Pénurie de conducteurs, hausse des carburants, enjeux environnementaux, reprise de la dette de SNCF Réseau… « Le rail-route bénéficie d’un alignement des planètes », aime à rappeler Dominique Denormandie, le président du GNTC. Au service du report modal, son développement suppose toutefois d’avoir, à chaque extrémité de ses lignes, des chantiers de transbordement performants. C’est-à-dire en capacité d’absorber la croissance des flux au moyen d’outils de manutention modernes et sûrs, sur des surfaces à l’agencement optimisé voire extensible. Pour satisfaire cette condition, des investissements s’imposent sur les terminaux français « saturés ou en passe de l’être », alerte Jean-Claude Brunier. Pour le président du groupe Open Modal, présent sur tous les maillons du combiné via ses filiales TAB Rail Road (transport routier), T3M (opérateur rail-route), BTM (opérateur de terminaux) et Open Rail (entreprise ferroviaire), ces investissements « ne sont pas la première priorité de SNCF Réseau », propriétaire de la majorité des chantiers de transbordement en France.
Face à ce constat, le GNTC propose une nouvelle approche : « libérer les terminaux ». Autrement dit, « redonner au secteur privé la gestion de ces plateformes », précise Dominique Denormandie. « C’est indispensable au développement de notre activité et nous saurons trouver des solutions innovantes. Donnez-nous les moyens d’entretenir, de moderniser et d’investir suffisamment dans les infrastructures », adresse-t-il à l’attention des pouvoirs publics et de SNCF Réseau. À l’heure du débat sur la recherche de fonds pour financer les infrastructures de transport, cette proposition devrait les interpeller. D’autant que les opérateurs privés à Dourges Delta 3, ou à Rennes avec Transfer, filiale de Lahaye Global Logistics, par exemple, ont démontré leur efficacité et capacités à gérer des terminaux combinés. Elle intervient aussi à un moment où plusieurs collectivités territoriales souhaitent s’investir davantage dans des solutions intermodales et de mobilité durable à l’instar de l’Occitanie.
La demande du GNTC auprès des pouvoirs publics n’est pas un blanc-seing pour autant. « Sachant qu’il faut en moyenne quatre à cinq ans pour lancer une plateforme, rappelle son président, il nous faut réfléchir collectivement, avec tous les acteurs de notre filière et l’État, à un grand plan stratégique de création de plateformes ». Avec la participation de SNCF Réseau en particulier, ce plan aurait pour objectif de « donner une vision cohérente et coordonnée pour les quinze prochaines années ».
En parallèle, le groupement réitère sa demande en faveur de trains longs à 850 m et la mise en œuvre du gabarit P400. Moyen de massifier les flux et de renforcer la compétitivité du combiné, la généralisation des trains longs nécessite d’adapter le réseau notamment sur les faisceaux de réception et les voies de service. Quant au P400 présenté comme « une priorité et un vecteur de croissance », il s’inscrit dans la volonté des opérateurs de créer un standard européen susceptible de soutenir les trajets combinés longue distance. C’est d’ailleurs sur ce gabarit que DB Cargo, avec ses filiales européennes dont ECR en France, construit sa stratégie de corridors en Europe. Il guide aussi les investissements de quelques grands transporteurs routiers à l’image d’Alainé. Par la voix de son directeur général, Renaud Paulat, le groupe aura acquis 200 remorques P400 sur les exercices 2018 et 2019 « pour un coût quasi identique à l’achat de remorques classiques [+ 1 %, Ndlr] ».
Avec SNCF Réseau, le GNTC travaille actuellement sur les potentiels du gabarit P400 sur le réseau ferré national au sein du Comité des opérateurs du réseau (COOPERE). Par le biais de la plateforme aux services des opérateurs (PSOTC), un autre groupe de travail mené avec le gestionnaire d’infrastructures ferrées œuvre à améliorer la qualité de service du réseau. Autour de la fiabilité, de la ponctualité, de la gestion des sillons et des capacités, elle est une autre condition au développement du rail-route. Pour Dominique Denormandie, ces sujets trouveraient idéalement leur place au sein de la plateforme nationale fret en projet mais aussi dans la stratégie pour le fret ferroviaire prévue d’ici fin 2020 dans le projet de loi d’orientation des mobilités (LOM). Deux occasions pour consolider aussi le régime d’aides allouées au combiné. Le dispositif « d’aide à la pince » est suspendu au feu vert de la Commission européenne qu’Hervé Brulé (Direction générale des infrastructures, des transports et de la mer) estime « imminent ». Il est censé être pérennisé jusqu’en 2022 à hauteur de 27 M€ par an. Si ce mécanisme est appelé à s’enrichir d’une aide au lancement de train, les montants en jeu sont jugés « insuffisants » par le GNTC arguant le soutien versé dans d’autres pays, comme en Allemagne. Un effort sur le prix des sillons est notamment souhaité ainsi que la mise en œuvre d’une « fiscalité avantageuse pour les transporteurs routiers pratiquant le combiné ». Laquelle serait basée sur la valorisation financière des tonnes de CO2 économisées.
Avec la conclusion d’un partenariat entre le GNTC et le Cluster logistique de l’Occitanie WE 4 Log, l’un des temps forts de la Journée du transport combiné a été la présentation par Transfer de sa nouvelle ligne combinée, opérée depuis septembre entre Rennes et le port de Gennevilliers (92). Déjà connue pour la mise en œuvre de schémas multimodaux originaux pour la coopérative Sodiaal, E.Leclerc ou Danone Waters, la filiale de Lahaye Global Logistics (LGL) a conçu cette fois une solution sur mesure pour Razel-Bec, filiale du groupe Fayat. Pour l’entreprise TP et dans le cadre du prolongement de la ligne RER Eole, Transfer a pour mission d’acheminer pendant deux ans 28 000 voussoirs de 8 t, 2 m de large et 4 m de long chacun, fabriqués à Bruz, au sud de Rennes par Bonna Sabla (groupe Consolis) jusqu’au chantier Eole à Courbevoie. « Pour cet approvisionnement, un schéma 100 % routier s’est avéré impossible en raison de son coût et d’un manque de capacités disponibles », indique Matthieu Lahaye, directeur général de LGL. La Haye la place, Transfer enlève les voussoirs à Bruz au moyen de remorques routières capables d’en transporter quatre à la fois jusqu’à son terminal combiné rennais distant de 20 km. Chargés sur des wagons plateaux à un rythme de deux trains par semaine tractés par VFLI, filiale du groupe SNCF, les voussoirs rejoignent ensuite en saut de nuit le site de Paris Terminal SA à Gennevilliers. Là, ils alimentent un stock tampon qui approvisionne par route le chantier à une quinzaine de kilomètres au fur et à mesure de son avancement. Dans le sens retour, les navettes ferroviaires emportent des conteneurs pleins et vides vers la Bretagne. Pour cette logistique multimodale, Transfer intervient en qualité de transporteur, commissionnaire et opérateur combiné chargé de l’achat du train ; une première pour la filiale de LGL.
E. D.
Pour apporter des données précises sur le transport combiné en France, le GNTC a engagé un recensement sur la base des aides à la pince dont les premiers résultats ont été présentés le 9 octobre. Consolidant les techniques rail-route et fleuve-route, le combiné a transporté 908 000 unités de transport intermodal (UTI) l’an passé, hors flux en transit sur le territoire français : 72 % sur des trajets domestiques et 28 % dans le cadre de transports internationaux. En baisse de 2,5 % par rapport à 2017, sous l’effet des mouvements sociaux qui ont perturbé le réseau ferré en 2018, ce volume progresse de 4 % par rapport à 2016 en revanche, et représente un trafic de 9,1 milliards de tonnes-kilomètres (TK). Par technique, 70 % des UTI ont été transportées en rail-route à l’origine de 93 % des TK et 30 % en fleuve-route (7 % des TK). Hors autoroutes ferroviaires enfin, 16 045 trains de combiné ont été opérés en 2018 sur les liaisons nationales, un nombre en croissance de 6 %. Cette progression se confirme puisqu’à fin août 2019, près de 11 600 trains sont recensés sur ce périmètre représentant une nouvelle hausse de 6,6 %.