Sécurité, consommation, confort

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Des lignes communes et de fuite esquissent les principaux enjeux à travers les témoignages d’un designer aujourd’hui indépendant et qui fut un acteur majeur, des années durant, dans le domaine du véhicule industriel (VI) et dans celui de l’automobile, celle de deux acteurs pédagogiques, côté design et côté ingénierie, et de trois représentants de constructeurs.

Autant débuter par le regard aiguisé d’un acteur aujourd’hui indépendant. Patrick Le Quément a dessiné aussi bien des véhicules industriels (chez Ford, il fut, par exemple, l’auteur des lignes du Cargo de 1981) que des automobiles (il a rejoint Renault en 1987 en tant que directeur du design industriel avant de devenir directeur de la qualité et du design en 1995 pour la marque qu’il ne quittera qu’en 2009). Il est aujourd’hui designer naval et co-fondateur de la SDS (Sustainable Design School) de Nice. En portant un regard synthétique sur l’offre actuelle de VI, il souligne « un contraste d’un côté entre les marques qui ont consolidé leur image et celles qui tâtonnent et, de l’autre, l’approche mise en œuvre dans le design des VI qui relève davantage du produit par rapport à ce qui se fait dans l’automobile, notamment parce que l’attention est très orientée vers l’usage et la sécurité ». Il trouve justement que cette dernière est visuellement maîtrisée par plusieurs marques : « Les Mercedes, Scania ou Volvo dégagent certes une impression de puissance mais aussi de sécurité ». Selon Patrick le Quément « apporter un œil neuf pour optimiser la sécurité et le bien-être du chauffeur demeure d’actualité ». Pour y parvenir, s’inspirer d’autres domaines demeure une bonne pratique : « concernant l’aménagement intérieur, il me semble intéressant d’envisager ce qui se fait dans le domaine des caravanes, des bateaux ; il reste beaucoup à faire pour améliorer les prestations dans l’espace particulièrement réduit d’une cabine mais aussi pour perfectionner les planches de bord », note le designer. Le véhicule autonome est forcément au centre des préoccupations : « le coût associé aux arrêts notamment liés à des contraintes législatives impacte le design. Sur autoroute, on peut, à terme, imaginer des convois supervisés par une seule personne. Ce qui aura pour conséquence de repenser totalement l’habitacle. L’apparition de véhicules autonomes devrait aussi permettre de redéfinir l’identité de marque ». La présentation du Semi de l’américain Tesla — qui n’a pas souhaité répondre à nos questions — est un sujet d’actualité dans le monde du design même si la plupart des principaux constructeurs disposeront dès 2019 d’une offre « full électrique » dans leur catalogue (cf. encadré). « Le Tesla Semi est bien adapté aux conditions des États-Unis, la démarche est juste notamment en ce qui concerne la position centrale de conduite. Le seul bémol toucherait à son style, un peu has been », estime le designer naval. Pas sûr toutefois qu’il satisfasse « la quête permanente — telle que la définit Patrick Le Quément — pour la mobilité qui consiste à être à la recherche de la légèreté ».

L’apport déterminant de la pédagogie

En design comme ailleurs, beaucoup repose sur la pédagogie, la formation. Dans les écoles et dans les cursus aussi, le design occupe de nos jours une place croissante. il se situe de plus en plus à la croisée de plusieurs disciplines. « Nous travaillons beaucoup avec DAF sur la consommation de gazole, sur les nouvelles énergies, sur les véhicules semi-autonomes ainsi que sur l’aérodynamique afin de mieux gérer les flux d’air en vue de diminuer consommation et émissions de CO2. Concernant ce dernier point, nos efforts portent notamment sur le fait de cacher les roues », explique Christophe Delille, responsable de la filière automobile de l’Estaca. Ce dernier souligne l’une des difficultés de la conception des poids-lourds : « si la charge est relativement aisée à optimiser pour les véhicules dédiés à la grande distribution, elle l’est beaucoup moins dans tous les autres cas. De nos jours les camions sont à tiroirs, en fonction de leur utilisation ». Christophe Delille a également un point de vue, tranché, quant au sujet d’actualité que représente la « sortie » du Tesla Semi : « Le futur des VI ne sera pas électrique. Les ressources en lithium sont limitées, la question de la recharge demeure problématique. Il convient dès lors de considérer des alternatives telles que l’hydrogène qui est envisageable avec de gros réservoirs ou le GNV ». Il n’écarte pourtant pas la fée électricité du revers de la main, nuançant : « la solution électrique présente en revanche un intérêt sur les VUL pour les livraisons des derniers kilomètres. En fait l’énergie mobilisée sera fonction du besoin ».

Réhabiliter le dirigeable ?

Les écoles sont des lieux privilégiés pour envisager des solutions pouvant apparaître comme utopiques ou dont la rentabilité n’a pas encore été éprouvée. Arnaud Balduc, responsable pédagogique du cycle Bachelor et de l’option design produit & transport à l’Ecole de design de Nantes Atlantique, tient d’abord à définir le périmètre du transport comme l’ensemble des circonstances qui relèvent du transport de personnes ou de biens. Il y a trois ans environ, il avait proposé à des étudiants le thème suivant : quelle solution trouver pour déplacer une masse importante de fret en minimisant l’empreinte environnementale ? étonnamment, c’est la solution du dirigeable qui était apparue comme la plus intéressante. « Demain, dans le cadre d’une économie relocalisée ou d’importation, le dirigeable présente une voie à étudier par rapport à la route ou au fluvial bien qu’il souffre d’une mauvaise image parce qu’il serait lent, pataud. En réalité, la technologie disponible pour les dirigeables a énormément progressé », justifie Arnaud Balduc. Le responsable n’en garde pas moins les pieds sur terre : « L’alternative est entre le transport de petits colis sur les derniers kilomètres et celui de grandes charges sur de plus longues distances. Pour cette seconde possibilité la performance par la légèreté est à privilégier », insiste le responsable pédagogique. Pour les VI, Arnaud Balduc évalue différentes pistes de réflexion : « les planchers plats et bas, décharger latéralement en centre ville et pour cela travailler avec les municipalités l’architecture en relation avec les chaînes de transmission, la bonne utilisation des outils numériques ». Pour le responsable, il reste primordial « d’éviter, outre les ruptures de charge, leur impact. Même si, en tant que designer, on a des rêves, il est indispensable de tenir compte des réalités économiques, politiques et réglementaires ». Le responsable pédagogique est sur une longueur similaire à celle de Patrick Le Quément à propos du Tesla Semi : « il faut donner sa chance à toute proposition ; celle-ci présente le mérite d’exister. Elle pose notamment la question du véhicule autonome. À terme, le rôle du conducteur va évoluer. Peut-être ce dernier sortira-t-il de sa cabine pour accomplir d’autres tâches ». Le design s’intéresse aussi aux infrastructures. De ce point de vue, Arnauld Balduc met en exergue un aspect qui est ressorti d’un groupe de travail auquel il a participé : « pour le fret, avoir accès aux cartes des réseaux constituera à l’avenir un point clé pour bien gérer le temps, aider à prendre efficacement les bonnes décisions et, en fin de compte, livrer le plus rapidement possible ». Quant à la complémentarité entre VI et VUL, le responsable pédagogique n’a pas d’idée arrêtée : « dans le transport, il n’y a pas de solution universelle. Les solutions dépendront des choix opérés. On pourrait aussi bien imaginer, du fait du désengorgement automobile en centre-ville, des voies dédiées aux poids-lourds en leur direction ou bien aller vers davantage de partage entre les deux catégories. Et des gammes de véhicules en conséquence, du fourgon au semi ».

Des critères rationnels

Aussi étonnant que cela puisse paraître, c’est par des considérations sur la mondialisation que Hervé Bertrand, directeur du design de Renault Trucks, évoque le design : « au-delà de maintenir et développer l’emploi en France, Renault Trucks entend respecter ce qui a été fait par le passé, ancrer notre démarche dans nos terroirs. En dépit des conditions climatiques et de terrain, la mondialisation a contribué à un rapprochement des usages. On pourrait alors s’attendre, à l’instar de l’aviation, à voir sur le marché des poids lourds mondiaux. Il n’y en a pas pour la simple et bonne raison que les attitudes d’achat sont fonction des utilisations et que les plateformes logistiques diffèrent. Pour Renault Trucks, il est essentiel de disposer de studios proches de sa base, comme à Lyon ». Le directeur du design précise la démarche de sa marque : « selon le vœu de notre président, nous avons choisi de procéder avec parcimonie et de n’implémenter nos solutions qu’une fois le client prêt. Le VI repose sur des notions extrêmement rationnelles. Nous fabriquons des outils auxquels sont associés des identifiants comme l’aérodynamique, la fiabilité, la qualité de confort, etc. ». La marque est d’autant plus regardante sur ces identifiants qu’elle récupère plus tard les véhicules : « il nous importe de conférer à nos véhicules une impression de solidité. Renault Trucks doit être content de retrouver ses véhicules à l’issue d’un buy back. Le fait de reconditionner des véhicules de seconde main nous apprend beaucoup. Cela nous permet d’améliorer nos processus et d’apporter des évolutions grâce à nos fournisseurs. Celles-ci sont régulièrement réinjectées à travers les séries limitées ». L’avenir du VI est logiquement au centre de la réflexion. « Avoir moins de voitures en ville ouvre la voie à des véhicules de plus grande taille. Avec Volvo AB, nous étudions de multiples scenarios sur la livraison du dernier kilomètre d’autant que nous avons constaté que travailler sur des solutions traditionnelles, de type 12,5 t, est très coûteux et paraît difficile sans des subventions décidées au niveau politique », relève Hervé Bertrand. Rutger Kerstiens, responsable relations publiques, témoigne d’une préoccupation équivalente chez DAF : « Nos équipes se préparent aux futurs législations européennes en terme de taille et de dimensions. Leurs travaux portent sur la sécurité du conducteur et des autres usagers de la route, sur l’aérodynamique pour réduire la consommation, sur la visibilité, sur le confort du conducteur en terme d’espace, de position, de nuisances sonores, sur l’accessibilité et sur l’ergonomie. Et bien entendu, nous souhaitons proposer des cabines agréable esthétiquement parlant ». Hans-Âke Danielsson, responsable presse Scania AB, revient quant à lui sur les fondamentaux : « le design combine fonctionnalité technique et fonctionnalité des formes afin de trouver un compromis permettant de satisfaire une demande ». Tout en insistant sur une caractéristique importante de la démarche du constructeur : « la modularité des cabines constitue un défi permanent ».

Chasser les sources de fatigue

Chez Renault Trucks également, on parie sur un bouleversement avec l’arrivée des véhicules autonomes : « le modèle est celui des avions de ligne. Il va s’agir de retirer au conducteur les sources de fatigue d’un point de vue nerveux, tant en ville que sur les longues distances », précise Hervé Bertrand. D’autres enjeux pointent à l’horizon : « nous allons être amenés à tisser des collaborations avec de nouveaux partenaires. Pourquoi ne pas envisager de travailler par exemple avec un fabriquant de drones ? », interroge le directeur du design. Ce dernier reconnaît que les liens avec les carrossiers peuvent être améliorés : « nous essayons de travailler ensemble ; mais ce n’est pas encore suffisant. Le développement des interfaces techniques va nous aider à faire mieux. Les transporteurs et les chargeurs sont également demandeurs. Nous travaillons par exemple avec XPO Logistics ou encore Air Liquide autour de plateformes de dialogue très ouvertes ».

Et l’esthétique dans tout ça ?

Le design contemporain n’a pour autant pas sacrifié l’esthétique même si la rationalité économique n’en est jamais éloignée : « la forme trapézoïdale de nos calandres répond à une rationalité aérodynamique de même, par exemple, que l’angle à 12 degrés du pied A (de pare-brise, ndlr) de la Série T. La forme en boomerang du bloc de phares permet de ne pas recourir à des déflecteurs. Nous avons aussi soigné l’écoulement des flux afin de permettre aux poignées de portes de s’auto-nettoyer. D’un point de vue purement esthétique, nous assumons pleinement notre position de challenger ». Enfin, le directeur du design fait état d’un dialogue permanent avec les équipes de design du groupe Renault (bien que les marques Renault et Renault Trucks n’aient plus de lien capitalistique – ndlr) au rythme de quatre à cinq réunions de travail par an qui, au-delà des échanges plus ou moins informels, permettent parfois d’harmoniser les codes couleur. Tout détail compte.

Demain déjà électrique

En présentant en fin d’année 2017 son Semi, Tesla a certes profité d’un effet d’annonce. Cela fait partie d’une stratégie de communication mise en place par le constructeur américain et déjà constatée dans le domaine des véhicules particuliers (Model S, Model X, bientôt Model 3). Mais dès 2019, ce sont en réalité tous les principaux constructeurs de VI qui seront en mesure d’ajouter une offre électrique à leur gamme. Il en va de même sur le segment des VUL, l’offre étant même croissante. Les premières livraisons européennes du chinois Maxus EV 80 ont ainsi débuté à la fin du mois de janvier. Des carrossiers aussi proposent d’ores et déjà des offres alternatives (Gruau Electron II par exemple).

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