Marion Subtil : On commence effectivement à y voir plus clair, parce que des constructeurs s’engagent pour l’électrique. Jusqu’ici, ils le faisaient surtout pour le régional, mais aujourd’hui, même sur la longue distance, l’électrique est plus pertinent que l’hydrogène. Par ailleurs, les ambitions affirmées dans les directives européennes sont de déployer des bornes de recharge électrique pour véhicules lourds tous les 60 km (tous les 100 km dès 2025) le long des principaux corridors européens, alors que pour l’hydrogène ce sera une tous les 200 km sur certains d’entre eux à partir de 2030.
Nicolas meunier : Même si cette différence tient aussi à l’autonomie plus importante permise par l’hydrogène, il est certain que, pour la longue distance, l’électrique a toute sa place dans une réponse multi-énergie.
M. S. : Il s’agit de la prise en compte, non seulement des émissions liées à l’usage du véhicule, mais aussi celles induites par sa fabrication et par sa fin de vie. On sait que celles qui sont liées à la fabrication sont plus importantes pour l’électrique que pour un camion thermique standard, et les idées reçues s’arrêtent à cela. Or, sur l’ensemble du cycle de vie du véhicule, celles-ci se trouvent compensées. La fabrication d’un véhicule électrique émet certes deux fois plus que celle d’un thermique, mais 84 % moins sur son cycle de vie global.
M. S. : Avec les biocarburants, il y a une contrainte de disponibilité des ressources. Certaines permettent d’avoir un produit très décarbonant et très pratique, puisque l’on n’a pas besoin de changer de motorisation. Mais la décarbonation s’impose à tous les secteurs. C’est pourquoi, en matière de ressources, il y aura des arbitrages à faire.
N. M. : L’HVO est produit à partir de déchets, ce qui ne constitue pas une ressource inépuisable. Tous ne peuvent déjà pas être transformés en huile pour biocarburants. Par ailleurs, importer des huiles de cuisson usagées d’Asie, comme l’Union européenne le fait déjà, peut avoir des effets collatéraux délétères : si l’Asie venait à manquer de ces huiles, elle pourrait utiliser à la place celle de palme, responsable de déforestation. Tout comme l’industrie cosmétique le ferait si elle n’avait plus assez de graisses parce que l’aviation y aurait aussi recours. L’HVO est une bonne solution de transition, mais attention à ne pas trop surinvestir dans ces biocarburants.
M. S. : Oui, on entend beaucoup l’expression « gaz naturel », mais elle est trompeuse : il s’agit de carbone que l’on extrait du sol et que l’on remet dans l’air en roulant. Cela reste une énergie fossile, ne décarbonant qu’à la marge. Le bioGNC permet une décarbonation plus importante, mais il coûte plus cher et, là encore, il va y avoir des contraintes de ressource.
N. M. : Concrètement, la consommation annuelle en France est en moyenne de 500 TWh. Elle a un peu diminué depuis le début du conflit ukrainien, mais selon l’Ademe, la capacité de production du pays, de manière durable, serait de 120 à 140 TWh. Cela implique donc de diviser la consommation du pays, de manière durable, serait de 120 à 140 TWh. Cela implique donc de diviser la consommation par quatre. Bien sûr, le biogaz est plus utile pour le transport routier que pour une chaudière de bâtiment qui, elle, peut facilement être convertie en pompe à chaleur. Mais il est irréaliste d’espérer passer toute une flotte au gaz.
M. S. : Nous sommes bien au courant que le coût total de possession d’un véhicule électrique est aujourd’hui plus élevé que pour un thermique. Comme pour toute technologie, le prix devrait baisser, mais l’usage ne sera pas le même puisqu’il faut prévoir une pause pour la recharge et qu’il faudra encore du temps avant que le territoire soit bien couvert en bornes de charge rapide. Nous sommes aussi conscients des contraintes en matière de ressources, notamment pour les batteries.
N. M : C’est pourquoi il faut passer à une logique de partenariat avec les chargeurs. Le carbone peut être un levier de négociation avec eux. Aujourd’hui, nombre d’entre eux demandent à leurs prestataires transport des livraisons décarbonées, mais à iso prix. Au transporteur à dire plutôt : « Sur tel segment logistique, nous pouvons intervenir en véhicule électrique, mais il faut partager l’investissement, vous y avez intérêt parce que vous vous êtes engagés à réduire vos émissions globales. » Toutes les solutions coûteront de toute manière plus cher. Il faut l’accepter et travailler à les mettre en œuvre. C’est ce à quoi nous formons transporteurs et chargeurs.
N. M. : Nous formons les transporteurs à avoir des leviers de négociations. Cela commence par bien connaître de quoi on parle – le carbone – pour ne pas « se faire balader ». Cela consiste aussi à bien connaître son chargeur et ses émissions : celles-ci sont souvent publiques, et une directive européenne oblige à les dévoiler à partir de 2025. Enfin, il s’agit de bien définir la solution : a-t-on besoin de charge rapide ? Peut-il y avoir une borne au dépôt ?… Il y a là une vraie logique de partenariat à mettre en place. Mais nous sommes assez enthousiastes : bien qu’ils soient dans un secteur où les marges sont faibles, les transporteurs sont très volontaires pour la décarbonation.
1 Co-fondé par l’expert des enjeux énergie-climat et chantre de l’électrique Jean-Marc Jancovici, le cabinet Carbone 4 aide des transporteurs et certaines de leurs organisations à définir stratégie et plan d’actions pour la décarbonation.
(2) « Transport routier : quelles motorisations alternatives pour le climat ? Comparaison des émissions en cycle de vie, France et Europe », novembre 2020.