Nous ne connaissons pas les modalités du Brexit, il est donc impossible de se préparer de manière satisfaisante », expliquait en juin 2018 à l’OT un responsable de l’une des organisations professionnelles du TRM espagnol. Pendant les mois qui ont suivi, ces entités ont gardé un œil sur les péripéties du feuilleton de la sortie du Royaume-Uni de l’Union européenne mais leur attention a surtout été accaparée par la situation difficile du TRM en Espagne.
À la fin de l’année dernière, la profession avait menacé de se mettre en grève. L’ouverture de négociations avec le ministère de l’Équipement a calmé le jeu sans pour autant apporter des solutions aux problèmes de fond. Récemment, la volonté du gouvernent espagnol d’introduire les 44-tonnes, véritable ligne rouge pour la profession, a de nouveau inquiété les organisations professionnelles.
Il est vrai aussi que Madrid a tardé à réagir. Ce n’est que le 1er mars 2019 que le gouvernement a approuvé un décret-loi. Il contient un ensemble de mesures d’urgence applicables en cas de sortie du Royaume-Uni sans accord avec l’UE. Pour ce qui est du TRM, les dispositions concernent principalement la situation des conducteurs et des transporteurs britanniques qui ont une activité entre le Royaume-Uni et l’Espagne. L’Association du transport international routier (ASTIC), qui regroupe les entreprises ayant une activité internationale, a estimé que le décret-loi était « inefficace et insuffisant ». Il n’aborde pas « les vrais problèmes qui préoccupent les entreprises qui importent et exportent des marchandises, de même que celles qui effectuent le transport de celles-ci », selon l’association.
Les craintes de la profession concernent l’accès au marché britannique en termes d’autorisations. Elles tiennent surtout aux retards liés à la réinstauration des procédures douanières, à la mise en place de nouveaux contrôles et, en définitive, à l’apparition de gros embouteillages à Calais. L’ASTIC demande « une vision plus complète, une plus grande clarté » ainsi qu’un appui concret pour « minimiser ou pallier les effets négatifs qui sont sur le point de se produire ». « Les transporteurs seront la catégorie la plus affectée en cas de Brexit dur », a rappelé de son côté Juan José Alvarez, professeur de droit international privé à l’Université du Pays basque (UPV), lors d’une journée d’information célébrée en mars à Saint-Sébastien. Il a estimé que le décret-loi n’apportait pas de sécurité juridique aux transporteurs et pouvait même être déclaré non conforme à la Constitution en raison de l’absence de date d’entrée en vigueur.
Certes, le Brexit, même « hard », affectera moins l’Espagne que d’autres pays, comme l’a rappelé une étude récente de la Fondation Bertelsmann. En cas d’absence d’accord, la perte de richesse serait de 3,1 Md€ pour l’Espagne contre 7,7 Md€ pour la France. Reste que le Royaume-Uni est le cinquième client de l’Espagne (exportations : 5,7 Md€ en 2018) et le sixième fournisseur (importations : 3,7 Md€). Plus de la moitié des échanges avec ce pays s’effectuent par la route même si celui-ci ne représente que 3,5 % de l’activité internationale du TRM espagnol. Dans un contexte de ralentissement de l’activité du TRM, clairement perceptible pendant le quatrième trimestre de 2018, et de persistance des problèmes non résolus de la profession, le Brexit apparaît comme une difficulté additionnelle sans que des solutions soient visibles à l’horizon.
Le décret-loi 5/09, approuvé le 1er mars dernier par le gouvernement espagnol, contient une série de mesures d’urgence qui entreront en vigueur en cas de « hard Brexit ». Le volet sur le TRM prévoit que les chauffeurs qui résident et travaillent en Espagne et dont le permis de conduire est britannique, devront dans un délai maximum de neuf mois, échanger ce document contre un permis espagnol. Les entreprises de transport britannique pourront effectuer du transport international entre le Royaume-Uni et l’Espagne mais le cabotage leur sera interdit. Il faudra cependant pour cela qu’elles disposent de l’autorisation prévue par la législation britannique. Ces transporteurs devront, par ailleurs, respecter la réglementation européenne : temps de conduite et de repos, utilisation du tachygraphe, poids et dimension, travailleurs déplacés, etc. Enfin, un régime spécifique est prévu pour la circulation entre l’Espagne et Gibraltar.