Les chiffres sont alarmants. Il manque aujourd’hui 60 000 conducteurs de poids-lourds en Allemagne. Chaque année, 30 000 routiers partent en retraite, et le mouvement des départs va s’accélérer dans les années à venir puisque les 560 000 salariés du secteur en République fédérale ont en moyenne plus de 50 ans. En contrepartie, seuls 3 600 jeunes ont entamé une formation de chauffeur routier l’an passé dans le pays. La pénurie concerne dans des proportions identiques les conducteurs de locomotive, et au-delà, tous les métiers de la logistique.
« Dans un tel contexte de pénurie, les nouvelles technologies deviennent encore plus intéressantes », souligne Christian Denthen, membre du directoire de DB Schenker. Au salon Transport Logistic, les nouvelles technologies et l’intelligence artificielle – considérées comme un moyen de pallier le manque en personnel qualifié – étaient au centre des débats et présentes à presque tous les stands.
Transporeon, start-up créée en 2000 à Ulm par quatre étudiants et qui compte désormais 600 salariés dans 16 pays, propose trois plateformes logistiques cloud, qui connectent 1 000 chargeurs, 65 000 transporteurs et 100 000 utilisateurs dans plus de 100 pays pour 25 langues, notamment en France. L’entreprise est l’un des rares opérateurs de solutions télématiques et d’applications pour conducteurs disponibles à la fois sur Android et iOS. L’application MOM App de Transporeon met en relation clients et transporteurs en temps réel. « Un camion sur quatre roule à vide en Allemagne, souligne Marc-Oliver Simon, le gérant de Transporeon. On ne peut se permettre un tel gaspillage de ressources humaines, étant donnée la pénurie en conducteurs dans le pays. Sans parler du temps d’attente moyen dans les phases de chargement-déchargement, qui est de quatre-vingt-dix minutes ! » Les applications de Transporeon, qui visent avant tout à mettre en contact clients et transporteurs pour éviter les trajets à vide, augmentent la rentabilité en fluidifiant et en rendant les flux plus transparents. Elles optimisent aussi la ressource rare que sont devenus les conducteurs de poids lourds.
Même profil IT chez RIO (qui doit son nom au mot « fleuve » en espagnol). La marque lancée en 2016 par Man Digital Solutions (filiale camions de Volkswagen appelée à entrer prochainement en Bourse sous le nom de Traton) présentait à Munich ses nouveaux services. « On offre une meilleure planification des transports, explique Joachim Wallenstein, chef du marketing de RIO. Le service s’adresse à tous, y compris aux petites entreprises, qui économisent ainsi du temps et améliorent la planification de leurs trajets. » Là encore, la ressource en personnel peut être optimisée.
Quelques allées plus loin dans les halles géantes de Munich, Timocom présente ses nouveautés en matière d’applications logistiques. « L’objectif est d’éviter la rupture médiatique – le mail avec pdf pour passer la commande, qui sera ensuite imprimé par la société de transport – qui coûte du temps et de l’argent », souligne le porte-parole de l’entreprise Gunnar Gburek. Timocom et son partenaire Cargoclix ont développé un outil pour optimiser le temps passé à la rampe de débarquement. « Avec Cargoclix, nous estimons exactement l’heure d’arrivée des camions. En cas de retard, ce système adapte l’ordre de chargement ou déchargement et fait passer un autre transporteur avant. Le marché dispose de peu de capacités en ressources humaines, que l’on ne peut pas gaspiller avec d’inutiles temps d’attente. »
« Optimiser le temps de chargement-déchargement permet d’optimiser le temps de travail des conducteurs, devenus rares, insiste Wolfgang Inninger, de l’institut de recherche Fraunhofer. Cela permet d’allonger le temps passé derrière le volant sans augmenter le temps de travail. Les conducteurs doivent souvent attendre quatre-vingt-dix minutes une fois arrivés à destination avant de pouvoir repartir. C’est un vrai problème. »
L’institut a étudié plusieurs scénarios qui optimiseraient la phase de chargement-déchargement. « On peut recourir à des véhicules autonomes sur le site de production, et/ou de déchargement, indique Wolfgang Inninger. Les véhicules autonomes ne sont pas autorisés à circuler sur la voie publique, mais des expériences sont déjà en cours sur des sites industriels. C’est le cas par exemple chez BASF. Le conducteur peut débarquer sa cargaison sur le véhicule autonome et repartir immédiatement. Un autre scénario serait que le conducteur prenne sa pause sur le site, dans un espace prévu, type lounge, pendant que sa cargaison serait déchargée de façon autonome, plutôt que d’attendre dans sa cabine. Là encore, le temps de travail est optimisé. » Pour l’expert, comme pour les autres intervenants du salon de Munich, l’automatisation niveau 4 des camions – qui permettrait par exemple au chauffeur d’accomplir des tâches administratives derrière le volant – relève encore de la fiction. « Malheureusement, selon les prévisions, ajoute Wolfgang Inninger, la profession de conducteur pourrait avoir totalement disparu, faute de candidats, avant que l’automatisation ait pu prendre le relais ! » À plus court terme, le platooning pourrait venir au secours d’une profession affectée par la pénurie en personnel qualifié. À Munich, DB Schenker a présenté les résultats de plus d’une année d’expérience de conduite en convoi, qui pourrait là aussi optimiser le recours aux conducteurs. L’expérience a été menée conjointement par MAN et DB Schenker sur l’autoroute A9 entre Munich et Nuremberg à partir d’avril 2018. Deux camions reliés par des moyens de communication électronique (capteurs électroniques, systèmes radar, caméras…) ont circulé pendant l’expérience en convoi, à 15 mètres de distance l’un de l’autre (au lieu des 50 mètres réglementaires), le premier guidant de fait le second, dont le conducteur ne devait intervenir qu’en cas d’urgence. Lorsque le conducteur de tête freine, le véhicule le suivant freine aussi automatiquement, avec un temps de décalage de quelques millisecondes. La conduite en convoi, ou platooning, doit, à terme, rationnaliser le trafic, limiter les bouchons et optimiser l’usage des routes, grâce à des convois pouvant atteindre cinq ou six véhicules. L’expérience avait notamment pour but d’observer les réactions des autres conducteurs – voitures comme motos notamment – tentés à l’occasion de s’infiltrer entre les deux véhicules du convoi, pour emprunter une sortie à la dernière minute par exemple. « Nous avons parcouru plus de 35 000 km, réalisés à 69 % en mode plateau, sans incidents, rapporte Christian Drenthen. Pour nous, l’expérience est très positive ; 40 % des transports européens pourraient être effectués en mode convoi. La conduite en convoi permet d’économiser 3 à 4 % de carburants. Et en moyenne, le conducteur n’a eu à intervenir que tous les 2 000 kilomètres. Concrètement, ça veut dire que le conducteur peut se concentrer sur les premiers et les derniers kilomètres de son trajet. Sa cabine se transforme en cockpit, et en mode semi-autonome, il pourrait un jour s’occuper à d’autres tâches, administratives par exemple, pendant la course. » Un gain de temps précieux dans un contexte de pénurie en personnel.