Peut-on se passer du GAZOLE ?

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Étudier les alternatives au diesel et les moyens de valorisation des déchets ne correspond pas au cœur de métier d’un transporteur et logisticien comme STEF. Toutefois, cette entreprise s’intéresse à ces enjeux et les étudie.

Rencontrée dans le cadre du SELFI, salon de la logistique du froid, en mai dernier, Blandine Lanne est cheffe de projet chez STEF Transport pour la région Grand Ouest. Elle mène des études sur les carburants et sur les circuits de valorisation des biodéchets utilisables comme biocarburants. Son parcours rend son analyse particulièrement intéressante. « Je suis arrivée dans le transport il y a un an et demi, bercée par le propos ambiant qui diabolise le diesel et promet le meilleur de la part des nouvelles motorisations et des nouveaux carburants, explique-t-elle. En étudiant chaque option technique, j’ai constaté que certaines sont de fausses solutions. Il faut donc être prudent en déployant des technologies dont les impacts globaux sur l’environnement sont souvent occultés. La communication se fait aujourd’hui à propos des émissions “du réservoir au pot d’échappement”, au lieu d’envisager le cycle de vie de la matière dans son ensemble. »

Bien que les clients demandent des transports plus propres, ils ne sont pas forcément prêts à payer les surcoûts induits par cette évolution. « Les transporteurs regardent les nouvelles technologies, mais il leur est difficile d’accepter des contraintes supplémentaires. L’activité étant très tendue, elle ne permet pas d’augmenter le temps consacré à “faire le plein”, point particulièrement sensible avec les véhicules électriques. Les transporteurs cherchent donc des carburants alternatifs qui ont la facilité d’utilisation du gazole », poursuit Blandine Lanne, qui ajoute que les véhicules à motorisation alternative sont souvent peu polyvalents. Il est donc nécessaire de les maintenir sur des tournées spécifiques, ce qui met parfois l’exploitant en difficulté. Une autre contrainte est liée à l’emploi d’énergies différentes pour la propulsion du camion et pour la réfrigération de sa caisse. Pour cette seconde fonction, STEF a testé la cryogénie à l’azote liquide. Le logisticien l’a peu déployée en raison de son coût, de sa complexité et de craintes relatives à la sécurité. Toutefois, il recourt à la cryogénie dans le bassin lyonnais et à Chambéry, ce qui représente 70 porteurs et semi-remorques cryogéniques, soit moins de 3 % de la flotte STEF. Celle-ci étant en location financière, il est relativement facile de l’adapter rapidement aux évolutions de l’offre énergétique. À propos du choix de l’énergie, Stanislas Lemor, P-dg de STEF, déclarait le 21 juin dernier : « Le gaz nous apparaît comme une technologie de transition car les infrastructures manquent pour se ravitailler. Nous croyons davantage en la pile à hydrogène comme technique d’avenir, mais notre rôle n’est pas de prendre parti. Nous nous adaptons aux exigences des collectivités car nous sommes dans une logique d’accompagnement. Notre force réside dans le rythme de renouvellement de notre parc » (cf. OT n° 2981). Ce point de vue peut être nuancé par certaines réalités du terrain.

Le véhicule électrique est incompatible avec l’exploitation continue

Dès 2011, STEF a évalué un porteur 19 t à propulsion électrique réalisé par PVI sur la base d’un Renault Midlum. Avec une autonomie réelle de 100 km, le véhicule souffrait de temps de charge incompatibles avec les schémas d’utilisation des véhicules de distribution qui visent actuellement leur exploitation en continu, de 5 heures du matin à 17 heures pour les porteurs. Au surcoût des véhicules électriques s’ajouterait donc la nécessité de doubler la flotte. Blandine Lanne constate : « Les contraintes de recharge des véhicules électriques sont déconnectées des réalités du terrain et de l’activité quotidienne d’un logisticien, celle-ci étant fondée sur les défis qui lui sont imposés chaque jour par ses clients. » Quant à la prétendue propreté d’un véhicule électrique, la cheffe de projet rappelle la nécessité d’élargir notre perception de la pollution. « Je ne crois pas du tout à la “propreté” du véhicule électrique, confie-t-elle. On ne regarde aujourd’hui que ce qui sort du pot d’échappement et on favorise donc exagérément celui qui n’en a pas. Or il faut considérer les problèmes liés à une production d’électricité réellement verte, mais aussi l’impact environnemental et la consommation de ressources non renouvelables associés à la production des batteries, sans oublier les pertes en ligne dans le réseau de distribution ou la recyclablité des batteries qui ne sont que quelques-uns des points noirs d’un mode de propulsion qui se veut vert. » Et l’hydrogène ? Un véhicule à hydrogène est fondamentalement un véhicule électrique dont il partage tous les impacts environnementaux. Il y ajoute ceux de la production de l’hydrogène par électrolyse de l’eau (ou par reformage de méthane), de la compression de l’hydrogène et du faible rendement de la pile à combustible. Finalement, un véhicule à hydrogène consomme trois fois plus d’électricité qu’un véhicule électrique équipé uniquement de batteries. Le véhicule à hydrogène ne fait pas pour autant l’impasse sur la batterie puisque sa « pile à combustible » débite en général vers une batterie qui elle-même alimente le moteur. À cela s’ajoutent les problèmes non encore résolus de durée de vie de la membrane d’osmose dont la longévité reste à ce jour inférieure à celle du véhicule. Les transporteurs savent que la dangerosité de l’hydrogène est supérieure à celle du méthane. Leurs dépôts sont par ailleurs incompatibles avec la réglementation appliquée au stockage de plus d’une tonne d’hydrogène. Bien que l’hydrogène soit présenté comme le Graal, ses seuls avantages par rapport au véhicule électrique à batterie concernent un « temps de charge » réduit et une meilleure autonomie.

L’acceptabilité sociale des véhicules Iveco freine l’arrivée du GNC chez STEF

STEF n’exploite aucun véhicule fonctionnant au GNL, carburant qui offre pourtant une autonomie compatible avec la longue distance. Blandine Lanne souligne que « le GNL pose des problèmes d’avitaillement. Faire le plein en GNL expose le conducteur à un risque et nécessite une formation ». En revanche, faire le plein de GNC est relativement simple, propre et sûr. STEF a essayé à Strasbourg un Iveco Daily 6,5 t fonctionnant au GNC. Plus récemment, le logisticien a testé l’Iveco Stralis NP400 équipé du groupe Carrier Supra gaz et du dispositif d’avitaillement unique, partagé par les bouteilles du moteur de propulsion et par celles du groupe. Habitués à rouler avec des camions Scania, les chauffeurs de STEF ont évalué défavorablement l’environnement de conduite du Stralis. C’est donc l’acceptabilité sociale de ce modèle qui contrarie pour l’instant l’arrivée des véhicules Iveco gaz dans la flotte STEF. Cela pourrait évoluer prochainement avec le remplacement du Stralis par le S-Way dont la qualité perçue est améliorée. Les véhicules fonctionnant au gaz ne sont pleinement respectueux de l’environnement qu’en utilisant du bio-GNV. L’élevage étant une activité importante dans le Grand Ouest, il génère de grandes quantités d’effluents susceptibles d’être valorisés par méthanisation. La production agricole et les industries de transformation agro-alimentaires constituent également d’importants gisements de biodéchets (SPAn, sous-produits animaux) susceptibles d’être convertis en carburants sans impact défavorable sur l’environnement.

Des réglementations peu contraignantes

Celui qui produit des déchets doit normalement s’assurer de leur circuit de valorisation. Les réglementations existent, mais elles ne sont pas contraignantes, notamment à propos de la méthanisation des biodéchets. De très nombreux gisements échappent ainsi à la valorisation, notamment les déchets de cuisine et de tables (DCT) de la restauration hors domicile puisque seules quelques chaînes de restaurants font collecter leurs biodéchets afin de les méthaniser.

Chez les industriels, ce sont les conditions de stockage des biodéchets et la fréquence de leur collecte qui sont largement perfectibles. Pour être traités par méthanisation, DCT et SPAn doivent être en catégorie 3 (C3), ce qui correspond à l’absence de risque sanitaire élevé. Dès que la putréfaction commence, les matières passent en catégorie C2. Or, la réglementation demande leur maintien en catégorie C3. Pour y parvenir, il y a des recommandations, mais pas d’obligation. Il s’agit notamment de stocker, puis de transporter les DCT et SPAn C3 en les réfrigérant ou en les congelant, mais cette démarche est loin d’être généralisée. Une autre bonne pratique consisterait à les collecter et à les transporter quotidiennement. Dans ce dernier cas, le ramassage et la méthanisation des biodéchets chez l’industriel ou chez le restaurateur doivent avoir lieu au cours de la même journée. Toutefois, la production de chaque gisement de biodéchets considérée isolément ne permet pas d’optimiser et de rentabiliser ce schéma « jour pour jour ». Plus la logistique est rapide, moins elle optimise ses coûts. En pratique, les grands noms de la valorisation de déchets effectuent une tournée hebdomadaire de collecte des DCT et des SPAn C3. En raison de cette fréquence de collecte, ils ont le temps d’évoluer vers la catégorie C2, ce qui devrait entraîner l’application de mesures spécifiques. Face à ces entorses à la réglementation, les contrevenants s’exposent simplement à des rappels à la loi. Le producteur de déchets refuse de payer plus cher pour une solution réellement conforme à la réglementation puisqu’il peut se couvrir en déclarant ignorer les mauvaises pratiques de son prestataire.

Quand, pour respecter la réglementation, le logisticien propose deux tournées par semaine de collecte de déchets fermentescibles par camion frigorifique au lieu d’une tournée avec un fourgon sec, les surcoûts induits placent le logisticien hors marché.

Le coût de la logistique inversée appliquée aux biodéchets

Il y a par ailleurs un risque de contaminations croisées entre les denrées classiques et les biodéchets s’ils sont transportés dans le même camion. Toutefois, la réalité de ce risque est à ce jour mal évaluée.

Martin Brower assure la collecte des déchets des restaurants McDonald’s à l’aide des véhicules qui sont également utilisés pour leur approvisionnement. Dans le fourgon, une cloison mobile isole la cargaison réfrigérée des déchets de cartons et de plastiques. En assurant l’intégralité de l’approvisionnement de McDonald’s ainsi que la collecte de ses déchets, Martin Brower a pour particularité d’avoir cette chaîne de restauration rapide pour unique client. Pour un logisticien multi-clients comme STEF, le transport de déchets et d’aliments dans une même caisse pose des problèmes d’image et d’acceptabilité par ses clients.

Des pistes pour l’optimisation

« La valorisation par la méthanisation n’est pas la seule solution, rappelle Blandine Lanne. Il y en a d’autres qui dépendent du tissu économique et des gisements locaux. C’est au niveau local que les choses doivent bouger pour la valorisation des déchets. Il y a encore beaucoup de leviers d’optimisation, ne serait-ce qu’en mettant autour de la table les différents acteurs. Aujourd’hui, ce sont les industriels et les agriculteurs qui se regroupent. Ils gagneraient à échanger davantage avec les logisticiens et les producteurs de déchets ultimes ou finaux, y compris les restaurants. Aujourd’hui, le gisement méthanisable de la restauration hors domicile n’est pas exploité. » Selon elle, il faut avant tout s’adapter aux spécificités de chaque territoire. Le modèle favorable à l’environnement consiste à collecter les biodéchets, à produire du biocarburant à partir d’eux (y compris du biométhane), à récupérer la chaleur de la méthanisation au profit de l’industrie, et à recycler les huiles usagées en esters méthyliques, tout cela en boucles locales. À propos du carburant, un logisticien comme STEF peut adapter le carburant utilisé par l’une de ses agences aux ressources proches de celles-ci. Cela ne vaut toutefois que pour la flotte captive utilisée localement. L’intégralité de la flotte longue distance doit partager le même carburant afin d’assurer son interopérabilité. Chaque base logistique de STEF pourrait donc disposer d’un carburant produit et utilisé localement, ainsi que d’un carburant longue distance.

Et finalement, que choisir ?

À l’heure du choix, Blandine Lanne rappelle les qualités oubliées du diesel Euro VI : « Certains carburants comme le bioGNC sont prometteurs, mais il ne faut pas faire la guerre au diesel autant qu’on la fait aujourd’hui car le diesel Euro VI est très performant sur le plan environnemental. Face aux hybrides ou aux véhicules électriques, les véhicules diesel Euro VI restent pertinents si l’on envisage globalement les cycles de la matière et de l’énergie. Ils le sont d’autant plus si on les utilise avec un biodiesel de deuxième génération. » Pour la cheffe de projet, utiliser une énergie sans considérer les spécificités du territoire est une erreur. Selon elle, « le choix du carburant doit se fonder sur les ressources locales ».

Axibio Collecter les biodéchets DCT

Les déchets de cuisine et de table (DCT) constituent un important gisement de biodéchets méthanisables à ce jour sous-exploité. Axibio propose une solution innovante pour le traitement à la source des biodéchets de la restauration collective et commerciale. Installée dans le local à poubelles, la machine Axibio assure le compactage des biodéchets et facilite la mise en place de circuits courts de valorisation. L’enlèvement périodique s’effectue par caisses-palettes pleines (capacité de 600 litres). La fréquence des collectes est à la fois réduite et optimisée par cet équipement connecté. Axibio a été récompensé par le grand prix du jury lors des Trophées des services innovants 2018.

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