuisances. Cela dit, les autocars ne gênent pas, alors qu'ils consomment du carburant comme nous ! », ironise Lucien Gevaux, P-dg de SET. « Nous sommes mal perçus par les gens du haut de la vallée, autant dire une minorité. Or, en France, les minorités sont toujours entendues. Ce n'est pas pour autant que leur discours reflète la réalité. Les Chamoniards oublient que ce qui est enclavé ne se développe pas », explique Bernard Collomb-Muret, P-dg de CMA. Les transporteurs sont persuadés que le tunnel rouvrira aux camions et sont conscients de la nécessité de sécuriser les passages, lesquels ne pourront se faire que sous certaines conditions : dérogations accordées aux entreprises de Haute-Savoie pour limiter le nombre de véhicules ? Contrôles antipollution en bas de la rampe d'accès au tunnel ? Interdiction de transit pour les matières dangereuses ? Autant d'hypothèses qu'ils sont prêts à suivre si elles venaient à être instaurées. « Ce n'est pas en interdisant les poids lourds dans le tunnel qu'il y aura plus de sécurité, affirme Carmelo Sgro, P-dg de GST. Le transport routier reste le bouc émissaire d'un système d'échanges qui est mal perçu, car mal compris. Un an et demi avant les élections municipales, on assiste à une montée en puissance du lobby écologique qui veut interdire le Mont-Blanc aux camions. Ce discours a toujours existé dans la vallée de Chamonix. Il est parfois justifié, mais il est aussi exagéré ».