Le 14 décembre 2023, le vraquier MV Ruen est détourné à 380 milles marins (700 km) à l'est de l'île yéménite de Socotra. C'est le premier détournement réussi par des pirates somaliens depuis celui du tanker Aris 13 en 2017, lui-même inédit depuis 2012.
Depuis mi-décembre, l'agence de sécurité maritime britannique (UKMTO) a recensé six incidents au large des côtes somaliennes, allant de l'approche par des hommes armés (AK-47, lance-roquettes) au détournement de navire. La tendance s'est amorcée l'an dernier. En 2023, le pôle d'expertise français de sûreté maritime MICA Center avait relevé neuf incidents de piraterie au large de la Somalie, une "nouveauté" depuis plusieurs années.
"Plusieurs détournements de dhows [boutres typiques de l'océan Indien, NDLR] l'an dernier ont alerté certains observateurs sur le fait que des groupes de pirates somaliens pourraient être en train de se rééquiper avec des moyens permettant des attaques loin en mer", souligne Timothy Walker, chercheur à l'Institut des études de sécurité (ISS).
Un terrain de chasse ouvert
Les actes les plus significatifs "se sont concentrés sur la fin de l'année, presque de manière concomitante à ce qui s'est passé dans la partie mer Rouge, golfe d'Aden et Bab el-Mandeb", détaille Éric Jaslin, capitaine de frégate et commandant du MICA Center.
Depuis mi-novembre, les rebelles yéménites Houthis mènent des attaques dans cette zone sur des navires liés à Israël, en représailles à sa guerre menée contre le Hamas à Gaza après l'attaque du 7 octobre. "Presque au même moment, on a commencé à observer des phénomènes de piraterie contre des boutres au large du Puntland", souligne-t-il. Cette région somalienne à la pointe de la Corne de l'Afrique, baignée au nord par le golfe d'Aden et à l'est par l'océan Indien, est un repaire historique de piraterie.
Avec les attaques houthis, "beaucoup de navires ralentissent [à l'approche de la Corne de l'Afrique, NDLR], attendant des instructions pour passer ou non par la mer Rouge. Cela crée un terrain de chasse", souligne Timothy Walker. Et ce "terrain de chasse" s'est ouvert avec le déplacement de certaines forces navales de l'océan Indien vers la mer Rouge.
À Eyl, fief pirate du Puntland, on estime que ces attaques sont exagérées. Les habitants reconnaissent des incidents liés à la pêche illégale, problème récurrent dans l'océan Indien. De nombreux navires venus notamment d'Asie du Sud-Est, d'Iran, voire d'Europe viennent pêcher sans autorisation dans ces eaux, épuisant une des rares sources de revenus des habitants.
Cet "argument de type Robin des Bois, selon lequel ils combattent la pêche illégale" a souvent été utilisé par le passé par les pirates capturés, souligne Timothy Walker.
Une résurgence à grande échelle de la piraterie peu probable
Le détournement du 14 décembre 2023 est le cas le plus extrême, témoignant d'une menace qui s'est accrue dans cette zone de l'océan Indien, sur une route commerciale majeure.
Ces attaques n'augurent pas pour autant d'un retour en force des pirates somaliens, estiment les experts interrogés, soulignant l'importance de la réponse des forces internationales pour dissuader toute amplification du phénomène. Pour Omar Mahmood, chercheur à l'International Crisis Group, "il s'agit plus probablement d'une flambée que d'une résurgence à grande échelle", que les observateurs jugent peu probable.
Après un pic en 2011, les actes de piraterie ont fortement diminué avec le déploiement de batiments de guerre internationaux (opération "Atalanta" de l'UE, force internationale CTF-151, marine indienne...), la création de la PMPF ou l'installation de gardes armés à bord de navires commerciaux.