Annoncée en avril dernier, l’entrée de la société suédoise Stena Line au capital de l’armateur marocain Africa Morocco Link (AML) traduit l’intérêt croissant des opérateurs d’Europe du Nord pour la traversée maritime du détroit de Gibraltar. Cette prise de participation intervient par le rachat, pour 49 millions d’euros, des 49 % d’AML que possédait l’armateur grec Attica. Le transporteur routier marocain CTM (Compagnie de transports du Maroc), contrôlé par le milliardaire Othman Benjelloun, conserve 51 % d’AML.
Compagnie basée à Tanger, AML exploitait jusqu’à présent deux navires entre Tanger Med et le port espagnol d’Algésiras, pour le transport de passagers et de fret roulant. En été, un troisième navire affrété venait renforcer les rotations, pour faire face à l’afflux de touristes.
Dès l’été 2024, AML met en place une nouvelle ligne pour les passagers et les voitures de tourisme entre Tanger Ville et Tarifa. Mais l’arrivée de Stena sur le détroit de Gibraltar répond, au-delà du transport de passagers et de son pic estival, à des perspectives accrues pour le transport de fret entre l’Europe et un Maroc en plein développement économique.
Perspectives de croissance
« Le détroit de Gibraltar est un emplacement stratégique pour les passagers voyageant entre l’Afrique et l’Europe ainsi que pour le commerce mondial et les volumes de fret dans la région devraient croître dans les années à venir en raison de la croissance industrielle positive et du commerce international au Maroc », déclare Niclas Mårtensson, PDG de Stena Line, qui précise à propos du détroit de Gibraltar :
« Ces routes maritimes, ces ports et les industries environnantes sont en cours de développement et devraient générer une croissance saine du marché du fret au cours des dix prochaines années. »
L’arrivée de Stena Line devrait permettre à AML d’aligner, à terme, six navires supplémentaires. Cette flotte, cependant, ne devrait pas être affectée exclusivement à la traversée du détroit de Gibraltar. De nouvelles lignes pourraient ainsi être mises en place entre le Maroc et la France ou l’Italie.
Défaillance d’Intershipping
Le renforcement estival d’AML sur la liaison Tanger Ville-Tarifa répond aussi à la défaillance d’un autre transporteur marocain : Intershipping. Cette compagnie, également basée à Tanger, exploitait cinq bateaux dont deux affrétés. Sur la ligne entre Tanger Med et Algésiras, l’autorisation d’exploitation a été retirée par les autorités marocaines.
Pour la deuxième liaison, Intershipping ne semble pas avoir été en mesure d’aligner des navires présentant toutes les garanties pour la sécurité de la navigation. Dans les deux cas, les navires ont cessé leurs rotations à la fin de l’été dernier.
Aligner un nombre suffisant de navires sur le détroit est capital en été : de juin à septembre 2023, ce sont ainsi 2,8 millions de passagers et 640.000 véhicules qui ont embarqué ou débarqué dans les ports marocains. Pour l’écrasante majorité de ces flux, le trajet maritime se résume à la traversée du détroit de Gibraltar.
Algésiras – Tanger Med, relation capitale pour le fret
Côté marocain, c’est principalement par le port de Tanger Med que s’effectue le transit. En 2023, le nombre de passagers y a atteint 2,7 millions. Cette augmentation de 30 % par rapport à 2022 a fait retrouver au port marocain son niveau d’activité d’avant la crise de la Covid-19.
On est encore loin, cependant, des 7 millions de passagers annuels que permettraient d’accueillir les huit postes à quai des terminaux passagers. Côté camions, ce sont 477.993 véhicules qui sont passés par Tanger Med en 2023, soit 4 % de plus que l’année précédente. Les huit postes à quai permettraient en théorie de traiter 700.000 camions par an.
Le port de Tanger Ville est moins concerné par le fret. La spécialité de ce port historique réside dans les relations maritimes rapides avec Tarifa, le port espagnol le plus proche des côtes marocaines. En 2023, cette liaison a concerné 1,7 million de passagers.
Reprise de FRS Iberia Maroc par DFDS
Du côté espagnol du détroit, c’est à Algésiras que se concentrent les navires. La relation Tanger-Algésiras est d’ailleurs la principale desservie par les deux armateurs espagnols, Transmediterránea et Baleària, qui assurent aussi la traversée entre la péninsule ibérique et l’enclave espagnole de Ceuta.
DFDS, pour sa part, est le seul armateur à opérer des traversées entre tous les ports du détroit de Gibraltar. La compagnie danoise a intégré, en janvier dernier, FRS Iberia Maroc, après l’annonce intervenue en septembre 2023 de son acquisition auprès du groupe allemand Förde Reederei Seetouristik, dont il constituait depuis 24 ans la filiale espagnole.
Employant 750 personnes, FRS Iberia Maroc exploitait sept navires : deux ro-pax et un ro-ro sur sa ligne principale, reliant Algésiras à Tanger Med, deux catamarans entre Algésiras et Ceuta, et deux autres entre Tarifa et Tanger Ville. Cela en faisait déjà un acteur important du transport maritime d’une rive à l’autre du détroit, avec des parts de marché de l’ordre de 28 % à 30 % selon les secteurs.
Depuis, sa prise de contrôle de FRS Iberia Maroc, DFDS a affecté un nouveau ro-pax d’une capacité de 1.800 m linéaires à la relation entre Tanger Med et Algésiras. En espérant sans doute maintenir ses parts de marché face à la concurrence grandissante d’AML sur le détroit de Gibraltar.