La conférence annuelle de l’IUMI qui s’est tenue à Chicago du 18 au 22 septembre, a fait état d'une augmentation des primes moyennes de 6 % en 2021. Comme expliquer l’amélioration du marché mondial ?
Frédéric Denèfle : La situation s’est globalement améliorée avec, pour les assureurs maritimes, des chiffres d’affaires en hausse, même si la croissance reste faible. En 2021, l’assurance maritime a totalisé au niveau mondial un chiffre d’affaires de plus de 33 Md$, dont 18,9 Md$ d’assurance sur facultés et 7,8 Md$ d’assurance sur corps. Le reste se réparti entre l’offshore, environ 3 Md$, et la protection et indemnisation (P&I).
L’amélioration est liée en partie à un effet de change, le dollar ayant augmenté par rapport à l’euro, à la livre ou au yen. La crise du Covid a aussi un impact certain, même si celui-ci n’est pas encore bien mesuré, puisque la pandémie s’est accompagnée d’une forte inflation et d’une réduction des échanges en volume, liée à l’engorgement portuaire et à la réduction des capacités de transport. La hausse des prix du pétrole et l’inflation généralisée doivent être analysées par les assureurs. Cette inflation va en effet augmenter mécaniquement le coût des sinistres, selon un phénomène qui n’est pas propre à l’assurance maritime mais que le secteur subit aussi.
Par quel marché le secteur est-il porté ?
F. D. : La hausse a concerné les corps de navires, les facultés ou l’offshore, à peu près dans les mêmes proportions, soit environ 6 %. Il y a une explication tout à fait simple : l’accroissement des volumes transportés ou de la valeur des équipements exploités. Pour l’offshore, les investissements augmentent quand le cours du pétrole est à la hausse, et ils entraînent une revalorisation des équipements. De même, la valeur des navires s’accroît lorsque la demande de transport maritime est plus importante.
Cela se solde systématiquement d’une hausse du taux des primes ?
F. D. : Si l’on a davantage de valeur en risque, la prime augmente même avec un taux identique, la prime étant calculée en pourcentage des valeurs. Je n’ai pas eu le sentiment que les taux des primes aient énormément augmenté, même si cela est plus difficile à analyser.
Est-ce que la nouvelle réglementation sur les émissions de gaz à effet de serre peut influencer l’assurabilité d’un navire ?
F. D. : Si un armateur se conforme à la réglementation, son navire peut être couvert. Dans le cas contraire, cela peut remettre en question son assurabilité. À chaque assureur son approche et elle peut aller d’une modification du niveau de prime jusqu’à un refus, en fonction du danger que représente le navire. Ce qui est certain, c’est que cela constitue pour l’assureur un critère visible d’analyse du risque ; les assureurs ne peuvent que le prendre en compte pour orienter leur décision. La réglementation a évolué très vite sur le sujet des émissions de gaz à effet de serre, et les assureurs doivent s’adapter pour décider s’ils couvrent ou non un navire, et à quelles conditions ils le font.
Quelles tendances observez-vous pour le marché de l’assurance maritime en 2022 ?
F. D. : Nous sommes encore dans une phase d’observation quant aux impacts de la guerre en Ukraine. Le régime de sanctions à l’encontre de la Russie va amener les assureurs à remettre à plat tout ce qui touche les activités en lien avec ce pays, et à questionner les partenariats commerciaux. La situation économique mondiale est fortement affectée par la situation en Ukraine et ses effets se traduisent par une réduction des échanges, et donc des valeurs en risque. Tout cela peut avoir un impact sur les primes.
Plusieurs phénomènes peuvent contrebalancer. La hausse du prix de l’énergie, tout d’abord, qui a pour effet mécanique d’augmenter la valeur des produits transportés. L’exportation maritime des céréales ukrainiennes est pour sa part soumise à très grande inconnue à savoir s’il sera pérennisé après la date d’échéance de l’accord le 22 novembre. S’il n’est pas reconduit, les assureurs vont se retrouver dans la même situation qu’avant le 22 juillet dernier, avec l’impossibilité pour l’Ukraine d’exporter ses céréales par voie maritime. Cela entraînera inexorablement un retour à des prix des matières premières agricoles très élevés, qui concernera tant le blé, l’orge, le tournesol et la farine que les fertilisants.
Les exportations maritimes de l’Ukraine ont-elles pu être assurées de façon satisfaisante ?
F. D. : D’après nos observations, les exportations maritimes ukrainiennes depuis le 22 juillet ont été assurées. Du moins en partie car, par définition, les assureurs ne voient pas les activités des acteurs qui n’ont pas souhaité s’assurer. Mais toutes les demandes qui ont été adressées ont reçu des propositions d’assurance.
L’IUMI, de même que d’autres instances représentant par exemple les armateurs, a été impliquée dans les discussions sur la mise en place sous l’égide des Nations unies. C’était la première fois que l’IUMI participait à ce type d’opération, qui avait pour but de montrer aux réseaux professionnels que le risque serait couvert par les assurances habituelles. Chaque assureur s’est ensuite positionné sur l’assurabilité des opérations.
De façon générale, l’impact des faits de guerre a toujours été pris en compte par l’assurance transport, que ce soit en mer, sur fleuve, sur rail ou dans les airs. Les assureurs ont toujours été sollicités pour mettre en place ce type de garantie. L’Ukraine, très observée par les assureurs maritime et transport, n’est d’ailleurs pas la seule région où les risques sont importants. C’est aussi le cas du golfe Persique, du passage au large du Yémen ou encore du golfe de Guinée avec la piraterie, même si la situation s’améliore dans cette dernière région.
Quelles seront vos priorités au cours de votre mandat à la tête de l’IUMI ?
F. D. : Au cours de ce mandat de deux ans, renouvelable une seule fois, je me dois en tant que président de faire des choix qui reflètent les aspirations des associations membres. En conséquence, je m’inscris dans la continuité, en particulier sur la prise en compte croissante des sujets environnementaux, sociaux et de gouvernance. Au-delà de la politique ESG, le deuxième sujet principal pour l’IUMI est l’éducation des professionnels au risque maritime et à l’assurance maritime.
Nous continuerons aussi nos travaux sur des sujets plus techniques. Jusqu’à 2018, les statistiques de l’IUMI se limitaient aux chiffres d’affaires des adhérents des différentes associations membres. Depuis, nous mettons en œuvre un système de collecte d’informations sur la sinistralité pour disposer d’une vision plus complète à la fois dans les corps et marchandises. Nous espérons, pour 2022, fournir des statistiques de plus en plus précises sur la sinistralité. C’est un moyen de faire de la prévention et de former aux risques, que ce soit les armateurs, chargeurs ou sociétés de classification. Cette meilleure connaissance permet aussi aux assureurs de mieux comprendre les causes, les coûts et la récurrence des sinistres.
Propos recueillis par Étienne Berrier