Emploi des travailleurs handicapés : le TRM peut mieux faire

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On compte dans le transport routier de marchandises environ 3,5 % de travailleurs en situation de handicap. Un chiffre bas, qu’il convient de lier à des raisons pratiques, mais aussi à des raisons humaines liées à des préjugés ou à des méconnaissances sur le handicap.

Alors qu’il était apprenti en chaudronnerie, à 16 ans, la vie d’Erwan Gandin bascule. Il est victime d’un accident de la route et perd l’usage de son bras gauche. « J’ai été arrêté pendant quatre ans et demi et j’ai dû réfléchir à ma reconversion. Mon père et mon cousin travaillant dans le transport, j’avais un intérêt pour les gros véhicules et j’ai décidé de passer mon permis poids lourd en 2018 », expose le conducteur routier de 24 ans. Erwan fait partie des 3,5 % de salariés en situation de handicap employés dans le transport routier de marchandises. Selon l’OPTL (2021), 2 906 entreprises du TRM sont soumises à l’obligation d’emploi de travailleurs handicapés, c’est-à-dire des entreprises de plus de 20 salariés qui doivent employer au moins 6 % de travailleurs en situation de handicap dans leurs effectifs. Dans le TRM, les postes de conducteurs routiers (considérés comme étant des emplois exigeant des conditions d’aptitude particulières) sont décomptés de l’effectif total. Pourtant, les entreprises concernées ne sont que 70 % à respecter cette obligation. « Les difficultés pour employer des personnes en situation de handicap sont de plusieurs ordres. Cela peut être lié à des problématiques de survie d’entreprise : plus on gère d’urgences, moins ce sujet est prioritaire. Il y a aussi la complexité administrative et puis, il ne faut pas le nier, malgré la sensibilisation réalisée, certaines entreprises ne sont pas intéressées par le sujet », concède Erwan Poumeroulie, responsable des affaires juridiques et sociales à la FNTR.

Erwan Gandin en a fait l’expérience : il a envoyé une soixantaine de candidatures avant de rencontrer Jérôme Saudrais, dirigeant d’Armoric Transports frigorifiques (35), une entreprise où 20 à 25 % des salariés sont porteurs d’un handicap. « À 16 ans, j’ai eu un accident de foot et un staphylocoque doré a failli me coûter ma jambe, j’ai passé plusieurs mois en centre de rééducation. L’histoire d’Erwan a fait écho à la mienne, expose le dirigeant. Il nous a démarchés trois fois pour un emploi, j’ai aimé sa force de caractère. On avait fait quelques bonnes années et je devais racheter un camion, donc j’ai mis une cabine de côté pour lui. » Jérôme Saudrais travaille de concert avec la médecine du travail, l’Aftral, Renault Trucks, Cap emploi et l’Agefiph pour adapter le camion au jeune homme : ajout d’un pommeau sur le volant, fonctions (vitres, feux…) déplacées à droite, adaptation de la sellette… « Aujourd’hui, Erwan a déjà roulé plus de 200 000 km sans accident, précise le dirigeant. Il est très bon conducteur, il est volontaire, a la tête sur les épaules. L’expérience est positive et très enrichissante. »

Une évaluation des capacités à la conduite

L’arrêté du 28 mars 2022 a changé le destin des personnes comme Erwan – qui présentent un handicap de l’appareil locomoteur – et des personnes sourdes, en rendant la conduite d’un PL possible. « L’arrêté de 2005 ne prenait pas en considération les évolutions technologiques, pointe Laurent Pottier, chargé de mission sur les approches sectorielles à la DMMES (Agefiph), pour la filière transport et logistique. Nous avons travaillé avec la sécurité routière pour montrer que les technologies permettent à ces personnes de conduire, grâce à une évaluation préalable. » La pré-évaluation des capacités à la formation (PECF) permet de mettre le candidat en conditions réelles, dans un camion et avec un simulateur de conduite, pour qu’il démontre ses capacités dans un environnement adapté à son handicap. « C’est un outil d’aide à la décision qui sert au médecin agréé, à l’inspecteur de la sécurité routière qui valide l’entrée en formation et les compensations du handicap, au référent handicap du centre de formation, au médecin du travail et ensuite à l’entreprise qui recrutera le candidat », ajoute Laurent Pottier. Créée en 2012 par l’Agefiph, l’Aftral et la FNTR Bretagne, elle a bénéficié jusqu’en 2022 à 361 personnes. Dans 22 % des cas, aucun aménagement n’est nécessaire (la boîte de vitesses automatique, quasi indispensable dans toutes les situations, n’est pas comptabilisée). La PECF a aussi l’avantage de réunir et de faire communiquer, autour d’un candidat, tous les acteurs du handicap. Un dialogue nécessaire, car le chemin n’est pas toujours aisé pour adapter un poste. Jérémy Soots, conducteur routier devenu paraplégique suite à un accident, a dû faire preuve de patience. Après le feu vert de la PECF, il rencontre David Sagnard, dirigeant des Transports Carpentier (62). Entre l’accompagnement par l’Agefiph pour la partie administrative et financière, la partie technique d’adaptation du camion avec une entreprise spécialisée, le travail d’un garage pour modifier le volant, l’installation du béquillage électrique, du système de décroche raccroche, les aléas multiples… « dix-huit mois se sont écoulés jusqu’à la mise en route du camion, soupire David Sagnard. Pour ceux qui voudraient faire comme nous, attention à leur capacité financière, car l’adaptation du véhicule peut avoir un coût important : hors coût classique d’un véhicule et subventions de l’Agefiph, nous avons eu un reste à charge de 50 000 €. Je ne me suis pas arrêté là et je sentais l’expérience et la motivation de Jérémy. »

Ouvrir la parole en entreprise

David Sagnard a embarqué toutes ses équipes pour préparer l’arrivée de Jérémy Soots : RH, responsable d’exploitation, commercial pour travailler l’acceptabilité avec le client… « Nos conducteurs sont contents de voir ce qu’on fait ; ils se disent que s’ils ont un souci, on saura s’adapter », analyse le dirigeant. Actuellement, on compterait trois conducteurs salariés en fauteuil roulant en France. « 80 % des handicaps sont invisibles et ils sont souvent liés à des TMS dont les causes peuvent être personnelles (maladies, accident…) et/ou professionnelles (usure, manutentions manuelles…), indique Émilie Boulin, responsable prévention, santé et sécurité au travail à l’AFT et ancienne ergonome. Selon moi, beaucoup de salariés sont en souffrance, mais considèrent à tort que c’est un problème personnel, n’en parlent pas et ne bénéficient d’aucun dispositif, ou craignent d’en parler et de faire l’objet de discrimination négative. » Amener le sujet dans les entreprises, avoir des dirigeants et services RH sensibilisés et au fait des dispositifs existants, adaptations possibles… facilite l’insertion des travailleurs en situation de handicap, mais aussi le maintien dans l’emploi de ceux dont la santé est affectée au cours de leur vie. « La RQTH (reconnaissance de la qualité de travailleur handicapé) est une démarche administrative pour se faire reconnaître, mais avant cela, encore faut-il que le salarié se sente en confiance, que les RH l’accompagnent, que des actions soient mises en place pour accompagner son maintien en poste… », ajoute la responsable. Erwan Poumeroulie le confirme : « Il y a un travail de sensibilisation collectif qui reste à faire à plusieurs niveaux : les chefs d’entreprise, mais aussi le management intermédiaire, les exploitants, salariés… »

Un diagnostic en cours

Erwan Gandin raconte que, quotidiennement, il fait face à des remarques d’autres conducteurs hors de son entreprise ou de nouveaux clients lui demandant s’il a « le droit de conduire ». « Parfois, c’est demandé gentiment. Parfois, on insiste en me disant que ce n’est pas normal, raconte-t-il, agacé. Le transport n’est encore pas très ouvert sur le handicap et je pense qu’il y a un problème de représentativité : il faut qu’il y ait plus d’entreprises qui franchissent le pas, pour montrer que c’est possible. » Un diagnostic de la situation des personnes en situation de handicap dans la branche est en cours par la FNTR ; il doit permettre de prioriser les actions à mener. Des discussions devraient avoir lieu au second semestre avec les organisations syndicales et pourraient permettre d’acter, par exemple, un appui administratif aux personnes souhaitant être embauchées, un soutien financier et matériel aux entreprises, des cursus de formation pour acculturer les chefs d’entreprise et managers… Laurent Pottier de l’Agefiph liste parmi les chantiers à mener les référentiels de formation qui doivent évoluer, le besoin de ressources pour identifier les nouvelles technologies permettant de compenser les handicaps… Il précise : « La majorité des handicaps étant invisibles, rappelons que dans beaucoup de cas, aucune adaptation n’est nécessaire à mettre en place pour le salarié. »

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