Andreas Scheuer était attendu au tournant. Le ministre conservateur des Transports, sous pression depuis que la coalition au pouvoir à Berlin a subi un véritable camouflet lors des élections européennes, au profit notamment des Verts, doit présenter d’ici à la fin de l’année la contribution de son secteur au plan climat promis par Angela Merkel. L’Allemagne, qui ne pourra tenir les objectifs qu’elle s’était fixés à l’horizon 2020, veut réduire d’ici à 2030 ses émissions de CO2 de 40 % par rapport à 1990 et entend parvenir à zéro émission dans les transports d’ici à 2050. Dans un contexte de hausse prévue du trafic marchandises de 40 % dans la même période, l’objectif a des allures de gageure. L’Allemagne, estiment les observateurs, ne pourra tenir ses engagements à moins de développer massivement le fret ferroviaire, qui ne représente aujourd’hui que 18 % du total, soit 107,3 milliards de tonnes par kilomètre. « Nous voulons passer à 25 % d’ici à 2030, souligne Joachim Berends, vice-président de VDV (Verkehrsunternehmen), la fédération allemande des entreprises de transport. L’année 2030, c’est demain, si on prend en considération les délais d’investissement colossaux dans le secteur. C’est ambitieux, mais c’est possible. »
Le développement du rail a joué un rôle de premier plan dans les podiums de discussion et les workshops lors du salon Transport Logistic de Munich. Dans son discours d’ouverture, Andreas Scheuer a ressorti des tiroirs le plan cadre concocté par son prédécesseur en 2016 et tombé, depuis, dans l’oubli. Qualifié par le ministre de « mégaprojet », le plan prévoit un développement des infrastructures, notamment les axes le long de la vallée du Rhin, le corridor vers l’Est et la Ruhr ainsi que les six principaux nœuds ferroviaires du pays : Hambourg, Cologne, Francfort, Ludwigshafen, Hanovre et Munich. Il prévoit également de passer à la vitesse supérieure dans le domaine de la numérisation et de l’innovation. « Le client attend la fourniture de données précises quant à l’ETA (Estimated Time of Arrival), insiste Jörg Mosolf, CEO de Mosolf SE. Les clients du rail doivent pouvoir localiser leur marchandise en temps réel. La digitalisation du rail est la base de l’automatisation, du développement des capacités et de processus fluides. » L’entrepreneur attend également de DB Cargo, la filiale marchandises de Deutsche Bahn, qu’elle développe son concept « derniers miles », entre gare et site de livraison. Autre défi, l’entreprise devra considérablement améliorer la ponctualité de ses transports. En 2018, seuls 75 % des trains longue distance sont arrivés à l’heure, au lieu des 82 % prévus.
« C’est une bonne chose, se félicite Christian Grotemeier, président de la fédération de la logistique BVL.digital. Mais il faut prendre en considération les attentes des utilisateurs. » Ce sont 340 des quelque 1 000 membres de la fédération qui ont répondu en amont du salon à un questionnaire détaillé sur leurs attentes face au rail. Les conclusions de l’enquête sont alarmantes : « 50 % de nos membres considèrent que le rail n’est pas assez compétitif, insiste Christian Grotemeier. Ils considèrent la route comme plus fiable et plus ponctuelle. Et la moitié d’entre eux n’ont jamais entendu parler du plan cadre du gouvernement ! »
« Dans notre métier, les marges sont tellement serrées que le rail ne peut devenir plus intéressant pour nous que si l’État intervient. Par exemple avec une politique fiscale incitative », souligne Axel Kröger, dirigeant du groupe de transport Konrad Zippel. « Le rail a été sous-financé, ajoute Joachim Berends. Il a manqué au moins un milliard d’euros de financement public par an pendant des décennies ! »
« Pour que le rail se développe, il faut que quelque chose se produise, résume Malte Lawrenz, président de VPI, la fédération allemande des entreprises de wagons marchandises. Tous les acteurs du secteur ont compris qu’il faut franchir un pas. Les entreprises sont engagées, investissent dans des projets innovants, collectent des données tout au long de la chaîne de transport, les partagent, essaient de développer des modèles commerciaux durables et compétitifs. » La digitalisation n’est plus simplement le fait d’entreprises isolées. Actuellement, l’ensemble du secteur travaille sur des solutions qui permettent la fluidité des données tout au long de la supply chain.