La "crise" du conteneur découlant de la congestion de la ligne régulière se répercute pour les chargeurs sur leur façon d'aborder la chaîne d'approvisionnement et leurs relations avec les armateurs. La SITL a donné lieu à un débat sur une situation qui pourrait bien redessiner l'architecture du transport maritime.
"Souvenons-nous juste un instant de la situation catastrophique des compagnies maritimes sur le plan financier à la fin de l'année 2019. Elles devaient de surcroît faire face à la mise en œuvre de l’IMO 2020 (baisse de la teneur en soufre des carburants marins, NDLR) qui a été finalement un succès", a rappelé Jérôme de Ricqlès, expert maritime chez Upply, qui intervenait dans l'une des conférences de la semaine de l’innovation de transport et de la logistique (SITL) le 13 septembre 2021. Fin 2019, le blank sailing était une arme défensive pour les compagnies maritimes.
À partir de mars 2020, tout a basculé avec la reprise de l’économie chinoise, il est devenu une arme offensive pour réguler le marché et le déséquilibre entre offre et demande. "Aujourd’hui, dans le transport maritime, la pandémie a supprimé la peak season. La régularité et la fluidité ont disparu. Les prévisions ne sont désormais plus possibles", a reconnu l'expert ligne régulière de la place de marché de transport de fret.
" Nous sommes conscients qu’il est difficile de fournir un service satisfaisant alors que nous enregistrons des résultats très satisfaisants", a réagi Claus Ellemann-Jensen, directeur général France de Hapag-Lloyd, après des années au service de Maersk.
À l’issue d’un premier semestre positif, le dirigeant anticipe une fin d’année tout aussi exceptionnelle et en forte croissance par rapport aux années noires qui ont précédé. "Nous cherchons à améliorer nos services en achetant ou faisant construire des navires et des conteneurs. Nous avons ainsi 656.000 EVP en commande. Nos relations avec les clients sont une vraie préoccupation. Nous veillons à fournir les informations les plus précises, pour permettre une organisation optimale de leur supply chain avec des solutions logistiques les plus adaptées à chacun. Il est important de travailler tous ensemble pour sortir de cette situation éprouvante pour tous".
Il a reconnu néanmoins "ne pas avoir de solution à offrir sur un plateau d’argent", ajoutant que, "contrairement à d’autres", la compagnie allemande n’avait "peut-être pas été très claire" avec ses clients "pour dire clairement avec qui elle souhaitait travailler". Hapag-Lloyd veut en tout cas repartir sur d’autres bases avec ses clients. Tout comme Maersk et CMA CGM, le représentant de l’armateur de porte-conteneurs a dit prioriser désormais des contrats de plus longue durée, de deux à trois ans au lieu de six mois. Le transporteur est le seul qui, à ce jour, a emboîté le pas à CMA CGM dans son gel de la hausse des taux de fret.
Des alternatives logistiques
Garder le contact avec sa clientèle et ses fournisseurs a également été le premier réflexe du commissionnaire de transport DSV Air & Sea, a reconnu Arnaud Zani, directeur général délégué, qui doit composer avec la durable congestion portuaire. Pour le dirigeant, il existe "des alternatives logistiques possibles" aux porte-conteneurs : le fret ferroviaire, avec notamment les trains de la Nouvelle Route de la soie entre la Chine et l’Europe, en est une. La réduction des envois est en revanche plus envisageable pour les PME/TPE. L’affrètement pour son propre compte en est un autre. À l’instar des "grands" chargeurs de la grande distribution.
"Nous avons connu de très grandes difficultés à trouver de la place sur les navires, a expliqué Yves Antoine, directeur transport et logistique d'Arkema, dont le fret maritime représente un volume 48.000 EVP par an. Nous avons fait face à des prix très élevés de transport maritime et subi par contrecoup d’autres hausses de coûts, par exemple sur les matières premières. Nous avons été contraints de reporter des business voire même perdu des ventes." Ce responsable ne peut que constater "un déséquilibre dans la relation commerciale" avec les compagnies "où les interlocuteurs n’écoutent pas, imposent des surcharges et font pour tout pour ne pas respecter les taux contractuels", a-t-il asséné.
Pour "demeurer le plus opérationnel possible", le responsable des flux a dit avoir suivi à la trace chaque embarquement tout en maintenant un contact permanent avec ses deux freight forwarders, sans les nommer : "c’est notre bras armé, un spécialiste incontournable, plus qu’un partenaire."
Yves Antoine a estimé avoir "perdu la main par rapport aux compagnies", avec lesquels il faut "bâtir une nouvelle relation".
Le chargeur a semblé faire le deuil d'un transport bon marché : "Les taux de fret à 500 dollars pour la Chine, c’est fini et c’est peut-être est-ce plus sain". À l’instar de nombreuses entreprises, Arkema est en train de revoir sa chaîne d’approvisionnement, réfléchit à des évolutions d'approvisionnement. Mais ces changements prennent du temps. "Nous cherchons à anticiper plus finement nos besoins de transport".
Besoin d’un réseau de ports
Parmi les enseignements de cette crise de la ligne régulière, Kris Danaradjou, directeur général adjoint d’Haropa-Port du Havre, retient notamment "le besoin d’avoir un réseau de ports pour desservir les hinterland" en Europe et pas seulement structuré autour de quelques places très importantes dans le range nord-européen.
Les "blank sailing" nécessitent une grande flexibilité des ports français mais permettent de capter de nouvelles escales. C’est sans doute un des effets positifs à cette crise : certains ports hexagonaux pourraient profiter du phénomène de congestion des grandes places portuaires dominantes. "Au cours du premier semestre 2021, 60 escales supplémentaires ont été gérées", a rappelé le responsable, faisant du Havre "un port de délestage sur les grandes lignes", qu’il ne désespère de convertir en escales régulières. Capter les meilleures lignes est un enjeu capital pour ce grand port fluvio-maritime, issu de la fusion des trois ports de l’axe Seine, qui peut "capitaliser sur sa multimodalité avec les modes ferroviaire et fluvial".
À la fin août 2021, le trafic de conteneurs de l’ensemble portuaire avaient atteint 1,8 MEVP et pourraient finir l’année à 3 MEVP. Ce serait l’un des meilleurs résultats de la décennie écoulée.
Les boîtes en question
En fin de conférence, Claus Ellemann-Jensen et Jérôme de Ricqlès se sont aventurés dans le jeu des prévisions. Pour le premier, la situation va rester difficile "au moins pour les six mois à venir". Le second n'entrevoit pas de sortie avant six à douze mois.
Pour l'expert d'Upply, il est désormais "important de recadencer, de remétronomiser les services des compagnies dans les ports. C’est peut-être la clé pour sortir de la crise, retrouver de la fluidité". Le retour à la normale comporte un risque, que plus personne n’ignore : trop de capacités sur le marché vont inéluctablement mettre sous pression la demande et les prix.
Le spécialiste de la ligne régulière n’oublie pas non plus la problématique de la disponibilité des conteneurs : "Les compagnies jouent actuellement le jeu sur le rapatriement des vides ce qu’elles ne faisaient pas au début de la crise. Mais il manque des conteneurs au niveau mondial et les capacités de production ou de location sont limitées. Pourquoi ne pas envisager la création d’une filière de fabrication en Europe ?".
À partir de mars 2020, tout a basculé avec la reprise de l’économie chinoise, il est devenu une arme offensive pour réguler le marché et le déséquilibre entre offre et demande. "Aujourd’hui, dans le transport maritime, la pandémie a supprimé la peak season. La régularité et la fluidité ont disparu. Les prévisions ne sont désormais plus possibles", a reconnu l'expert ligne régulière de la place de marché de transport de fret.
" Nous sommes conscients qu’il est difficile de fournir un service satisfaisant alors que nous enregistrons des résultats très satisfaisants", a réagi Claus Ellemann-Jensen, directeur général France de Hapag-Lloyd, après des années au service de Maersk.
À l’issue d’un premier semestre positif, le dirigeant anticipe une fin d’année tout aussi exceptionnelle et en forte croissance par rapport aux années noires qui ont précédé. "Nous cherchons à améliorer nos services en achetant ou faisant construire des navires et des conteneurs. Nous avons ainsi 656.000 EVP en commande. Nos relations avec les clients sont une vraie préoccupation. Nous veillons à fournir les informations les plus précises, pour permettre une organisation optimale de leur supply chain avec des solutions logistiques les plus adaptées à chacun. Il est important de travailler tous ensemble pour sortir de cette situation éprouvante pour tous".
Il a reconnu néanmoins "ne pas avoir de solution à offrir sur un plateau d’argent", ajoutant que, "contrairement à d’autres", la compagnie allemande n’avait "peut-être pas été très claire" avec ses clients "pour dire clairement avec qui elle souhaitait travailler". Hapag-Lloyd veut en tout cas repartir sur d’autres bases avec ses clients. Tout comme Maersk et CMA CGM, le représentant de l’armateur de porte-conteneurs a dit prioriser désormais des contrats de plus longue durée, de deux à trois ans au lieu de six mois. Le transporteur est le seul qui, à ce jour, a emboîté le pas à CMA CGM dans son gel de la hausse des taux de fret.
Des alternatives logistiques
Garder le contact avec sa clientèle et ses fournisseurs a également été le premier réflexe du commissionnaire de transport DSV Air & Sea, a reconnu Arnaud Zani, directeur général délégué, qui doit composer avec la durable congestion portuaire. Pour le dirigeant, il existe "des alternatives logistiques possibles" aux porte-conteneurs : le fret ferroviaire, avec notamment les trains de la Nouvelle Route de la soie entre la Chine et l’Europe, en est une. La réduction des envois est en revanche plus envisageable pour les PME/TPE. L’affrètement pour son propre compte en est un autre. À l’instar des "grands" chargeurs de la grande distribution.
"Nous avons connu de très grandes difficultés à trouver de la place sur les navires, a expliqué Yves Antoine, directeur transport et logistique d'Arkema, dont le fret maritime représente un volume 48.000 EVP par an. Nous avons fait face à des prix très élevés de transport maritime et subi par contrecoup d’autres hausses de coûts, par exemple sur les matières premières. Nous avons été contraints de reporter des business voire même perdu des ventes." Ce responsable ne peut que constater "un déséquilibre dans la relation commerciale" avec les compagnies "où les interlocuteurs n’écoutent pas, imposent des surcharges et font pour tout pour ne pas respecter les taux contractuels", a-t-il asséné.
Pour "demeurer le plus opérationnel possible", le responsable des flux a dit avoir suivi à la trace chaque embarquement tout en maintenant un contact permanent avec ses deux freight forwarders, sans les nommer : "c’est notre bras armé, un spécialiste incontournable, plus qu’un partenaire."
Yves Antoine a estimé avoir "perdu la main par rapport aux compagnies", avec lesquels il faut "bâtir une nouvelle relation".
Le chargeur a semblé faire le deuil d'un transport bon marché : "Les taux de fret à 500 dollars pour la Chine, c’est fini et c’est peut-être est-ce plus sain". À l’instar de nombreuses entreprises, Arkema est en train de revoir sa chaîne d’approvisionnement, réfléchit à des évolutions d'approvisionnement. Mais ces changements prennent du temps. "Nous cherchons à anticiper plus finement nos besoins de transport".
Besoin d’un réseau de ports
Parmi les enseignements de cette crise de la ligne régulière, Kris Danaradjou, directeur général adjoint d’Haropa-Port du Havre, retient notamment "le besoin d’avoir un réseau de ports pour desservir les hinterland" en Europe et pas seulement structuré autour de quelques places très importantes dans le range nord-européen.
Les "blank sailing" nécessitent une grande flexibilité des ports français mais permettent de capter de nouvelles escales. C’est sans doute un des effets positifs à cette crise : certains ports hexagonaux pourraient profiter du phénomène de congestion des grandes places portuaires dominantes. "Au cours du premier semestre 2021, 60 escales supplémentaires ont été gérées", a rappelé le responsable, faisant du Havre "un port de délestage sur les grandes lignes", qu’il ne désespère de convertir en escales régulières. Capter les meilleures lignes est un enjeu capital pour ce grand port fluvio-maritime, issu de la fusion des trois ports de l’axe Seine, qui peut "capitaliser sur sa multimodalité avec les modes ferroviaire et fluvial".
À la fin août 2021, le trafic de conteneurs de l’ensemble portuaire avaient atteint 1,8 MEVP et pourraient finir l’année à 3 MEVP. Ce serait l’un des meilleurs résultats de la décennie écoulée.
Les boîtes en question
En fin de conférence, Claus Ellemann-Jensen et Jérôme de Ricqlès se sont aventurés dans le jeu des prévisions. Pour le premier, la situation va rester difficile "au moins pour les six mois à venir". Le second n'entrevoit pas de sortie avant six à douze mois.
Pour l'expert d'Upply, il est désormais "important de recadencer, de remétronomiser les services des compagnies dans les ports. C’est peut-être la clé pour sortir de la crise, retrouver de la fluidité". Le retour à la normale comporte un risque, que plus personne n’ignore : trop de capacités sur le marché vont inéluctablement mettre sous pression la demande et les prix.
Le spécialiste de la ligne régulière n’oublie pas non plus la problématique de la disponibilité des conteneurs : "Les compagnies jouent actuellement le jeu sur le rapatriement des vides ce qu’elles ne faisaient pas au début de la crise. Mais il manque des conteneurs au niveau mondial et les capacités de production ou de location sont limitées. Pourquoi ne pas envisager la création d’une filière de fabrication en Europe ?".