Calculer la durée de travail d’un conducteur routier relève du casse-tête tant le régime est truffé d’exceptions à la règle générale. Le dernier arrêt de la Cour de cassation en date du 6 février dernier (n° 17-23723), relatif au repos compensateur d’un grand routier, témoigne de cette complexité. L’affaire concernait un conducteur longue distance qui réclamait à son employeur, la société Go Transports, le paiement de rappels de salaires et de diverses indemnités, après avoir pris sa retraite. La cour d’appel avait accueilli sa demande en condamnant l’employeur à lui régler une indemnité pour non-information et non-prise des repos compensateurs trimestriels. Pour les juges du fond, le repos compensateur trimestriel concerne toutes les heures supplémentaires quel que soit leur rang, tandis que la contrepartie obligatoire en repos concerne les heures supplémentaires effectuées au-delà du contingent. Selon eux, les deux dispositifs pouvaient donc se cumuler. Une décision que l’employeur a contestée en portant le litige au niveau de la Cour de cassation.
Rappelons que le temps de travail habituel du personnel roulant « grand routier » est appelé « temps de service » car il est soumis à un régime particulier. Dans le régime général, les heures effectuées au-delà de la durée légale, soit 35 heures hebdomadaires, représentent des heures supplémentaires. Mais pour un conducteur longue distance, les heures accomplies au-delà de 35 heures et jusqu’à 43 heures par semaine, ou 559 heures par trimestre, sont qualifiées de « temps de service » normal. C’est seulement à partir de la 44e heure que les heures de travail deviennent des « heures supplémentaires ». À noter cependant que les heures effectuées de la 36e à la 43e heure bénéficient d’un régime d’équivalence qui permet de les majorer à un taux de 25 % (50 % au-delà de 43 heures). Dans le régime classique, les heures supplémentaires au-delà du contingent annuel, ouvrent droit à des repos compensateurs. Dans le transport routier, c’est en fonction des heures supplémentaires accomplies sur le trimestre que le personnel roulant pourra bénéficier de « repos compensateur trimestriel obligatoire », aujourd’hui qualifié de « compensation obligatoire en repos trimestrielle » (art. R 3312-48 du code du transport). Ainsi, sur un trimestre, un conducteur longue distance a droit à 1 jour de repos à partir de la 41e heure et jusqu’à la 79e heure supplémentaire ; 1,5 jour à partir de la 80e heure et jusqu’à la 108e heure supplémentaire ; et 2,5 jours au-delà de la 108e heure supplémentaire. Dans le transport routier, le contingent annuel d’heures supplémentaires reste fixé à 195 heures. En l’espèce, ce contingent ayant été dépassé, la cour d’appel a alors appliqué le régime particulier du transport routier pour les heures effectuées dans le cadre du contingent mais elle a estimé que les heures au-delà du contingent devaient être soumises au régime général de repos compensateur. Un raisonnement que la Cour de cassation a refusé de suivre. Pour la Haute Cour, « les repos compensateurs trimestriels obligatoires prévus par le décret n° 83-40 du 26 janvier 1983 avaient seule vocation à s’appliquer, sans possibilité de cumul avec la contrepartie obligatoire en repos prévue par les dispositions du Code du travail ». En pratique, « la précision de la Cour de cassation est la bienvenue car il y avait un flou juridique en matière de repos relatif à ces heures effectuées au-delà du contingent annuel », apprécie Sabrina Lasfer, manager optimisation sociale chez STS, qui ajoute qu’« en fait, la question de la prise de repos représente un enjeu important pour un transporteur car si, par malheur, survient un accident avec le véhicule professionnel, les autorités ne manqueront pas de vérifier que le conducteur n’avait pas dépassé ses heures afin d’évaluer la responsabilité de son employeur, qui peut être pénalement engagée ». Précisons que les heures travaillées au-delà du contingent annuel doivent faire l’objet d’une information de l’inspecteur du travail.