Les caisses interprofessionnelles de congés payés existent depuis quatre-vingt-deux ans mais restent relativement méconnues. « Notre système est pourtant source d’économies pour l’entreprise », argumente Jean-Louis Duhamel, président de l’UCICP. Pour y remédier, l’UCICP (Union des caisses interprofessionnelles des congés payés, transports et activités connexes) qui rassemble la CICPRP, la caisse de Lyon (caisse interprofessionnelle des congés payés de la région rhodanienne) et celle de Marseille (Caisse interprofessionnelle des congés payés de la région méditerranéenne) a décidé d’organiser un colloque le 4 octobre à la Maison de la chimie à Paris afin de mieux se faire connaître, à la fois des adhérents potentiels et des personnalités politiques. Dans une entreprise, les employés peuvent être absents pour diverses raisons, et chaque absence est légiférée différemment. Certaines doivent être comptabilisées comme des temps de travail, d’autres pas. Dans le transport, la tâche se complexifie fortement puisque des spécificités, comme les heures d’équivalence, apparaissent. En outre, le personnel du secteur suit des horaires variables chaque mois. Alors comment être sûr de bien calculer les congés qui dépendent du salaire ? « Les caisses de congés payés ne font que cette tâche, ce qui sécurise la gestion, indique Nancy Noël, directrice des affaires sociales et juridiques à Union TLF. En cas de contentieux prud’homal sur les congés, les juges font confiance aux caisses. Elles représentent un avantage non seulement pour les petites entreprises mais aussi les grandes sociétés confrontées à des risques de contentieux plus élevés. » Beaucoup d’entreprises hésitent à adhérer aux caisses car les congés doivent être avancés dès la première année. Mais ensuite, plusieurs avantages leur sont proposés : abattement d’assiettes, taux unique d’accident du travail à 0,80 % ou encore exemption de cotisation AGS. « Au bout du compte, après la première année, les coûts des congés se trouvent allégés pour les entreprises, rappelle Nancy Noël. Il ne faut pas voir la caisse comme un coût mais plutôt comme une sorte d’épargne qui sécurise et facilite la gestion de l’entreprise. » En période de manque d’attractivité, la sécurisation des congés payés via une caisse peut aussi devenir un atout pour une entreprise. « Nous avons participé au forum emploi organisé place de la Concorde à Paris les 4 et 5 octobre avec des entreprises du transport, indique Yann Viguié, secrétaire général Île-de-France de l’OTRE. Et nous avons affaire à des personnes de la génération Y qui n’hésitent pas, dès l’entretien, à poser la question des congés. Nous devons nous y habituer si nous voulons trouver des salariés. » Les caisses de congés payés apparaissent ainsi comme un moyen de valoriser l’image de l’entreprise et de participer à l’attractivité du secteur. « À l’image du référentiel RSE (responsabilité sociétale des entreprises) élaboré dans le secteur de la logistique (voir p. 26), ce dispositif contribue à mettre en place un système vertueux en s’adaptant à de nouveaux modèles de travail », souligne Damien Pichereau, député de la Sarthe et secrétaire de la commission de l’aménagement du territoire. Néanmoins, sur les questions sociales, le secteur s’est depuis longtemps organisé, rappelle Nancy Noël : « Nous avons créé un observatoire des métiers ; le statut de coursier a été revu dans la convention collective ; des conditions sociales bénéfiques ont été mises en place, notamment en termes de protection sociale. » Mais actuellement, les chauffeurs deviennent difficiles à trouver, notamment à cause de l’image des conditions de travail des pays de l’Est. « Les salariés qui viennent des pays de l’Est ne se posent pas la question des conditions sociales », soutient Yann Viguié. « Une régulation des acteurs par les acteurs devient indispensable, car si ces conditions se dégradent trop, nous ne trouverons plus de chauffeurs », prévient François Poupard, directeur général de la DGITM (Direction générale des infrastructures des transports et de la mer).
Alors que des disruptions affectent diverses économies, notamment le transport, il faut garantir que chacun contribue à parts égales. Or, la profession se retrouve bousculée par une multiplication de plateformes collaboratives et le recours à la sous-traitance du dernier kilomètre par des auto-entrepreneurs. Outre une concurrence déloyale par rapport aux transporteurs qui paient des cotisations sociales pour leurs employés, le modèle pose la question des conditions de travail de ces nouveaux travailleurs, comme leur temps de repos. « Pour les chauffeurs VTC, les congés payés ne sont pas le souci numéro un, soutient Sayah Baaroun, secrétaire général du syndicat SCP VTC. Ils ne disposent déjà que de revenus limités, au point parfois de ne plus déclarer ce qu’ils gagnent. Le jour où un tarif minimum pour les conducteurs auto-entrepreneurs sera créé, on pourra se poser la question des congés payés. » Un « esclavagisme moderne » encouragé par le géant du e-commerce Amazon. Le groupe créé en 1995 et entré en Bourse en 1997 n’est rentable que depuis trois ans. « Ces entreprises peuvent subsister de longues années malgré un déficit, car elles sont valorisées en Bourse, relate Muriel Barnéoud, directrice de l’engagement sociétal au groupe La Poste. Entre-temps, beaucoup de valeurs ont été détruites, comme le financement d’éléments sociaux collectifs. » Face à la croissance exceptionnelle du e-commerce, de + 11 à 15 % chaque année depuis le début des années 2000, le messager a eu recours à la sous-traitance massive de colis. « Mais il faut se soucier de la manière dont on s’organise », souligne Muriel Barnéoud. Recherchant la rentabilité, l’entreprise repousse la pression sur les prix vers les sous-traitants. Lesquels s’avèrent souvent peu formés et se trouvent au contact des clients. Le groupe Amazon a annoncé début septembre l’achat de 20 000 vans Mercedes pour la livraison du dernier kilomètre aux États-Unis. Sans le statut de salarié, les conducteurs dépendront pourtant uniquement de cette société puisqu’ils ne pourront livrer que pour elle. « Bien que ces nouvelles formes de travail permettent souvent l’intégration sociale de ces recrues, nous devons les former et mettre en place des droits pour les reconnaître », plaide Muriel Barnéoud. Face à cette évolution se pose la question des congés payés et donc du repos pour ces nouveaux employés. « S’il se produit un accident demain, qui sera responsable ?, s’interroge Damien Pichereau. Il faut pousser l’État à élargir l’idée du repos à ces nouvelles formes d’emploi. » Pour Élisabeth Charrier, secrétaire générale Centre et Île-de-France de la FNTR, « un problème de terminologie se pose entre le salarié et l’auto-entrepreneur, car les gens cherchent un travail quelle que soit la forme contractuelle. La flexibilité et l’individualisation sont des critères de plus en plus plébiscités par les jeunes. Il faut donc réfléchir à un modèle qui engloberait toutes les compétences pour le salarié ou l’auto-entrepreneur, comme la portabilité des droits en matière de prévention et la sécurité des droits comme les congés, et ce jusqu’à la fin de la carrière, indique-t-elle.
Alors que la France traverse des modifications économiques, sociales et réglementaires, « les caisses de congés payés doivent trouver leur place dans un modèle vertueux, moderne et humaniste », conclut Jean-Louis Duhamel, président de l’UCICP, qui ajoute réfléchir à l’extension de la caisse à d’autres secteurs. Quant à l’élargissement aux auto-entrepreneurs, les frontières avec le salariat demeurent encore trop floues. Qui paierait les congés ? L’auto-entrepreneur, qui ne dispose que d’un faible chiffre d’affaires ? La plateforme, qui ne salarie pas ses collaborateurs ? « Un équilibre reste à trouver », estime Jean-Louis Duhamel.