Xavier Bertrand : Cela fait deux ans et demi que l’on sait à quel moment sera mis en œuvre le Brexit. Mais le sommet de l’État français a tardé à prendre conscience de la nouvelle donne et des risques qu’elle engendrait. Cependant, certains ministres comme Gérald Darmanin, également ministre des Douanes, a pris la mesure des difficultés liées au Brexit, notamment lorsqu’il est venu en déplacement à Dunkerque en juillet. Mais ce n’est pas le cas des autres ministres. Particulièrement le ministère de l’Agriculture, qui doit nous apporter des réponses sur les experts vétérinaires et agricoles. Où sont-ils ? Combien seront-ils ? Quand seront-ils sur le terrain ? De la même façon, le ministère de l’Économie doit nous éclairer sur la question des risques de trésorerie pour les entreprises affectées par un Brexit dur, le ministère des Transports sur la question du secteur de la logistique, qui sera impacté, le ministère de l’Intérieur sur la question des visas. Il faut des contrôles allégés pour les douanes et que le ministère de l’Intérieur prévoie dès maintenant le renforcement des effectifs de la PAF, comme le demande le préfet de Région. Il faut reconnaître que, mis à part le ministre des douanes, l’engagement des ministres reste flou. De plus, le coordinateur national Brexit, Vincent Pourquery de Boisserin, n’a été nommé que le 2 octobre ! Pour cela, il a fallu que le préfet des Hauts-de-France, Michel Lalande sonne le tocsin dans une note, il y a quelques jours.
X.B. : Nous travaillons déjà avec ce secteur main dans la main depuis des mois afin de trouver des solutions pour maintenir la fluidité sur les ports et dans le tunnel. Nous œuvrons également depuis longtemps avec le secteur du transport britannique. La question de la fluidité reste essentielle car, derrière elle, ce sont des dizaines d’emploi en jeu. Deux minutes de contrôle supplémentaire par camion signifient 27 kilomètres de bouchon, par conséquent une économie complètement à l’arrêt. Ce qui se traduit par un problème d’approvisionnement, de sécurité civile et des blocages sur plusieurs jours. Je veux éviter cela. Nous avons donc demandé au ministère des Douanes de prendre en compte ce problème. Nous réfléchissons ensemble à la manière d’éviter des contrôles physiques à Calais et à Dunkerque et pour voir comment effectuer toutes les formalités en amont. C’est-à-dire des solutions de dématérialisation et de digitalisation pour échapper aux fameuses deux minutes, synonymes de chaos.
X.B. : C’est ce que je viens d’indiquer au comité stratégique qui s’est tenu ce lundi 8 octobre. J’ai demandé aux ports et au tunnel d’aider leurs clients à se moderniser très vite pour éviter qu’ils ne soient bloqués à cause de cette absence de digitalisation. Je leur ai rappelé que c’était aussi leur problème. Comme dans l’industrie, où les donneurs d’ordre ont une responsabilité par rapport à leurs sous-traitants, les grandes institutions des ports et tunnels ont également une responsabilité vis-à-vis des transporteurs. Elles doivent les aider et les accompagner. On pourrait penser que ce n’est pas le rôle d’un président de Région d’intervenir dans ce type de relation, et pourtant je le fais, car j’estime que c’est mon boulot. Personne ne doit être laissé sur le côté.
X.B. : En effet, nous avons réussi à faire rectifier la position de la Commission. Pour nous, il était inimaginable que les ports des Hauts-de-France ne soient pas inscrits dans le corridor. J’avais tiré la sonnette d’alarme dès cet été. Il n’était pas question que la Région soit pénalisée par ce nouveau tracé alors même que nous avons toujours joué la carte européenne. Nous avons obtenu gain de cause, grâce à l’union sacrée que nous avons formée contre le projet, avec les eurodéputés de la commission transport, Karima Delli et Dominique Riquet par exemple, ainsi que le gouvernement français. Suite à la lettre que je lui avais envoyée, j’ai pu m’entretenir avec la commissaire Bulc, qui m’a confirmé que les choses rentreraient dans l’ordre. Dès lors, je n’ai aucune raison de douter de l’issue positive de cette question, d’autant plus que je ne suis pas quelqu’un qui doute de l’Europe par principe comme certains. L’intervention de Mme Delli sur ce dossier comporte une dimension prospective. C’est-à-dire que cela ne consiste pas seulement à remettre les ports dans le corridor mais aussi à donner une vision de l’après-Brexit.
Si l’on veut éviter le mur du Brexit, c’est-à-dire se le prendre en pleine face, l’Union européenne doit absolument trouver les moyens de signer un « deal » avec la Grande-Bretagne. De son côté, le gouvernement français doit se réveiller totalement et être très présent sur tous les secteurs. Il faut aussi que nous jouions en équipe. Celui qui penserait qu’il est possible de gagner une part de marché au détriment d’un autre acteur régional se trompe complètement. Derrière tout cela se joue une concurrence entre les territoires. Je n’ai pas envie que l’attractivité des Hauts-de-France soit diminuée. Le Brexit n’est pas seulement le problème des Hauts-de-France mais celui de la France. Les possibles blocages routiers et autoroutiers impacteront toute la France car des camions immobilisés signifient des denrées en péril.
Je ne suis pas devin. Nous préparons les choses le mieux possible car je suis exigeant. Nous faisons tout ce que nous pouvons, par exemple la communauté d’agglomération de Calais qui, pour gagner du temps, a fait en sorte que des terrains soient disponibles pour la construction de bureaux de douane. Nous expérimentons également le contrôle automatisé Fastpass. Les actions que je mène traduisent ma préoccupation à l’égard de l’État, qui doit enfin se mettre en ordre de bataille, et à l’égard des acteurs régionaux,qui doivent tous adopter le « Cargo Community System », le système d’information portuaire destiné à faciliter les échanges d’information comme à Dunkerque. En définitive, mon rôle consiste à provoquer une prise de conscience et à pouvoir conduire la mobilisation avec l’État et le préfet de Région. Mon état d’esprit est donc de mobiliser tous les acteurs à 200 %. Je me place dans un rôle de lanceur d’alerte afin de prévenir les dégâts. Mais nous devons aussi préparer l’avenir et bâtir cette nouvelle relation avec le Royaume-Uni. Le Brexit à moyen et long termes peut certainement profiter à la Région, mais ça ne doit pas passer par une catastrophe à court terme.
* Mécanisme pour l’interconnexion en Europe post-2020 qui définit les tracés des différents corridors de transports européens jusqu’en 2027.