L’annonce du report du Brexit au 31 octobre a été fraîchement accueillie en Allemagne, le pays d’Europe qui serait le plus durement touché. Les milieux d’affaires ne cachent plus leur impatience, dénonçant l’incertitude créée par les reports à répétition de la date de sortie du Royaume-Uni de l’Union européenne. « Les effets négatifs de chaque nouvelle prolongation se rapprochent dangereusement des dégâts potentiels d’un Brexit sans accord », explique la fédération allemande de l’industrie (BDI), dans un communiqué. De son côté, la VDMA, principale fédération de la construction mécanique et de l’ingénierie, qui englobe la puissante industrie automobile, souligne que le secteur a « un besoin urgent de clarté sur le processus de sortie du Royaume-Uni de l’Union européenne ». « Il est de plus en plus difficile pour les entreprises de se préparer au Brexit si la date de retrait potentiel est constamment reportée », déclare Thilo Brodtmann, directeur général du VDMA. L’usine BMW d’Oxford, qui assemble la Mini pour toute l’Europe, avait décrété la fermeture de l’usine en avril pour utiliser les premières semaines du Brexit afin de rénover son site de production et de se préparer à adapter ses processus d’approvisionnement, de production et de livraison. « C’est symptomatique, commente Thomas Puls, spécialiste logistique de l’institut IW de Cologne, proche du patronat. Les entreprises tentent de mettre sur place des plans Brexit, et finalement tout est à refaire ! »
L’industrie automobile allemande serait la première touchée par le Brexit. Le secteur représente 30 % des 85 milliards d’euros de biens exportés de l’Allemagne vers la Grande-Bretagne. La perspective d’un Brexit dur serait particulièrement dramatique pour le secteur. Selon les estimations de la fédération Acea, 1 100 camions franchissent chaque jour la frontière britannique, rien que pour fournir en temps réel les pièces détachées nécessaires à la production automobile. « Les Britanniques ont calculé que si on allonge de deux minutes seulement par camion le temps passé à la frontière pour des procédures douanières, on aurait un bouchon de 30 km vers l’intérieur des terres à Douvres !, rappelle Mathias Dubbert, de la fédération des chambres de commerce et d’industrie allemande. Deux minutes bien sûr, ce n’est pas suffisant pour contrôler marchandises et papiers ! Alors les entreprises essaient de réagir. BMW par exemple, qui produit en temps réel, a loué un Antonov russe pour être sûr d’approvisionner par les airs son usine d’Oxford. S’il manque une vis de France ou d’Allemagne, c’est toute la chaîne de production qui est bloquée ! »
Second secteur concerné, la chimie et l’industrie pharmaceutique se préparent à de dures conséquences surtout en cas de Brexit désordonné. La fédération de la branche, VCI, table sur 200 millions d’euros de droits de douane par an, pour un volume d’exportation vers le Royaume-Uni de 11,2 milliards d’euros. La facture du Brexit pour la branche serait plus élevée encore si la Grande-Bretagne décidait d’instaurer des normes différentes de celles en vigueur au sein de l’Union européenne pour certains produits chimiques, tels que les pesticides. Au total, le Brexit pourrait coûter quelque 9 milliards d’euros à l’économie allemande, dont 3 milliards rien que pour l’industrie automobile. « Pour rester compétitive, la supply chain devra s’adapter », insiste Christian Kille, de l’institut IAL de l’université de Würzburg. Déjà, les échanges entre l’Allemagne et la Grande-Bretagne affichent un net recul, de l’ordre de 8 à 9 % pour l’industrie automobile, la chimie et les denrées alimentaires.
En parallèle, l’industrie allemande et le secteur des transports et de la logistique tentent depuis bientôt deux ans de s’adapter au contexte. L’État fédéral a promis la création de 900 postes dans les douanes, pour traiter les conséquences du Brexit. « Mais où trouver ces 900 personnes ? s’inquiète Niels Beuck, directeur au sein de la fédération allemande des transports et de la logistique (DSLV). On a affaire à une vraie pénurie en personnel qualifié. » Les ports allemands – notamment Duisburg (le plus grand port intérieur d’Europe, directement relié à Rotterdam via le Rhin) et les ports de la mer du Nord (Hambourg, Cuxhaven, Wilhelmshaven et Bremer-haven) pourraient jouer un rôle plus important à l’avenir, « notamment pour les liaisons directes entre l’Union européenne et l’Irlande, sans passer par la Grande-Bretagne », précise Mathias Dubbert. À Cuxhaven, la société Cuxport réalise actuellement 80 % de ses échanges avec la Grande-Bretagne. « Si la Grande-Bretagne quitte l’Union douanière, la part des échanges hors UE va grimper à 90 % du total », souligne Peter Zint, le président de Cuxport. La société – spécialisée dans le transport de remorques sans chauffeur et sans cabine et n’agissant pas dans le domaine du frais – est optimiste. « Nous affrétons un ferry par jour vers l’Angleterre. Si les démarches administratives durent plus longtemps, il suffira que les camions arrivent un peu plus tôt, sans pour autant immobiliser le chauffeur chez nous. Et nous avons agrandi nos surfaces de stockage d’un tiers l’an passé », précise Peter Zint. La fédération des transporteurs et de la logistique, DSLV, se dit elle aussi confiante. « La branche fera face aux nouveaux défis, assure le président Axel Plass. Mais nous avons l’habitude de travailler avec des pays qui ne font pas partie de l’Union européenne, comme la Norvège. » « Le Brexit peut être une chance pour le secteur, ajoute Niels Beuck. Les entreprises du transport ont déjà l’expérience des échanges avec des pays non membres de l’UE. Elles pourront conseiller leurs clients qui, eux, n’auraient pas encore cette expérience, et offrir un service supplémentaire. »