Les effets d’anticipation sont actuellement de grands alliés pour les transporteurs asiatiques de conteneurs, historiquement et traditionnellement bien positionnés sur les échanges entre l’Asie et les États-Unis, où les tarifs ont été supérieurs à ceux de toutes les autres routes. Le Chinois Cosco, le Coréen HMM, le Japonais ONE et les trois taïwanais Evergreen, Yang Ming et Wan Hai viennent d’enregistrer un très bon troisième trimestre. Le dernier quart de l’année, déjà bien entamé, ne devrait pas dépareiller. Au regard des signes d’amitié adressés par le futur président américain envers la Chine, ils auront encore le premier rôle dans la dernière scène de l’année.
Pour le choix de son représentant au Commerce, Donald Trump a désigné Jamieson Greer qui était, sous son précédent mandat, chef de cabinet du représentant au Commerce d’alors, Robert Lighthizer. Particulièrement critique vis-à-vis de la Chine, il avait participé aux décisions ayant mené à une guerre commerciale contre Pékin. Donald Trump n’a cependant pas attendu de le nommer pour lancer une guerre tarifaire verbale, promettant durant sa campagne de mettre en œuvre des droits de douane de 10 à 20 % sur toutes les importations américaines, avec des taux plus élevés pour la Chine, ainsi que d'autres mesures protectionnistes.
Cosco : un bénéfice en hausse de 250 %
Le groupe chinois Cosco/OOCL, numéro quatre mondial dans le transport de conteneurs, a déclaré un résultat net de 3,1 Md$ au troisième trimestre, bondissant de 375 % et un revenu d'exploitation de 4,2 Md$, soit près de 250 % de plus comparé au troisième trimestre 2023. C’est dire que sur la seule période entre juillet et septembre, il a enregistré plus de bénéfices que pendant toute l'année 2023. Ses revenus trimestriels ont augmenté de 74 % pour atteindre 9,85 Md$, tirés en partie par des volumes en hausse de 8,6 %, à 6,6 MEVP dont 4,6 MEVP (+ 10,8 %), transportés par le seul Cosco Shipping, et par un revenu moyen par EVP en hausse de 81 %, à 1 759 $.
Le thermomètre du secteur conteneurisé, le SCFI (Shanghai Containerized Freight Index), qui reflète le prix au comptant pour le fret conteneurisé de Shanghai vers une vingtaine de destinations dans le monde, a pourtant eu tendance à baisser au troisième trimestre. La période porte néanmoins le résultat net du groupe sur neuf mois à 5,5 Md$, soit une hausse de 79 % par rapport à la même période en 2023, avec un volume de 19 MEVP (contre 17,5 MEVP l’an dernier).
Avec sa marge d’exploitation de 39,3 %, le groupe coté à la bourse de Shanghai et de Hong Kong est à la traîne des autres spécialistes du transpacifique (Evergreen, HMM, ZIM, Wan Hai, Yang Ming), dont l’indicateur phare du secteur (Ebit, bénéfice avant déduction des charges, des produits d'intérêt et des impôts) caracole entre 44 et plus de 50 %. Entre janvier et septembre, le résultat d’exploitation approche les 8 Md$ (7,7 Md$).
ONE : Volumes en hausse de 7 %
Son concurrent direct dans le Top 10 mondial des armateurs de porte-conteneurs détonne depuis quelques exercices trimestriels et étonne. Après un démarrage difficile post-création, ONE, numéro six mondial, né de la fusion en 2018 des activités de conteneurs des trois premiers transporteurs japonais MOL, NYK et K-Line, a été porté par la période Covid et maintient la dynamique depuis. Son résultat net a explosé de 969 % en glissement annuel, soit 2 Md$ pour le seul troisième trimestre, résultant de ses chargements en hausse de 7 % (3,29 MEVP) par rapport à l'année précédente, et d'une augmentation significative (+ 55 %) de son revenu moyen par EVP, à 1 784 $.
Exploiter une forte capacité sur le trade le plus lucratif n'est cependant pas une garantie automatique de succès. Alors que le transporteur exploite 65 % de la flotte opère sur le trafic Asie-États-Unis, sa marge d’exploitation est inférieure aux autres spécialistes du marché, à 31,8 %. Comme ses pairs, la société japonaise, basée à Singapour, a relevé ses prévisions de bénéfices pour l'ensemble de l'année (en comptabilité japonaise, l'exercice financier court 1er avril 2024 au 30 mars 2025) de 2,7 à 3,3 Md$ mais anticipe des bénéfices d'exploitation en chute libre (- 92 %) sur la période octobre-mars par rapport aux six mois précédents, pour atteindre 210 M$ seulement. Pour le trimestre qui vient de s'écouler, la compagnie a clairement bénéficié d'une saison de pointe précoce (en juillet et août), les volumes ayant augmenté de 18 % d'une année sur l'autre de l'Asie vers l'Amérique du Nord « tandis que la congestion portuaire a également exercé une pression sur les taux ».
HMM : marge d'exploitation de 46 %
Numéro huit mondial avec 2,9 % de parts de marché mondial, la coréenne HMM a vu son bénéfice net du troisième trimestre multiplié par 18 pour atteindre 1,2 Md$, également porté par la vigueur du marché des conteneurs.
Le transporteur a enregistré une augmentation de 83 % en glissement annuel de son chiffre d'affaires (2,5 Md$) pour les trois mois et de 6,16 Md$ pour la période janvier-septembre. L’entreprise basée à Séoul et à Busan doit sa performance du troisième trimestre à son revenu moyen par EVP qui explose de plus de 115 % par rapport à l'année précédente avec 2 041 $ alors que ses volumes sont en baisse de 2,7 % (992 000 EVP).
HMM, autour de laquelle des rumeurs de vente (l’État sud-coréen est actionnaire à hauteur de 67,05 %), ont recommencé à circuler après une longue séquence pendant plus d’un an de tractations qui ont finalement capoté, se distingue de l’ensemble de l’industrie par sa marge d’exploitation de 46 %. La deuxième meilleure de la classe derrière Evergreen. Elle efface le souvenir de sa marge de seulement 1,2 % un an plus tôt.
Evergreen : bond vertigineux de sa rentabilité
Evergreen, qui contrôle la septième flotte mondiale par la capacité (1,72 MEVP) a triplé son bénéfice net trimestriel entre le troisième trimestre 2023 et 2024 pour atteindre 1,9 Md$. Les recettes de la société, basée à Taipei, ont plus que doublé pour atteindre 4,7 Md$. Le bénéfice d'exploitation (Ebit) a quant à lui largement dépassé les 2 Md$. Le transporteur n'a pas encore publié ses volumes et son revenu par EVP pour le trimestre. Toutefois, il a déjà fait état d'une augmentation considérable des volumes au cours du premier semestre de l'année, passant de 4 à 5,1 MEVP d'une année sur l'autre.
Le troisième trimestre a largement contribué au résultat net des neuf premiers mois de l’année (3,3 Md$, + 68 %) au cours desquels le plus grand transporteur taïwanais a déclaré un chiffre d’affaires de plus de 10 Md$ (+ 240 % en glissement annuel). À l’instar des transporteurs, qui se concentrent sur les activités spot transpacifiques, Evergreen a enregistré un bond vertigineux de ses marges au cours de la période, dépassant les 50 %.
Yang Ming : effet grève de la côte-est américaine
Les deux autres compagnies taïwanaises, Yang Ming et Wan Hai, dixième et onzième leaders mondiaux, affichent une croissance tout autant substantielle de leurs recettes et de leurs bénéfices nets. Celui de Yang Ming entre juillet et septembre a atteint 880 M$ (+ 900 % en glissement annuel). Les recettes trimestrielles ont également grimpé à 2,2 Md$ contre 1,07 Md$ pour la période correspondante de l'année dernière. Yang Ming reste toutefois prudent quant au dernier trimestre de cette année, ne pouvant plus compter sur les perturbations de la chaîne d'approvisionnement générées par la grève sur la côte est-américaine, qui a provoqué un phénomène d’anticipation et un transfert vers la côte ouest-américaine. « Il reste à voir si le pic d'expédition précédant le Nouvel An chinois se produira plus tôt à la fin de ce trimestre », a commenté la direction de Yang Ming.
Wan Hai : potentiel pour dépasser Yang Ming
Le bénéfice net de Wan Hai s'est élevé à 576 M$ au troisième trimestre, soit une croissance de plus de 600 % en glissement annuel, tandis que les recettes trimestrielles ont plus que doublé par rapport à l'année précédente pour atteindre près de 170 M$.
Au cours des dix premiers mois de l'année, Wan Hai a reçu 12 nouveaux navires alors que trois nouveaux navires de 13 000 EVP rejoindront sa flotte l'année prochaine. L’entreprise vient par ailleurs de passer sa deuxième commande importante de l'année. Les deux constructeurs sud-coréens, Samsung Heavy Industries et HD Hyundai Samho, ont été chargés de quatre navires à double carburant de 16 000 EVP chacun, d'une valeur combinée d'environ 1,5 à 1,6 Md$. Cet accord fait suite aux premières commandes de Wan Hai en août, pour 20 navires de 8 000 EVP fonctionnant au méthanol.
Ce dernier contrat, qui a porté son carnet de commandes à plus de 300 000 TEU, donne à l'entreprise le potentiel de dépasser Yang Ming et même ZIM, qui occupe la neuvième place, ce qui lui permettra d'entrer dans le top 10 dans un avenir proche.
Tout comme Evergreen, les marges d'exploitation des deux compagnies taïwanaises ont dépassé les 40 % au titre du dernier trimestre : 44,7 % pour Wan Hai, 44,4 pour Yang Ming.
Adeline Descamps
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