Plus encore que dans le monde du véhicule particulier, le design des véhicules industriels, des matériels et de leurs équipements est influencé par les usages. Dans le détail, son évolution, qui n’est pas toujours visible, a un impact sur les formes. « La digitalisation, qui se traduit par la multiplication des écrans, et la connectivité constituent les deux principaux facteurs qui influencent la manière de designer nos véhicules », explique Paul Daintree, le directeur du design de Renault Trucks. « Il ne s’agit pas seulement de remplacer certaines fonctionnalités, mais de les unifier et de concevoir la meilleure intégration possible », précise-t-il. L’installation de radars, de capteurs ou encore de caméras joue également un rôle important : « Le design n’est pas toujours perceptible de l’extérieur. Beaucoup d’éléments sont dessinés et disposés sous la carrosserie comme les systèmes d’aide à la conduite. » Parmi les chantiers actuels figurent à la fois la recherche de flexibilité et l’efficience aérodynamique afin de diminuer la consommation énergétique. Mais le constructeur a également intégré à sa démarche de design l’économie circulaire. « Depuis 2018, nous travaillons plus particulièrement la régénération et la mise à niveau de pièces », souligne Paul Daintree. Compte tenu de l’électrification des moteurs, une nouvelle dimension doit également être prise en considération : le silence. « L’un des enjeux que le développement de l’offre de véhicules électriques adresse tient au design du son. Dans les habitacles, il passe là encore par la présence des écrans. À l’extérieur, en revanche, la difficulté est réelle, car les besoins de refroidissement sont équivalents à ceux d’un moteur diesel. Il s’agit toutefois de travailler l’optimisation des flux d’air », détaille le directeur.
Le design est aussi affaire de méthode d’organisation. L’un des enjeux consiste dès lors à faire remonter l’information. « Depuis 18 mois, le studio de design a changé sa manière de travailler en s’ouvrant davantage sur l’extérieur, notamment vers nos clients, souligne Paul Daintree. En 2023, plus de 250 personnes n’appartenant pas au studio de design ont pu partager avec nous leurs idées, qu’il s’agisse de commerciaux de Renault Trucks ou de clients de la marque. Les outils de réalité augmentée facilitent d’ailleurs de telles pratiques. Les retours des clients sont particulièrement positifs. À titre d’exemple, nous avons intégré le fait que les conducteurs ont dorénavant besoin de davantage de lumière, car dans les environnements urbains, les éclairages publics ont tendance à diminuer. »
L’instantanéité et le besoin de retour d’information sont deux éléments mis en avant par Michelin, lesquels s’ajoutent à des besoins de prédictibilité. « Tout est ultra-connecté. Dans un contexte de communication instantanée se pose la question de trouver le moyen de donner une information simple et efficace à l’utilisateur, car la surinformation peut nuire à l’information. Il s’agit ainsi de se demander comment, quand on regarde un produit, celui-ci dit ce qu’il a à dire », avance Arnaud Larregain, designer produit industriel de Michelin. La tâche du design consiste notamment à permettre un retour à l’essentiel : « Le produit doit rassurer l’ensemble des utilisateurs, qu’il s’agisse d’un acheteur, d’un mécanicien ou d’un conducteur. Il convient de trouver un équilibre entre technologie et bon sens », explicite le designer. « Pour faire face à la résistance au roulement, nous travaillons depuis des années sur la sculpture 3D ou en creux cachés. Les sculptures peuvent parfois donner l’impression d’être fermées, mais il faut que le produit inspire la confiance à l’utilisateur, que ce dernier comprenne qu’il n’a pas à s’inquiéter. Nous travaillons dès lors beaucoup sur la perception du pneumatique », détaille Arnaud Larregain. La difficulté est d’autant plus grande que la performance du pneumatique est optimisée pour un produit aussi bien neuf qu’usé : « Comprendre qu’aller jusqu’au témoin d’usure ne constitue pas un risque est l’un des enjeux du design des enveloppes », ajoute-t-il. Les conditions de roulage jouent aussi sur le ressenti des utilisateurs : « Sur longue distance, les arrêts se font dans des environnements adaptés qui sont relativement sereins, alors qu’en ville le produit est sujet à de multiples aléas ainsi qu’à la rapidité des livraisons », souligne le designer. À l’instar de Renault Trucks, les retours du terrain sont indispensables à Michelin, raison pour laquelle de nombreux tests sont effectués : « Durant un processus de design, à un moment donné, il y a toujours une relation à une flotte afin de comprendre les besoins non seulement en termes de finition du produit, mais également de services associés voire de détecter des signaux faibles. »
Fruehauf, qui souligne des usages sévères et intensifs, insiste de son côté sur le besoin de polyvalence : « Depuis plusieurs années, Fruehauf réagit à une tendance dynamique et évolutive en répondant à des usages très variés et diversifiés pour un même véhicule : nos clients ont besoin de polyvalence et équipent leurs véhicules de sorte à pouvoir effectuer plusieurs types de transport différents avec une même semi-remorque », explique Philippe Le Pochat, directeur commercial et marketing de Fruehauf. Le fabricant de remorques et de semi-remorques intègre en outre à sa démarche design la sécurité lors de l’utilisation des matériels. « La conception des véhicules et l’offre d’équipements de sécurité doivent permettre aux utilisateurs de semi-remorques Fruehauf de prévenir les blessures et les troubles musculosquelettiques », explique le directeur commercial et marketing.
La transition énergétique joue également un rôle : « Sur le plan écologique, Fruehauf travaille au développement de matériels plus respectueux de l’environnement, afin de suivre la tendance de réduction des émissions dans le secteur du transport. C’est dans ce cadre qu’en 2021, Fruehauf a dévoilé au Salon Solutrans un concept de véhicule à essieu moteur alimenté par hydrogène. » Les différentes évolutions technologiques ou réglementaires guident, elles aussi, le design des véhicules. En 2024, Fruehauf a introduit de nouvelles options dans son offre. Il propose sa propre solution de surveillance de la température et de la pression des pneumatiques, développée par Aberg Connect, société du groupe Wielton. « Une offre télématique assure le suivi de l’état et de la localisation du véhicule en temps réel, permettant ainsi une sécurité accrue pour les chauffeurs et les transporteurs. Exclusivité de Fruehauf, elle a été également développée par Aberg Connect. Le “Safe-Control” constitue un ensemble de trois caméras qui permet une vue aérienne du véhicule à 270 degrés, retransmise sur un écran de contrôle positionné sur le tableau de bord du conducteur. Enfin, nous poursuivons le développement d’options visant à améliorer l’ergonomie et la sécurité des utilisateurs, avec par exemple le lancement prochain d’un toit électrique. » Ces façons de designer des produits et parfois des services peuvent aussi être complétées par des collaborations entre ces différents acteurs au bénéfice, là encore, de leurs usagers.