Les enquêtes se suivent et la même question se pose inlassablement, quelle que soit la période couverte par la délégation de service publique octroyée par la collectivité de Corse pour la desserte maritime de la Corse au départ du port de Marseille.
Ces dernières années, ce dossier au long cours a peiné à trouver sa stabilité juridique à en juger par les multiples dispositifs transitoires de courte durée mis en œuvre. Alors que la Commission européenne ne cache plus son agacement à l'égard de ce système subventionné, dont le fondement a fait l’objet de nombreux rapports et critiques, la rédaction du cahier des charges a dû être âprement débattue.
Pour autant, Bruxelles a annoncé l'ouverture d'une nouvelle « enquête approfondie ». La Commission européenne devra cette fois déterminer si les compensations de service public accordées pour la desserte de la Corse entre 2023 et 2030 sont conformes aux règles de l'Union européenne en matière d’aides d'État.
853,6 M€ notifiés par la France
En 2022, l'Assemblée de Corse avait voté l'attribution d'une délégation de service public maritime pour sept ans, avec la possibilité de prolonger d’une année, à Corsica Linea et à La Méridionale, moyennant une compensation financière de 107 M€ par an.
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Depuis janvier 2023, ces deux entreprises se partagent donc, individuellement ou en coordination, les cinq liaisons entre l'île méditerranéenne (ports d'Ajaccio, Bastia, Propriano, L'Île-Rousse et Porto-Vecchio) et Marseille.
La France a notifié à Bruxelles une compensation de 853,6 M€ pour l'ensemble de la période.
Pour rappel, selon les règles de l'UE sur les aides d'État en matière de compensation de service public, les entreprises peuvent être indemnisées pour le coût supplémentaire lié à la fourniture d'un service public, mais sous réserve de certains critères strictement encadrés. Et ce afin de garantir qu'elles ne reçoivent pas de « surcompensation », a souligné Bruxelles.
Pas d'issue présagée
À ce stade, qui ne « préjuge en rien de son issue », a insisté l'autorité européenne de la concurrence, il s'agit de vérifier « si l'inclusion du transport de marchandises remorquées et des chauffeurs routiers dans les contrats est justifiée par un besoin de service public, compte tenu de l'existence déjà sur le marché d'une offre commerciale », depuis le port voisin de Toulon, en l'occurrence celle de la compagnie Corsica Ferries.
L'exécutif européen se demande également si le volume du trafic de marchandises prévu dans les contrats ne dépasse pas le besoin de service public identifié par les autorités.
Contentieux avec Corsica Linea
Cette enquête s’inscrit dans le contentieux qui oppose depuis des années la Collectivité de Corse et Corsica Ferries, leader opérant sous pavillon italien dans le transport de passagers entre la Corse et le continent.
Corsica Ferries avait confirmé en mars 2023 avoir déposé des recours en justice contre les cinq conventions entrées en vigueur le 1er janvier 2023.
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La compagnie, aux navires à la lignée jaune, qui dessert la Corse au départ de Toulon, a obtenu gain de cause à plusieurs reprises pour préjudice commercial ces dernières années. La Collectivité de Corse avait ainsi été condamnée par le conseil d'État le 29 septembre 2021 à lui verser plus de 96 M€ en réparation d'un préjudice lié au « subventionnement illégal » de la défunte SNCM, entre 2007 et 2013.
« Cette enquête européenne peut servir à désamorcer le contentieux avec Corsica Ferries », a déclaré François Alfonsi, député européen corse (EELV), qui ne désespère pas de faire admettre « les réalités de la Corse à l'administration européenne qui les méconnaît. »
Une grève à venir
Ce énième épisode intervient alors que la CGT des marins (redevenu majoritaire face aux Corses du STC) de Corsica Linea et de La Méridionale a annoncé deux jours de grève, les 11 et 12 mars, et ce, dans l’ensemble des ports desservis (Toulon, Nice, Marseille et les autres destinations).
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Le mouvement s'inscrit en réaction à l’ouverture, par la filiale de CMA CGM, d’une ligne vers l'Île-Rousse et Livourne au départ du port de Toulon.
La CGT des marins de Corsica Linea s’inquiète notamment du positionnement du Kalliste en obligation de service public (OSP) alors que « la Collectivité de Corse finance le même service en DSP [pour le fret, NDLR] entre Marseille et Île Rousse et que le rapport de l’Union européenne sur les DSP conteste les compensations versées à nos compagnies ».
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Adeline Descamps