Le Delta, épée de Damoclès sur le Nigeria

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Si le Sud-Est du Nigeria a été ces derniers mois aussi calme que l'eau stagnante de ses marécages irisés de pétrole, les chefs communautaires préviennent : les attaques sur les installations pétrolières qui avaient entraîné le géant africain en récession économique peuvent reprendre à tout moment. L'opération de charme envers les groupes armés, lancée par le vice-président Yemi Osinbajo, avait réussi à calmer les esprits et à interrompre les explosions incessantes d'oléoducs et de plateformes qui ont émaillé l'année 2016. Mais aujourd'hui, "les gars s'impatientent", confie Edwin Clark, leader communautaire qui a joué le rôle d'intermédiaire dans les négociations avec le gouvernement d'Abuja. "Ils n'arrêtent pas de m'appeler et de m'envoyer des messages pour se plaindre". Yemi Osinbajo, qui gouverne le pays en l'absence du chef de l'État, a réintroduit les paiements aux anciens rebelles, via le programme d'amnistie mis en place par la précédente administration, hissant tant bien que mal la production d'or noir à 1,7 million de barils par jour (contre 1,4 million à la même période l'année dernière). Mais les autres promesses faites lors des pourparlers de paix peinent à voir le jour - notamment la construction d'une université maritime et le nettoyage des marées noires successives dans cette région à l'environnement dévasté. "Le gouvernement a annoncé en mars qu'il investirait 10 milliards de dollars dans le Delta du Niger, mais l'argent fait défaut (dans les caisses de l'État) et cela devrait prendre un certain temps avant de voir des résultats", note Gail Anderson, analyste pour l'agence de conseil en énergie Wood Mackenzie.
"Tant que l'argent continuera à leur être versé, les militants resteront tranquilles. Mais s'ils arrêtent, la crise va reprendre", explique-t-elle.

Récession économique

Or, il n'y a pas pire moment pour le gouvernement nigérian, qui tire l'immense majorité de ses revenus du pétrole. Le géant africain est entré en récession et le peu d'espoir de sortir rapidement de la crise s'est effondré en même temps que le prix du baril, qui est repassé dernièrement sous la barre des 50 dollars.
De l'aveu du gouverneur de la Banque centrale, Godwin Emefiele, les améliorations économiques restent "fragiles".
Le ministre du Budget lui-même, Udoma Udo Udoma, a annoncé qu'il faudrait des "investissements privés massifs". Sans cela, il serait "très compliqué" de parvenir aux ambitions de croissance, estimée à 4,8 % pour 2018.
Pour l'instant, malgré les grands discours sur la diversification de son économie, le Nigeria dépend encore largement de ses exportations d'hydrocarbures. "Il faut faire avec ce que l'on a", concluait le ministre, insinuant que l'embellie ne peut se faire que si des accords solides sont réalisés dans le Delta.
Lors d'une rencontre cette semaine avec le vice-président Osinbajo, le Pan Niger Delta Forum (Pandef), représentant le Delta dans les négociations, avait donné au gouvernement jusqu'au 1er novembre pour tenir ses promesses.
Le vice-président a aussitôt réagi, réitérant sa volonté de résoudre la crise, et rassurant M. Clark : "Depuis le départ, nous prenons les demandes très au sérieux", a déclaré M. Osinbajo à l'issue d'une énième rencontre. "Nous y travaillons chaque jour".
Le Pandef a finalement retiré ses menaces, mais d'autres parties demandent un retrait immédiat et un retour aux violences.

"Croisés révolutionnaires"

Le 30 juillet, un nouveau groupe dissident, les Croisés révolutionnaires du Delta du Niger (Niger Delta Revolutionary Crusaders) a promis de reprendre les attaques au 31 septembre, refusant d'être représentés par le chef Clark et le Pandef.
"Rien sur place ne peut témoigner de la sincérité du gouvernement", ont affirmé les Croisés.
Des forces militaires restent déployées dans le Sud-Est du Nigeria, notamment pour tenter d'enrayer l'exploitation et le trafic de pétrole frelaté : un business qui s'élève à plusieurs millions de dollars, sur lequel prospèrent les rebelles.
"Nous constatons une résurgence des raffineries illégales", explique Dolapo Oni, analyste hydrocarbure pour Ecobank à Lagos.
Fin juillet, le géant Shell a d'ailleurs fermé un de ses plus gros circuits de canalisation, l'oléoduc Trans Niger, officiellement pour "des fuites", vraisemblablement dues à des sabotages par les militants rebelles qui récupèrent ainsi directement le pétrole brut.
La fermeture d'un tel oléoduc représente un lourd manque à gagner pour les caisses de l'État. Mais pour M. Oni, c'est un "moindre mal". "Ils (les rebelles) ont perdu le soutien des communautés alentours, donc il leur est plus difficile de mener des attaques de grandes envergures, de faire exploser les oléoducs par exemple", poursuit-il.
"Leur seule et unique option aujourd'hui est le pillage". Le pays a connu bien pire. Mais reste à savoir combien de temps le statu quo durera.

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