Comme le faisait remarquer un intervenant, en préliminaire de sa présentation, la logistique ne constituait pas le cœur des deux journées du congrès Electric Road. Seuls 20 % des plénières et autres ateliers étaient consacrés au transport de marchandises. Pourtant, ainsi que l’a rappelé Jean-Yves Kerbrat, président de MAN Truck & Bus France, « le futur marché annuel des camions électriques représente dix fois celui des bus électriques ». Ces ordres de grandeur étant précisés, les sessions suivies par un nombre record de participants (plus de 800) ont dévoilé les dernières avancées conduisant à la mise en œuvre de la transition énergétique vers des modes de transport peu ou pas polluants.
L’électrique est assurément en bonne place et pas seulement pour les camions de faible ou de moyen tonnage pour des applications urbaines. C’est ce qu’a rappelé Stéphane Dupré la Tour d’EDF, débutant ainsi sa présentation : « Le gaz n’est pas la seule alternative au diesel pour les poids lourds longue distance. » Et de démontrer qu’avec une densité de pack batteries augmentant de 5 % en moyenne par an, il devient possible de recourir à la motorisation électrique pour les longues distances. Au-delà de la masse des batteries – d’une capacité pouvant aller jusqu’à 1 000 kWh – qui diminue inexorablement, c’est surtout la baisse de leur prix qui change la donne. Le coût au kWh a été divisé par cinq en sept ans et l’évolution n’est pas terminée. Selon Bloomberg, cette baisse pourrait être de l’ordre de 10 % cette année. Tant et si bien que les 100 dollars par kWh annoncés d’ici à la fin 2020 par le patron de Tesla, Elon Musk, pourraient être atteints au cours des prochaines années. « Tout devient possible alors que cela ne l’était pas il y a deux ans », ajoute le représentant d’EDF. Avant de poursuivre : « Sur les longues distances, on voit se dessiner deux grandes options, la première avec le camion électrique, type Tesla Semi, d’une puissance de 1 000 kW et offrant une autonomie de 960 km. La seconde avec le camion à hydrogène, de type Nikola One, doté de batteries d’une capacité de 320 kWh et d’une pile à combustible de 200 kW et présentant une autonomie légèrement supérieure à 800 km. Ces deux options supposent une recharge à l’arrêt, mais ce temps de recharge correspond aux temps de repos des conducteurs. » Il existe une troisième option, celle de l’alimentation des camions lourds par patins au sol ou par caténaires avec un camion hybride qui se rechargerait sur une section de 10 km tous les 100 km.
Cette approche, découlant de l’étude de faisabilité E-Way Corridor, pourrait aboutir à l’expérimentation d’un camion électrique sur l’axe autoroutier Le Havre-Paris dès l’année prochaine. Il conviendra, toutefois, d’éliminer les interférences entre les constructeurs et les sociétés d’autoroutes ou les intervenants aménageant les axes. Il s’agirait de standardiser des équipements a minima à l’échelle de l’Europe. Avec le risque que ce ne soit pas, in fine, la ou les meilleures solutions adoptées.
À partir de 2024, le démarrage d’un début d’exploitation pourrait être envisagé, la montée en puissance se poursuivant jusqu’en 2033. À cette échéance, c’est 1,5 million de tonnes d’émissions de CO2 qui pourraient être évitées chaque année. Le coût du déploiement de bornes de recharge pour 200 km d’autoroutes pourrait être de l’ordre de 400 millions d’euros, le retour sur investissement s’effectuant en vingt ans. S’agissant des tarifs, le prix de la recharge électrique serait sensiblement au même prix que le carburant. Le prix de la charge dynamique serait, en revanche, 30 % plus élevé que celui de la recharge statique. Mais la charge inductive dynamique pour les camions électriques présenterait deux avantages : une taille réduite de la batterie favoriserait des gains sur le prix d’acquisition du véhicule et une absence d’arrêts pour recharger.
En conclusion, les infrastructures de recharge dimensionnées pour un trafic de 235 véhicules par heure à l’horizon 2033 représenteraient un coût fixe de 800 000 euros au kilomètre quelles que soient les technologies utilisées.
Electric Road a été l’occasion d’accueillir la société TransPod (fondée à Toronto en octobre 2015) et son cofondateur et président, Sébastien Gendron. Le dirigeant a été en mesure de dévoiler les tout derniers développements de son système de transport terrestre basé sur un réseau de tubes à basse pression dans lesquels circulent des capsules ou pods utilisant une technique de lévitation magnétique.
Beaucoup plus médiatisé pour ses applications passagers, le système hyperloop – présenté par la société comme le plus avancé technologiquement – comprendra une composante fret. Celle-ci répondra aux besoins de la logistique express de géants du secteur comme DHL, Fedex, UPS, Amazon ou encore Walmart et du transport de denrées périssables. Elle entraînera la création de hubs de fret implantés à proximité des grands aéroports.
Pour cela, la société qui prévoit d’investir 300 millions d’euros d’ici à 2025 pour le développement industriel du projet concevra deux types de véhicules dont celui destiné au fret. Sa capacité d’emport, sous forme de conteneurs aériens ULD, sera de 10 tonnes. Doté d’une vitesse de pointe de 1 000 km/h, il réduira à quarante-cinq minutes seulement, au lieu de six heures par la route, le temps de trajet entre Toronto et Montréal. Au plan des coûts de transport comparés entre la route, TransPod et le transport aérien, Thierry Boitier, directeur achats et logistique de TransPod, souligne que « dans une étude cargo que nous avons menée, et qui fera d’ailleurs l’objet d’une publication d’ici à deux mois, nous avons considéré l’ensemble des marchandises transportées au Canada (express, palettes, vrac) et les résultats indiquent un coût opérationnel direct deux fois plus important pour le système TransPod par rapport au routier, et trois fois moins important pour le système TransPod que pour l’aérien. Présenté autrement, si le coût du transport par TransPod est de 100, le coût du transport par camion est de 48, et le coût du transport par air est de 318. Si les coûts opérationnels directs ont un impact immédiat sur la comptabilité des entreprises cargo, l’image globale doit tenir compte des bénéfices environnementaux liés à la valorisation de la tonne de CO2 – le système TransPod, électrique, n’émet quasiment pas de CO2 –, des bénéfices sociaux liés à la réduction des accidents de la route (grâce à la réduction du nombre de camions sur les routes), et des bénéfices liés au gain de temps pour les usagers de la route, avec la réduction des embouteillages ». Cette étude sera suivie d’une étude de marché des potentiels passagers et fret européens au début de l’année 2019.
C’est du côté de Droux, en Haute-Vienne, que le système de transport développé par TransPod connaîtra un coup d’accélérateur à l’automne 2018. Cette période correspondra aux débuts des travaux de construction d’un tube de 3 km de long à l’échelle 1/2. « Nous allons avoir des prototypes validant les différentes briques technologiques et autres sous-systèmes. Nous débuterons les essais en mai-juin 2019. Nous ambitionnons, à titre honorifique, de dépasser les 574,8 km/h du TGV aux alentours de 2020 », explique le Français Sébastien Gendron. TransPod investira initialement 20 millions d’euros dans la création de ce centre de test en Limousin. Mais la longueur du tube, posé à même le sol sur l’emprise d’une ancienne voie ferrée, ne sera pas suffisante pour tester les sous-systèmes à vitesse maximale. « Nous avons plusieurs projets en cours, l’un d’entre eux est le prolongement de cette piste d’essai, d’autres visent à construire des centres de test, au Canada notamment. Le processus réglementaire nous imposera d’avoir des centres de test dans différents pays pour valider localement la sécurité et la fiabilité du système », ajoute Thierry Boitier.
Il faudra, néanmoins, attendre l’horizon 2025, et la finalisation des essais menés sur des prototypes réalisés à taille réelle cette fois, pour aboutir à la commercialisation de la technologie.
Se prévalant d’être le seul acteur présent sur tous les segments de véhicules professionnels avec une offre électrique qui se déploiera dans le temps, MAN Truck & Bus va bénéficier de moyens considérables pour participer à la réduction des émissions de CO2. Sa maison mère, le groupe Volkswagen, consacrera 34 milliards d’euros au développement des véhicules électriques, sur les 72 milliards investis en innovation dans les cinq prochaines années. Neuf camions électriques sont en expérimentation pour le compte de partenaires issus de l’industrie, la distribution et la logistique (Métro, SPAR…) en Autriche. Ce choix initial est lié à la proximité de l’usine de Steyer. L’expérimentation sera poursuivie au cours du premier semestre 2019 avec une dizaine de véhicules eTG testés à Paris. Ces camions de présérie seront des 26 tonnes offrant une charge totale de 15,5 tonnes. L’autonomie de ces porteurs développant une puissance de 350 kW sera de 200 km. Ils assureront le transport de marchandises, principalement pour le compte de la grande distribution. La commercialisation de ces camions, également disponibles sous forme de tracteurs d’une autonomie de 130 km, interviendra à partir de 2021. Ils seront dédiés aux marchés de livraisons en sec ou en frigo intra-muros et périurbain. En outre, MAN lancera un utilitaire d’un volume de 11 m3 à la fin de cette année. Destiné initialement aux clients grands comptes, ce fourgon eTGE développera une puissance de 100 kW et disposera d’une autonomie de 160 km. Son temps de charge à 90 % sera de quarante-cinq minutes. Il sera livré en série à partir de la fin de l’année 2019, son prix catalogue étant de 69 500 € HT. Une seconde version sera disponible pour une diffusion plus large à partir de 2021.