« Passer à des modes de manifestation différents »

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La fédération professionnelle a réuni ses instances le 4 septembre dernier. L’occasion de prendre le pouls du terrain et d’échanger sur la meilleure manière de faire reculer le gouvernement sur le train de mesures fiscales annoncées début juillet par Élisabeth Borne, la nouvelle ministre de la Transition écologique. Une certitude pour l’instant : pas question, comme s’y attend la presse nationale, de bloquer les routes. La FNTR, ainsi que l’OTRE et TLF, veulent rencontrer le Premier ministre et entendent privilégier des modes d’action alternatifs.
• L’Officiel des transporteurs : Votre fédération a réuni ses instances le 4 septembre. Au programme, entre autres sujets, le train de mesures fiscales annoncé au début de l’été en direction du TRM. Qu’en est-il ressorti ?

Florence Berthelot : Nous nous trouvons dans une période déterminante liée à des annonces gouvernementales qui, à l’exception du rabotage des deux centimes sur la ristourne gazole, ne visent pas l’ensemble du secteur du TRM. Certaines entreprises sont touchées par la suppression de la déduction forfaitaire spécifique (DFS), pas toutes, d’autres par le gazole non routier (GNR), d’autres encore par la fiscalité des entrepôts logistiques ou le malus sur les contrats courts… L’objectif de notre réunion a consisté à faire le point sur les simulations de coûts supplémentaires générés par ces mesures au sein des entreprises. Nous avons également pris le pouls de la perception qu’ont nos adhérents de la conjoncture économique. L’activité commence à décliner dans certains secteurs clients et le moral de nos chefs d’entreprise tend à décliner. C’est ce qui est ressorti de notre dernier baromètre de conjoncture. Le tout sur fond de ralentissement de la croissance à l’échelle européenne, notamment en Allemagne, notre premier client et fournisseur.

• Vous allez nous dire, par conséquent, que les annonces gouvernementales surviennent à un moment où la conjoncture commence à peser sur la santé des entreprises de TRM ?

F. B. : Oui, entre l’inquiétude des entreprises et les mesures annoncées, il semble y avoir une mauvaise conjonction. Nous avons effectué un calcul sous la forme d’une addition prenant en compte les quatre centimes de TICPE au moment de l’annulation de l’écotaxe [en 2015, Ndlr] et les deux centimes de ce début d’année. Cela représente un total de 1 Md€ dans les caisses de l’État. Ce chiffre est à mettre en perspective avec les annonces de Mme Borne, qui n’a cessé de répéter qu’elle cherchait 500 M€ [pour le financement des infrastructures, Ndlr]. En l’occurrence, elle a le double de cette somme à sa disposition. Nous l’avions rappelé, les deux centimes de rabotage constituent un manquement à la parole de l’État car les quatre centimes étaient présentés « pour solde de tout compte ». De plus, l’État prétend que le rabotage des deux centimes représente une enveloppe de 140 M€ alors que, d’après nos calculs, on est plutôt sur une somme de 190 M€. D’autre part, il y a la taxe sur les billets d’avion qui va abonder cette enveloppe de 360 M€, selon le gouvernement… Et puis nous avons eu à découvrir le rapport des comptes Transports de la nation. Il témoigne que les recettes de la route ont augmenté en 2018 et que les investissements ont parfaitement stagné.

• Se pose donc la question du fléchage de cet argent…

F. B. : C’est un puits sans fond. En réalité, cet argent ne sert pas à la régénération des infrastructures. Le problème ne vient donc pas d’un manque de recettes mais d’une mauvaise gestion des dépenses.

• Et d’une mauvaise volonté endémique des pouvoirs publics à l’encontre du TRM malgré la pédagogie de ses dirigeants patronaux ?

F. B. : En effet, un organisme comme le Citepa* l’indique : les camions représentent moins de 2 % du trafic routier, le TRM est le mode de transport qui a consenti les plus grands efforts en termes de réduction des NOx, des particules et des gaz à effet de serre. Mais le gouvernement préfère surfer sur la mauvaise image du TRM entretenue par les gouvernements précédents auprès de l’opinion publique et il dit : « On va faire payer les camions. » Nous sommes convaincus que ces deux centimes ne serviront pas aux infrastructures ni à la transition énergétique. Ils vont encore être destinés à combler des déficits ou alimenter des budgets. Nous voulons que le gouvernement nous explique sa politique en matière de transport routier de marchandises. En fait, le gouvernement ne possède pas de vision. Il est installé dans une politique court-termiste.

• Les organisations patronales (FNTR, TLF, OTRE, CSD) ont sollicité une audience auprès du Premier ministre. Qu’en attendez-vous ?

F. B. : La panoplie de mesures annoncées par le gouvernement engage divers ministères (Travail, Finances, Transports). Le Premier ministre est celui qui coordonne cet ensemble et c’est à lui de nous expliquer dans quelle direction il veut s’engager. Or, on constate que le gouvernement est en train de boucler sa loi de finances et que, sur les contrats courts, il y a des décrets qui sont parus. Nous ne sommes pas entendus ni écoutés… Notre inquiétude est que les arbitrages sur la loi de finances se déroulent d’ici à la fin de cette semaine, même si l’on sait que l’on peut encore agir par la suite.

• Le rabotage des deux centimes de la ristourne gazole semble être votre principal motif de grogne…

F. B. : Nous avons un problème sur les deux centimes car ils ne sont pas aisément répercutables en raison de la nature des indices qui figurent dans les contrats. Si rien ne change, les prix de transport vont considérablement augmenter. Seulement les prix de transport français. Donc, quid des transporteurs étrangers ? Comme pour justifier ses annonces, le gouvernement nous sert l’argument selon lequel il travaille activement pour le TRM français à Bruxelles dans le cadre des négociations sur le paquet Mobilité. Ce discours ne suffit pas pour justifier ces annonces, d’autant plus que nous continuons d’être durement concurrencés par des transporteurs qui ne s’approvisionnent pas en carburant en France et qui ne seront donc pas impactés par les deux centimes, ni d’ailleurs par les autres mesures fiscales.

• Les fédérations professionnelles du TRM – notamment la vôtre – privilégient depuis longtemps la voie de la pédagogie et du dialogue avec les pouvoirs publics pour valoriser la place du TRM français dans l’économie et pointer la fragilité de sa compétitivité. Pour autant, des mesures fiscales ou réglementaires continuent de s’abattre sur les entreprises. Comment se faire entendre et respecter ? N’avez-vous pas, vous fédérations, atteint vos limites ?

F. B. : C’est une question importante. Elle provoque des remises en question. Ce qui est troublant c’est que, en bilatéral, les institutionnels soulignent tous l’importance du secteur. Mais, dès qu’ils prennent une posture politique en public, ils retombent dans leurs travers. On sait bien par ailleurs que le secrétaire d’État aux Transports, Jean-Baptiste Djebbari, ne pèsera pas dans les décisions.

• Alors que faut-il faire pour se faire entendre ? Descendre dans la rue et se mobiliser comme d’autres secteurs le font lorsqu’ils se sentent menacés par certaines mesures ?

F. B. : S’il y a une action, elle sera unitaire. On a l’impression que tout le monde n’attend que cela – les journalistes de la presse grand public les premiers – que nous bloquions les routes. Et je pense que le gouvernement a peut-être en tête ce calcul, que nous y allions. Ils nous attendent…

Ce que nous observons, c’est que le président de la République aime aller à l’affrontement pour, au final, dire « j’ai triomphé de tout ». Et il n’aime pas les corps intermédiaires. On a affaire à un gouvernement qui dit : « On va voir les tenants de l’ancien monde nous mener les actions de l’ancien temps ». La réaction des professionnels est, à ce jour, la suivante : « Bloquer les routes ? On n’en est pas là pour le moment car on ne souhaite pas déranger les Français. De plus, l’activité étant au ralenti, perdre des journées d’exploitation ne serait pas opportun. » Les professionnels font pour l’instant le choix de manifester leur mécontentement autrement. Plusieurs idées ont été émises et nous devons les partager avec TLF et OTRE. Se manifester ne doit intervenir qu’après le constat d’échec du dialogue.

• Où en êtes-vous de votre demande au Premier ministre ?

F. B. : C’est un peu long mais on peut dire qu’un rendez-vous est en train de s’organiser.

• Avec le Premier ministre et pas son directeur de cabinet ?

F. B. : On ne veut pas de rendez-vous au ministère de l’Écologie ni au secrétariat d’État des Transports. Et si nous nous y rendons, c’est pour que l’on nous annonce quelque chose de concret.

• Ne craignez-vous pas, vous fédérations professionnelles, d’être débordés par des collectifs de transporteurs comme on en voit fleurir quelques-uns sur les réseaux sociaux ?

F. B. : Nos remontées du terrain n’en font pas état, pour l’instant, mais on sent cette colère qui monte. Dès juillet, nous avons averti qu’il pouvait y avoir des risques de débordement de la part de transporteurs qui ne sont pas encartés dans une organisation patronale et pour lesquels ce serait une question de survie. Je le répète, nous ne voulons pas tomber dans une sorte de piège qui pourrait être tendu par les pouvoirs publics et qui consisterait à nous discréditer auprès de l’opinion publique. Nous devons dépasser cela et passer à des modes de manifestation différents.

Nous, nous disons : « Nous faisons partie du problème, mais nous ne sommes pas la solution. »

*Centre interprofessionnel technique d’études de la pollution atmosphérique

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