Les images ont fait le tour du monde. La vidéo est promise à une grande viralité tant les images sont spectaculaires. L’information a bénéficié d’un traitement « hot list » dans les médias généralistes dès l’ouverture des matinales ce 26 mars.
Le Francis Scott Key Bridge de Baltimore, un pont à quatre voies, long de 2,6 km et haut de 350 m, s’est incroyablement pulvérisé en quelques fragments de temps comme un fétu de paille, sans opposer de résistance, lorsqu’un de ses piliers a été percuté par le porte-conteneurs Dali vers 1h35 dans la nuit du 25 au 26 mars.
Favorable au passage de navires
L’effondrement de ce pont à poutres en porte-à-faux (structure Cantilever), dont la portée dégage le chenal de navigation, particulièrement utile pour le passage des navires de grand gabarit dans cette section du fleuve Patapsco, a entraîné dans sa chute des véhicules et une vingtaine de personnes (selon un premier bilan établi par le service des pompiers de Baltimore).
Côté navire, les membres d'équipage, y compris les deux pilotes américains (dont les témoignages seront essentiels pour comprendre ce qui s’est passé), sont sains et saufs. Aucun incident de pollution n’a été à cette heure relevé.
Sur une vidéo de surveillance d’une durée de trois minutes, on voit le navire s’écarter du chenal et se diriger droit sur le pilier mais les autorités de l'État du Maryland écartent tout acte de malveillance. On distingue aussi les feux des véhicules sur le pont qui, à cette heure, était heureusement peu fréquenté.
Passage clé vers la côte est-américaine
De construction relativement récente (2015), battant pavillon de Singapour, le porte-conteneurs (IMO 9697428) de 116 851 tpl et 9 962 EVP (chargé de 4 679 EVP) appartient, selon la base de données publiques, à Grace Ocean, une entreprise basée à Singapour, et dont la gestion a été confiée à Synergy Group, également basée à Singapour. L'assureur identifié – paramètre qui aura aussi son importance pour la suite – est le P&I Britannia.
Le navire est exploité par Maersk dans le cadre d’un affrètement, sur le service 2M entre l'Asie et la côte Est des États-Unis, l'escale de Baltimore ayant été intégrée en 2022.
Le gouverneur du Maryland, Wes Moore, a déclaré l'état d'urgence, a-t-il annoncé sur X, anciennement Twitter. En conséquence immédiate, la navigation est bloquée sur cette route importante pour le trafic océanique entre l’Asie et la côte est-américaine mais aussi pour l'axe nord/sud, bien que le port ait perdu ces deux dernières années huit connexions avec l'Amérique du Sud. Logé dans une grande ville industrielle, à environ 60 km de Washington, il joue son rôle sur la côte Est.
Terminaux inaccessibles
La plupart des terminaux – cinq terminaux publics et douze privés –, seront donc inaccessibles. Parmi eux, le Seagirt Marine Terminal (exploité par Ports America Chesapeake dans le cadre d’un partenariat public-privé de 50 ans), stratégique pour le conteneur avec ses sept grues post-Panamax, et le Dundalk (13 postes d'amarrage, 4 grues à conteneurs et un accès ferroviaire direct), terminal polyvalent essentiel au trafic ro-ro et de marchandises diverses (notamment les bobines d'acier).
Le port de Baltimore (52,3 Mt, 80,8 Md$ en 2023), le plus profond de la baie de Chesapeake, est le neuvième port américain mais sa proximité avec le Midwest, où sont localisés les principaux fabricants d'équipements et machines agricoles, en fait la première plateforme du pays pour le trafic des moissonneuses-batteuses, tracteurs et autres engins agricoles (1,3 Mt) et pour l'importation de pelles et de tractopelles.
Il pèse aussi parmi les ports du continent nord-américain pour le volume de fret roulant et l'import et l'export de véhicules légers (847 158 unités l'an dernier). Le premier armateur mondial de porte-voitures, le Norvégien Wallenius Wilhelmsen a choisi dernièrement le terminal de Dundalk pour en faire son hub sur la côte est-américaine.
Le port industriel est enfin le leader national pour le sucre et le gypse importés, au deuxième rang pour l'exportation de charbon et au sixième pour l'importation de café.
Escale sur les lignes Est-Ouest
Avec son tirant d’eau de 15,2 m, il est une escale pour les lignes Est-Ouest, ayant gagné en intérêt depuis l'élargissement du canal de Panama en 2016, qui a permis aux ports de la côte atlantique d’accueillir des navires plus grands, souvent en provenance d’Asie. En 2023, le port a traité 1,1 MEVP.
En août 2023, témoignant de ses capacités, il a accueilli le plus grand porte-conteneurs jamais traité, l'Evergreen Ever Max, un porte-conteneurs de 15 432 conteneurs EVP de 165 350 tpl, après avoir enregistré en juin le plus grand nombre de mouvements (6 383) pour un navire avec le Maersk Eindhorn.
Des perturbations à venir
L’événement intervient à un moment particulièrement délicat pour la côte est-américaine, dont l’accès est contraint par les restrictions en cours dans le Canal de Panama pour ne pas aggraver son déficit hydrique.
Il survient en outre alors que les échanges vont se tendre entre l’ILA, le syndicat représentant les 70 000 dockers et l’USMX, représentant les manutentionnaires des 36 ports côtiers de la côte. L’ ancienne convention régissant les droits et devoirs de part et d'autre arrive à expiration en septembre. Or, les négociations sont tendues en raison de désaccords profonds sur les augmentations de salaires et l'automatisation, selon le média Freight Waves.
Les mêmes enjeux ont bloqué les pourpalers de la côte ouest qui se sont éternisés pendant 13 mois avant que les deux parties prenantes apposent leur paraphe sur une convention collective en juin 2023 après des semaines de grève.
Les ports américains sur le chemin de la reprise
Depuis le début de l'année 2024, la consommation a repris outre-Atlantique et s'accompagne d'une croissance significative des volumes dans les principaux ports américains, après une période difficile de 15 mois postpandémiques, en particulier sur la côte Ouest.
Au plus fort des perturbations mondiales, les chargeurs ont privilégié les places portuaires des côtes de l'Est et du Golfe afin de contourner les problèmes logistiques de l'Ouest. Toutefois, les tendances récentes indiquent un retour aux préférences d'avant la pandémie.
Adeline Descamps