[Edito] LE MONDE INTRANQUILLE
À combien d’autres vulnérabilités géopolitiques, jusqu’ici occultées, faudra-t-il se préparer sur cette planète bleue qui n’en finit plus de rougeoyer sous l’effet de gigantesques incendies au sens propre et figuré ?
Jusqu’à présent, le transport maritime, rarement étale, était rompu à ses sommets et à ses creux. De toute évidence, l’ignition s’est incrustée dans la conversation même quand elle n’y a pas été invitée. Et elle y injecte un fluide froid.
Le monde est embarqué dans des coups d’éclat permanent et le shipping, ballotté tel un poids mort par les vagues, n’a pas d’autres options que d’épouser les mouvements de roulis, imposés par on ne sait qui, jusqu’à on ne sait pas quand.
Les temps sont redoutables, comme les enjeux : le réchauffement climatique, les fractures mondiales, nationales, sociales... et mille autres nuances troubles.
Au cours des 36 derniers mois, le monde aura donc subi une pandémie qui a laissé un arrière- goût en bouche à certains acteurs de la chaîne d'approvisionnement, puis la guerre en Ukraine, qui a provoqué une ruée vers le gaz et un retour au charbon dans certaines régions, et voilà que s’ouvre un nouveau front au Moyen-Orient dont la capacité à métastaser pour consumer toute la région n’est pas une vue de l’esprit.
Le premier choc a fait les riches heures des porte-conteneurs, mais le ralentissement économique a stérilisé toute chance de prolonger le moment.
Le second a remis en selle les navires-citernes, qui étaient exploités depuis mi-2020 en deçà de leur seuil de rentabilité, mais mis à l’épreuve les vraquiers chargés de céréales.
Le troisième menace le pétrole et le gaz si la région, qui abrite des choke points pour le transport des vracs liquides, s’embrase.
Par quel bout attraper le réel dans ce théâtre radicalement cardiaque, où le surgissement du neuf vient en permanence établir des césures ? En faisant commerce de l’adversité ? En composant avec les mauvaises séquences, les points de rupture, les seuils d’alerte ? C’est une question que tous les acteurs de la chaîne d’approvisionnement mondiale aimeraient tenir fermement à distance.
Il en va toutefois ainsi dans le transport maritime. Il y a toujours des balises auxquelles s’accro- cher quand bien même la topographie est inconstante et heurtée à condition de mettre un mouchoir sur ses émotions. Il faut reconnaître que les temps de crise offrent bien souvent au shipping des « instants bénis », qui « fugitivement le raniment ».
Adeline Descamps