Malgré les multiples actions menées depuis plus d’un an pour dénicher des candidats, la pénurie de salariés dans le secteur continue d’affecter la profession. Quelque 23 000 postes restent à pourvoir. La Carcept Prev et les organismes de formation professionnelle ont organisé les 6es Assises du transport et de la mobilité le 27 septembre autour de la thématique « L’homme au cœur de l’attractivité du secteur ». Travailler l’image du secteur, miser sur ses atouts à l’image de sa protection sociale, élargir le champ de recherche… Un état des lieux a été dressé, et diverses pistes ont été évoquées au cours de la journée. Premier constat des participants, l’image du secteur reste très dévalorisante dans l’esprit du grand public. Devant l’ampleur du phénomène, les pouvoirs publics se sont penchés sur le sujet dès le début de l’année. En avril, Damien Pichereau, député de la Sarthe et secrétaire de la Commission de l’aménagement du territoire, avait remis à la ministre des Transports un rapport sur la progression des VUL dans le TRM. Dans ce document, il préconise la professionnalisation du permis VL pour « faire évoluer l’image du conducteur qui a 60 ans dans l’esprit du grand public, ce qui ne correspond plus du tout à la réalité », a précisé le député. Autre mesure évoquée dans le rapport pour enrayer la pénurie de conducteurs, la possibilité de passerelles avec le + 3,5 tonnes.
Casser les préjugés qui collent au secteur, c’est aussi l’objectif de l’Opca Transports et Services, qui a lancé la Web-série Points de vue(s)#, composée de sept vidéos de témoignages de conducteurs et conductrices pour montrer la réalité des divers métiers du secteur, l’omniprésence des nouvelles technologies et la diversité des formations permettant des évolutions tout au long de la carrière. On peut y voir un jeune conducteur, dans sa cabine, pianoter sur sa tablette tactile, ou un autre rapporter son évolution rapide vers la fonction de moniteur. « La force du secteur est qu’on peut y entrer sans qualification puis acquérir des compétences », souligne Raphaëlle Franklin, Dg de l’OCPA Transports et Services. Montrer la réalité du métier sans l’embellir apparaît primordial pour éviter les désillusions et réussir à fidéliser les salariés. Le groupe STEF a réalisé une campagne au début de l’année pour recruter 1 000 salariés et en a pour l’instant embauché 500. « Nous communiquons sur le sens du métier et non sur le camion qui se trouve dans l’entrepôt, indique Jean-Yves Chameyrat, DRH du groupe STEF. Mais, pour que les candidats restent, il faut surtout que la présentation du métier à l’embauche corresponde à la réalité et à ce qu’ils cherchent. » Parmi les déceptions rencontrées, le niveau de rémunération est évoqué par les participants à l’événement, même si les entreprises multiplient les ressources. Ainsi, STEF propose un 13e mois ou encore l’actionnariat-salarié.
Au-delà du salaire, le secteur dispose d’atouts qui pourraient plaire aux jeunes. « Il est important de regarder les jeunes d’aujourd’hui, souligne Thierry Douine, président de la CFTC Transports. Ils n’ont plus les mêmes préoccupations que leurs aînés. Par exemple, les jeunes employés des start-up placent en premier critère d’attractivité l’environnement de travail, puis la sécurité et la prévention et, en troisième position, la rémunération. » La profession s’est placée sur ces sujets, rappelle-t-il. Un compte de prévoyance a été lancé le 1er janvier 2017. Ce dispositif permet d’accumuler des points d’activité tout au long d’une carrière ainsi que des points de solidarité en suivant des actions de prévention qui donneront accès à des services d’accompagnement en cas d’invalidité ou d’inaptitude. « Il faudrait rendre notre protection sociale plus visible », souligne Thierry Douine. Une politique de prévention et de bien-être en entreprise apparaît comme un critère important, non seulement pour la fidélisation des salariés mais aussi parce qu’ils sont les premiers promoteurs du secteur, la majorité des recrutements se réalisant par les réseaux de proximité et le bouche-à-oreille. Et il ne faut pas hésiter à viser plus large non plus, « pourquoi pas sur la féminisation, par exemple ? », a ajouté Raphaëlle Franklin en ajoutant qu’aujourd’hui, seulement 2 % des salariés de la conduite sont des conductrices.
Le camion pollueur et accidentogène, c’est l’une des images négatives véhiculées dans les médias qui pénalisent le secteur alors qu’il s’efforce de séduire les jeunes. Pourtant, « le transport est un secteur du XXIe siècle qui vient taper dans plusieurs autres secteurs, comme l’urbanisme et le digital, a constaté à la fin de la journée Karima Delli, députée européenne et présidente de la commission des transports au Parlement européen. Le transport est une plateforme qui doit être valorisée à sa juste valeur ». Le sujet de la vignette poids lourds, lancé quatre jours auparavant par François de Rugy, le nouveau ministre de l’Écologie, s’est immiscé à plusieurs reprises au cours de la journée. Le ministre annonçait vouloir travailler « sur une forme de vignette » qui ciblerait les poids lourds étrangers, échaudant la profession, qui ne cesse de répéter qu’elle contribue déjà au financement des infrastructures. Karima Delli et Christine Revault d’Allonnes-Bonnefoy, présidente de la délégation socialiste française au Parlement européen, ont répété lors des Assises que cette mesure allait à l’encontre du projet européen. L’Europe planche sur un système de redevance similaire à celui des autoroutes, qui serait étendu sur toute l’Europe. « Ma proposition a été adoptée par le Parlement, nous devons maintenant attendre le Conseil européen, indique Christine Revault d’Allonnes-Bonnefoy. La redevance s’adresse à tous les usagers de la route, pas seulement aux poids lourds, selon la distance parcourue et le niveau de pollution émis. La vignette est anachronique et ne prend pas en compte que tout le monde emprunte ces infrastructures. Ce système, discriminatoire entre Français et étrangers, est interdit à l’échelle européenne. » L’autre objectif de cette redevance est de s’assurer que ses recettes servent uniquement aux infrastructures du transport : « Il faut être transparent et bien flécher pour montrer que les transporteurs participent à l’amélioration du quotidien. Il ne faut pas non plus que cette redevance soit régionale. Ça créerait des territoires à double vitesse et de la concurrence entre eux. »
Toujours embourbé dans le désaccord qui subsiste entre les pays européens de l’Ouest et de l’Est, le Pacte mobilité reste d’actualité mais le temps presse, le résultat des élections européennes en mai 2019 pouvant changer la donne. « Mon but est de mettre fin à la concurrence déloyale et d’aller vers le mieux-disant social, notamment pour les conducteurs routiers », a assuré Karima Delli. Christine Revault d’Allonnes-Bonnefoy a rappelé sa volonté de créer une agence européenne des transports routiers pour sanctionner la concurrence déloyale. Karima Delli évoque la révolution énergétique. Selon elle, l’Europe reste focalisée sur l’électrique pour alimenter les véhicules, mais il ne faut pas délaisser l’hydrogène et le gaz. « Les États membres doivent développer ces énergies s’ils ne veulent pas être dépassés par la Chine. »