Denis Choumert : Le conseil d’administration a décidé de lancer un plan stratégique, appelé AUTF 2020. Pour le mener à bien dans sa phase de gestation et de lancement, l’équipe opérationnelle a été renforcée avec l’arrivée de Michel Gaté en tant que directeur général. Ses trois missions principales consisteront à mieux identifier les besoins des adhérents dont le profil et les attentes ont beaucoup changé ces dernières années, à organiser les actions et processus permettant d’y répondre efficacement, et à diriger le projet d’un déploiement très ambitieux du dispositif FRET 21. Ce déploiement se fera au sein d’un programme unique réunissant autour d’un objectif de réduction des émissions de CO2, outre FRET 21, le dispositif transporteurs – OBJECTIF CO2 – et un dispositif similaire pour les commissionnaires de transport. Ce programme dont le nom de code est EVE, s’inscrira ainsi dans la Stratégie nationale bas carbone du gouvernement 2016-2026, qui prévoit de baisser les émissions du transport de marchandises en France de 20 %, soit 6MT, en 10 ans ; donc un effacement de 600 000 T en moyenne par an.
Michel Gaté : Nous devons donner de la visibilité à nos adhérents avec l’identification d’axes prioritaires sur lesquels apporter nos compétences et, pour ce faire, mieux rendre visible notre expertise métier, accroître l’attractivité de l’association et par contrecoup sa représentativité. L’AUTF doit se développer en suivant l’évolution même des conditions d’exercice de l’activité des chargeurs. Il s’agit d’intégrer de nouvelles filières métiers et de nouer de nouveaux types de relations – notamment avec les fédérations parties prenantes, transporteurs, commissionnaires, formant avec elles des partenariats ou alliances ad hoc à l’image de ce qui se fait sur le terrain.
M.G. : Le programme a démarré en 2016, nous avons plus de 18 mois de recul maintenant pour effectuer un bilan de la première vague de Fret 21. Un des enseignements aura été la nécessité de disposer de temps et de moyens pour monter en charge dans nos objectifs. Il faut impliquer l’ensemble de la communauté des chargeurs et la mobiliser dans l’enjeu de la transition énergétique appliquée au transport, ce qui n’est pas dans l’ADN des entreprises alors que cela l’est davantage pour les transporteurs qui travaillent sur leur cœur de métier. Pour réussir, nous comptons nous appuyer sur les partenaires que sont les grandes fédérations professionnelles, pour la plupart membres de l’AUTF. En effet, c’est à l’intérieur de chaque secteur économique que l’on va pouvoir tester puis déployer des moyens d’actions et des solutions pratiques, souvent spécifiques à un secteur, qui puissent être mutualisées et capitalisées de façon à ce que demain tout le monde puisse s’engager. Le programme EVE va courir sur 3 ans, jusqu’en 2020. L’AUTF doit dépasser cette échéance afin d’accompagner nos chargeurs au-delà de cette date.
D.C. : Sur le mode ferroviaire en général, l’AUTF a fait un gros effort depuis quelques années pour porter au niveau gouvernemental et de l’administration, non seulement des problématiques mais aussi des idées de solutions. L’avenir du fret ferroviaire en France reposera aussi, au-delà de la réforme à venir de la SNCF, dont nous avons accueilli favorablement la plupart des principes à l’exception de ce qui concerne les petites lignes, sur une régénération de l’offre des opérateurs ferroviaires intégrant de l’innovation en termes de numérisation et de mutualisation, deux gisements de baisse de leurs coûts et de compétitivité accrue face à la route. Sur le combiné rail-route, les chargeurs attendent un service complet démontrant la capacité de l’organisateur de transport qui l’apporte au chargeur à organiser le transport en amont et en aval et à assurer une offre fiable sur la totalité du parcours. Or, cette offre du combiné passe dans sa partie fer par la contribution de 3 opérateurs différents de l’organisateur : le prestataire de transport combiné, le tractionnaire de ce dernier, le gestionnaire d’infrastructure. Ceux-ci font supporter au transporteur routier des contraintes et des risques qui se traduisent par un manque d’intérêt de ce dernier à proposer des solutions combinées ou par des propositions de prix trop élevées.
Nous plaidons pour qu’à l’avenir le « système » combiné mette à la disposition des chargeurs potentiellement intéressés, à travers des plateformes comme celles qui se sont créées sur la route, des indications de prix bout en bout et de performance temps de transit/fiabilité d’une liaison passant par le rail afin que les chargeurs puissent directement en évaluer l’intérêt et être en relation avec les différents organisateurs correspondants.
D.C. : Le combiné demande des trains longs car un gros gain de productivité sera obtenu par l’allongement des trains. Même si, au vu de la situation de SNCF Réseau, les investissements semblent compromis pour adapter rapidement les infrastructures. De même, le combiné bénéficierait aussi de changement de gabarit au P400 (largeur comprise entre 2,50 m et 2,60 m et hauteur maximale de 4 m), voire à un gabarit supérieur, pour y faire passer des caisses plus volumineuses qu’actuellement. Enfin on manque de chantiers, notamment en région parisienne où ceux existants sont saturés. Ces mesures sont lentes à venir.
Depuis 10 ans, on répète que le report modal de la route vers le combiné demeure la principale voie d’expansion du ferroviaire, et l’avenir pour les ports. Si dans les 10 ans, la desserte ferroviaire n’augmente pas très fortement dans les ports de Marseille, Dunkerque ou Le Havre, ils resteront en 2e catégorie face aux Européens. Sans évolution telle que préconisée, le combiné restera autour de 10 ou 12 M de t-km comme depuis 7-8 ans.
Christian Rose : Le contrat type est une spécificité française que les chargeurs et les transporteurs connaissent bien et dont il fallait procéder au toilettage et à l’actualisation ; il est tout autant utile en amont de la conclusion du contrat de transport en tant que base de discussion que lors de l’exécution du contrat à l’occasion d’un litige où il permet d’éviter les contentieux judiciaires. La dernière version du contrat type général datant de mars 2017 est trop récente pour avoir du recul quant à l’application des nouveautés qui y ont été introduites ; on pense plus particulièrement à la présomption de livraison conforme en cas de non remise des documents émargés au transporteur dont l’objet était tout autant de ne pas faire courir, pour une durée indéterminée la présomption de responsabilité du transporteur que de faire évoluer le comportement de certains destinataires. Cette année, ce sont les contrats type transport de voitures, transport de masses indivisibles et citernes qui vont prioritairement être révisés.
D.C. : Le rapport de force entre acheteurs et vendeurs de transport routier s’est rééquilibré depuis l’été dernier avec des tensions sur le recrutement de conducteurs que connaît toute l’Europe de l’Ouest. Or, la demande des chargeurs va sans doute croître de plus de 2 % cette année. Comme le montrent les résultats de l’Enquête Chargeurs 2018 que l’on va bientôt dévoiler, les chargeurs sont aujourd’hui davantage enclins à vouloir instaurer des partenariats avec leurs prestataires sur la base de contrats annuels ou pluriannuels, qui ne sont plus simplement des accords de prix mais qui prévoient des clauses d’appel et de mise à disposition de moyens supplémentaires. Si la difficulté à attirer de nouvelles générations de conducteurs de poids lourds persiste, on pourrait connaître une situation de surbooking dans laquelle les transporteurs ne pourraient assurer tous leurs engagements par manque de moyens propres et de sous-traitants, un peu comme ce qui se passait dans le secteur aérien il y a 10 ans. De ce fait, il semblerait que les transporteurs, malgré leur pouvoir de négociation accru, ne joueraient qu’avec modération les hausses de prix à venir. Face à ce phénomène quasi-structurel de manque de capacité, on est inquiets car on a l’impression que la profession n’a pas encore lancé de vrai chantier de fond portant sur la valorisation et la rémunération du métier. Dans de nombreux secteurs, chargeurs et transporteurs travaillent ensemble à réduire les temps improductifs, notamment d’attente, de chargement et déchargement. L’échange d’informations numériques, la digitalisation du transport, vont beaucoup apporter dans ce domaine. L’AUTF va prendre sa part dans cet important chantier pour accroître l’attractivité et la productivité de cette profession.
C.R. : C’est un sujet purement contractuel qui fait d’ailleurs l’objet d’une disposition dans le contrat type et qui n’est plus aussi sensible qu’il pouvait l’être il y a 25 ans.
La raison en est que le coût de l’échange palette est pris en compte dans le prix de transport. En outre de nombreux chargeurs ont également changé de modèle et sont passés à la palette louée. En septembre 2017, les chargeurs et les transporteurs ont également rappelé dans une position commune leur attachement au maintien de l’échangeabilité des palettes EPAL/UIC.
D. C. : Les plateformes ne répondent pas au besoin de mutualisation entre chargeurs. Celle-ci implique un travail commun entre chargeurs pour voir, par exemple, comment régler la question des kms à vide entre l’entrepôt de l’un et de l’autre. Ce travail peut être assuré par un logisticien, mais plus largement par un travail en commun entre chargeurs eux-mêmes, y compris lorsqu’ils sont concurrents, puisque le logisticien n’a connaissance que des flux de ses clients. C’est un axe de travail long et difficile mais important pour réduire les kms à vide ou en charge partielle. Quant à l’offre TK’Blue dont j’ai accompagné la gestation, un des volets consiste effectivement à noter les transporteurs sous-traitants d’un chargeur sur la base des données transmises relatives à leurs moyens et à l’impact de ceux-ci en termes de nuisances diverses, et pas seulement d’émissions de GES. Chaque chargeur communique quant à lui les tonnes/km réalisées avec chaque transporteur ainsi noté, et le croisement des 2 séries d’informations aboutit à une notation globale du chargeur. Certains de nos adhérents utilisent cet outil pour mesurer et suivre l’évolution de leur empreinte environnementale transport et en sont satisfaits. L’autre volet de l’offre concerne l’information sur les émissions de CO2 que les transporteurs communiquent, par client et par voyage, qui sont enregistrées dans une base de données puis compilées. Le client reçoit un rapport sur les émissions qu’il a provoquées. Le programme EVE mentionné plus haut comporte le projet de création par l’ADEME d’un portail de collecte auprès des transporteurs routiers et de transmission à leurs donneurs d’ordre de telles données d’émissions, donc des fonctionnalités identiques mais à l’échelle du pays.
D. C. : Après consultation de nos adhérents et de notre conseil, notre position sur le sujet est claire : tout en rejetant de faire de la TICPE un puits sans fond pour le financement des infrastructures, nous sommes plutôt favorables à une augmentation de la fiscalité sur les carburants, dont l’augmentation à venir de la partie carbone ne serait plus remboursable au transporteur et serait supportée par la marchandise, donc in fine par les chargeurs, à travers notamment le mécanisme d’évolution des prix du transport en fonction de celle des prix du gazole. Nous sommes prêts à contribuer à cet effort dès lors que les montants dégagés par cette contribution de la TICPE, non remboursée aux professionnels, sont fléchés sur les infrastructures. C’est là où le bât blesse pour le gouvernement car la TICPE ne pourrait être fléchée sur une partie séparée du budget de l’État. Le cabinet de la ministre est conscient des avantages procurés par la TICPE mais hésite encore à adopter cette mesure du fait notamment de cet inconvénient de non-fléchage.
C. R. : Nous ne nous sommes jamais opposés au principe de l’utilisateur-payeur. Du temps de l’écotaxe PL, nous n’étions pas opposés à son principe mais davantage au mécanisme de répercussion administrative que l’État voulait nous imposer. Aujourd’hui, nous sommes confrontés à une situation qui nous expose à une double, voire une triple peine. Le dispositif de remboursement TICPE qui, s’il est prolongé pendant les années à venir alors que la part carbone de la TIPCE gazole et la part rattrapage gazole/essence vont continuer à croître, risque de nous conduire en 5 ans à une enveloppe de coût — ou de manque à gagner — pour l’État de 3,2 Md€/3,4 Md€. Cela commence à devenir une « niche fiscale au sens propre du terme » (pour paraphraser le rapport Duron).
C. R. : Ce dispositif, dans sa forme actuelle, risque de ne pas durer ad vitam aeternam. On s’attend à ce qu’il y soit mis un terme partiel ou définitif. C’est la raison pour laquelle nous somme hostiles à la mise en place, parallèlement et dans un futur proche, d’une vignette qui in fine ne va permettre de lever que 350 M€, certes avec de faibles coûts de collecte, alors que de l’autre côté, l’État continuerait de rembourser aux transporteurs (compte propre et compte d’autrui) plus de 3 Md€ à échéance 2022. Par conséquent, nous préconisons de se focaliser sur la TICPE sachant que l’argument mis en avant par les défenseurs de la vignette selon lequel les poids lourds étrangers ne couvriraient pas leurs coûts d’usage des infrastructures, car n’acquittant pas de TICPE en effectuant leur plein en France, mériterait d’être objectivé. En 2014, une étude des douanes et du service des statistiques avait en fait révélé que les poids lourds étrangers – contrairement à une idée largement répandue – consommaient du gazole en France en proportion de leur présence sur le territoire. Par conséquent, on ne voit pas pourquoi, en 3 ans, le comportement des transporteurs aurait été modifié puisque la fiscalité n’a pas évolué fondamentalement. Cet argument ne doit donc pas, pour nous, être pris en compte dans l’analyse des 2 dispositifs et de leur contribution potentielle au financement des infrastructures de transport.
D. C. : Nous n’avons pas de position sur ce sujet car il y a autant d’études que de chiffres. Nous pensons, toutefois, qu’il est désormais nécessaire d’engager davantage d’argent dans les infrastructures routières au niveau des départements, de l’État. Nous sommes face à un risque d’érosion de l’avantage compétitif de la France par rapport à nos concurrents en termes de qualité de celles-ci. Si d’ici 10 ans, au niveau de certains grands axes ou ouvrages d’art, rien n’est fait pour les réparer, on peut anticiper des impacts sur la mobilité de tous, donc des marchandises. Nous sommes donc favorables à une nouvelle contribution des transporteurs qui se retrouvera dans les prix de transport et supportée par la marchandise.
D. C. : Nous y sommes, en revanche, moins favorables. En raison du fait que l’on recense beaucoup de VUL dans le compte propre. Et puis, élargir la cible aux VUL entraînera logiquement d’incorporer dans la mesure tous les véhicules particuliers qui polluent et usent de la même façon que les véhicules commerciaux. Il faut également tenir compte du fait que les VUL se prennent de plein fouet les augmentations de la fiscalité sur les carburants.
D. C. : Cela fait 3-4 ans qu’on en parle. Si les chiffres les concernant sont du niveau de ceux du cabotage – on parle de 3 %, mais on ne dispose d’aucune statistique précise et fiable — on ne peut donc pas dire qu’il existe une menace sur le marché. À nos yeux, le risque principal à venir dans le segment du VUL, ce n’est pas les conducteurs d’Europe de l’Est faisant du transport international et du cabotage, mais plutôt l’ubérisation partielle de la logistique urbaine.
C. R. : Il a pour feuille de route de jauger la concurrence déloyale que les VUL livreraient à la fois aux transporteurs (lourds) et aux acteurs du transport léger. Il doit également se projeter sur l’équation entre le boom du e-commerce et le développement des VUL. Nous avons d’abord recommandé à M. Pichereau que l’on dispose de chiffres sur les problématiques évoquées avant de s’engager sur des mesures. Ensuite, nous lui avons rappelé que seulement 1 % des 6,2 millions de VUL immatriculés en France opèrent pour compte d’autrui. Par conséquent, que le monde du TRM pour compte d’autrui veuille réguler cette activité en l’assujettissant notamment au niveau européen à des règles d’exercice de la profession (qui existent en France depuis 20 ans), nous n’y voyons pas d’objection particulière. Mais lorsqu’il s’agit d’envisager d’assujettir les VUL à la réglementation sociale européenne sur les temps de conduite, les temps de repos et à les équiper d’appareils de contrôles, nous y sommes opposés car cela toucherait 99 % des véhicules pour lesquels ce serait inutile et inefficace, le compte propre étant soumis aux règles sociales de chaque branche d’activité. Cet argument a parfaitement été pris en compte par Monsieur Pichereau.
D. C. : D’abord les chargeurs ne sont pas les seuls donneurs d’ordre sur le marché. Les commissionnaires et organisateurs de transport en font également partie. En ce qui concerne les chargeurs, il est vrai que beaucoup de ceux d’une certaine taille, même s’ils pratiquent des accords pluriannuels, remettent périodiquement les compteurs à zéro pour tester en termes d’impact sur les prix l’évolution de la productivité ou celle des facteurs de coûts – maintenance, pneumatiques… – qu’ils ont du mal à évaluer. C’est donc une pratique courante et ils s’y livrent y compris auprès de transporteurs avec lesquels ils n’ont jamais travaillé. Pour autant, je ne vois pas en quoi ces appels d’offres seraient actuellement plus nombreux que par le passé.
Sans vouloir créer de généralité, je crois que cette plainte de la part des transporteurs a parfois pour objet de masquer leurs propres difficultés. Certains ne mettent pas en œuvre une approche commerciale de fidélisation qui leur permettrait d’éviter l’appel d’offres ou ne sont pas assez équipés pour répondre à toutes les sollicitations. Il faut que la partie qui perçoit des signaux de remise en question de son positionnement auprès d’un chargeur fasse à temps l’effort opérationnel et de relation commerciale ad-hoc. Les chargeurs ont un fort besoin de visibilité et de régularité. C’est pour cette raison que, pour les années qui viennent, ils sont disponibles pour des relations davantage orientées vers le long terme, compte tenu de ce qu’ils savent du déséquilibre potentiel entre l’offre et la demande.
C. R. : Ce sont des plateformes qui sont nées grâce au progrès de la technologie, grâce à des algorithmes qui permettent de proposer des transactions directement aux chargeurs, ce qui n’était pas possible à l’époque de la création des bourses de fret dans les années 1980. Les critiques dont elles peuvent faire l’objet de la part des transporteurs me paraissent excessives puisque ce sont les mêmes que celles que l’on entendait il y a 30 ans lorsque les bourses de fret sont apparues et étaient perçues comme des sources d’avilissement des prix de transport. Quant au fait de savoir si elles sont ou non commissionnaires, je pense que c’est un faux problème. Même pour celles qui s’inscrivent au registre des commissionnaires, rien aujourd’hui dans leur mode de fonctionnement ne permet de dire qu’elles le sont. Elles ne concluent ni contrat de commission avec les chargeurs ni contrat de transport avec les transporteurs. Elles mettent en relation les uns et les autres. En revanche ce qui est important pour nous, c’est d’avoir une certitude quant à la confidentialité des données concernant nos clients, nos volumes. Aujourd’hui, nous n’avons pas forcément l’assurance qu’elles ne vont pas circuler de manière non sécurisée.
C. R. : Le deuxième point à surveiller, c’est le risque d’uberisation. Il faut que ces plateformes restent dédiées à la mise en relation entre professionnels, et non qu’elles s’ouvrent à tout individu conduisant un camion. Enfin, le troisième élément, c’est de veiller à ce qu’elles ne s’immiscent pas dans l’élaboration des contrats en imposant des contraintes contractuelles aux parties qu’elles mettent en relation. On imagine difficilement que ces plateformes puissent se substituer de façon massive aux relations entre les transporteurs et leurs clients qui ont besoin de sécuriser leurs flux. On voit davantage ces plateformes comme un moyen de faire face à des problèmes de surcharge d’activité ou à des demandes spot. En fournissant une prestation intégrée complète, elles peuvent aussi présenter un intérêt pour des chargeurs de plus petite taille. En tout cas, elles correspondent à une évolution de la société, et nous n’en attendons pas une grande révolution dans les relations chargeurs-transporteurs. Il ne faut pas y voir une menace énorme pour le TRM en général et si les transporteurs les utilisent, c’est qu’ils y voient de l’intérêt. Globalement, c’est pour eux un apport de volume, un moyen de réduire les kilomètres à vide et aussi la possibilité d’accéder à de nouveaux clients.
D. C. : Nous fédérons 150 entreprises. Pour la majorité, elles sont de taille assez importante et ont déjà accompli d’énormes efforts au titre de la sécurité sur site. Parmi les facteurs permettant d’augmenter le niveau de leur sécurité sur nos sites, les conditions d’accueil des intervenants extérieurs sont primordiales. Parce que quelqu’un qui n’est pas à l’aise est susceptible de prendre des risques, d’être inattentif et d’avoir un accident de travail. Nous voulons tendre vers zéro accident de travail sur nos sites, pas seulement pour notre propre personnel, mais également pour le personnel sous-traitant, notamment les conducteurs routiers. A l’arrivée, il s’agit d’un jugement qualitatif porté séparément par chacune des deux parties sur ce sujet. Faut-il mettre en place une campagne nationale sur cette problématique ? La question reste posée.
C. R. : Nous connaissons quelques adhérents qui sont bien conscients de cette situation. S’ils peuvent concourir à fidéliser les conducteurs de leurs fournisseurs en mettant en place des « maisons du routier » avec de bonnes conditions d’accueil, des distributions de boissons, des sanitaires régulièrement nettoyés, ils le font. Les chargeurs le font d’autant plus dans les secteurs où pour des questions de sécurité le conducteur ne doit, ni ne peut être présent près du camion lors du chargement/déchargement.
D. C. : En effet, cette nouvelle technologie est prometteuse mais elle suppose d’abord une confiance dans les données apportées par chaque partie à une transaction pour en permettre la réalisation. Il faudrait aussi que des standards internationaux sur la manière d’identifier et de coder certaines données soient d’abord établis. La technologie blockchain pourrait permettre l’extension des périmètres de maîtrise des flux des plateformes portuaires et aéroportuaires, en amont ou en aval de leurs sites propres, en sécurisant la masse de données qu’elles seront amenées à échanger avec les acteurs des segments de transport amont et aval, voire entre elles. Elle devrait permettre d’alléger et de fiabiliser un certain nombre de processus d’échanges de données, ce qui reste un des gisements de productivité les plus importants du secteur de la logistique. La FNTR commence d’ailleurs à envisager de tester une technologie de type blockchain dans l’agrégation des données des parties à une lettre de voiture électronique, en parallèle au déploiement de ces e-CMR en France.
*Denis Choumert est président de l’AUTF, Michel Gate en est le directeur général et Christian Rose, le directeur des relations adhérents et institutionnels.