Sébastien Dortignac, directeur technique véhicules de STEF, ne fait pas mystère de l’approche du transporteur qui consiste à optimiser l’existant. L’une de ses principales attentes concerne les cabines des poids-lourds destinés à un usage urbain qui se doivent d’être les plus basses possibles afin d’en faciliter l’accès puisque les conducteurs sont amenés à y monter et à en descendre très régulièrement. La pénibilité du conducteur est au centre des préoccupations : « être positionné à 1,80 m au-dessus du sol est acceptable sur les grandes distances. En revanche, en distribution, lorsqu’il s’agit de procéder à plus d’une quinzaine de livraisons sur une période de travail, une accessibilité de type bus serait préférable », note le directeur technique. Fabien Albiges, directeur général de ELD Transports (77), partage en partie cette attention aux conducteurs : « la visibilité est primordiale dans un poids lourd. Elle permet par exemple de prévenir les risques d’accrochage et de faciliter les manœuvres. La mise à quai constituant un moment critique, tout ce qui peut la rendre plus aisée est à prendre en considération ». Limiter le risque d’accident constitue un autre credo de STEF, ce que l’arrivée de véhicules à la conduite de plus en plus assistée devrait permettre. D’autres progrès sont attendus à l’intérieur de la cabine. Comme se plaît à le souligner le directeur général de ELD Transports, « il ne faut pas oublier que les conducteurs peuvent être amenés à dormir dans la cabine ». Si l’ergonomie actuelle des véhicules reste assez éloignée de celle d’un bureau à demeure, Sébastien Dortignac estime « qu’elle a évolué pour se rapprocher des standards de l’automobile » et est persuadé qu’une fois la révolution autonome advenue, « le conducteur sera amené à voir son rôle évoluer ». Le directeur technique véhicule ne cache pas que l’une des premières attentes de STEF, en matière design, touche à l’économie de carburant. Pour y parvenir, le transporteur mène des expérimentations avec des constructeurs. « Outre le fait que les outils de mesure ne sont pas suffisants, nous n’avons pas constaté dans nos propres usages une rentabilité économique lors des travaux menés sur la traînée aérodynamique des semis », révèle-t-il. Concernant ces derniers, la question des planchers plats ou celle de l’optimisation de la charge figurent aussi parmi la liste des chantiers de travail. Sébastien Dortignac aborde lui aussi l’épineux dossier de la relation aux carrossiers. Si l’on convient souvent des contraintes liées à la législation, le directeur technique remarque que « les carrossiers sont contraints par leurs capacités d’investissement ». Selon lui, il existe toutefois des façons pour améliorer la coopération entre les acteurs concernés, constructeurs et carrossiers certes, mais transporteurs également : « il faut inciter les gens à communiquer. En matière de technologie, le multiplexage doit encore être développé par l’ensemble du monde de la carrosserie ». D’autant que la seule technique ne peut pas tout. Travaillant aussi sur les toits et les déflecteurs afin de déplacer les flux aérodynamiques, il remarque que certains déflecteurs peuvent succomber au lavage.
Design thinking, design doing… En tenant compte de ces anglicismes qui correspondent à une évolution voire à un retour aux bases mêmes du design (disegno en italien), on en oublierait presque l’aspect esthétique des véhicules. La passion existe toujours dans le métier de transporteur et passe parfois par la décoration. Témoin Joël Louyer. Âgé de 55 ans, cet ancien transporteur de Dinan, qui a roulé à l’international ou pour des convois exceptionnels, est aujourd’hui fonctionnaire. Il n’en conserve pas moins, à titre personnel, un Scania R164 480 de 2001 affichant 1,5 million de kilomètres au compteur. Sur son « Scania V8 », ce sont logiquement des univers familiers qui sont représentés. En l’occurrence ceux de l’équitation et de sa fille, celle-ci ayant été championne de France Club élite en 2013. Outre des participations à des trucks shows qui constituent des occasions de se retrouver entre passionnés et spécialistes, Joël Louyer insiste sur l’accueil par des tiers : « Tout le monde aime ce genre de véhicule. Même les gendarmes. Il m’est arrivé de me faire arrêter par eux juste pour leur permettre de satisfaire leur curiosité. C’est aussi un plus en termes d’image de marque d’autant qu’un véhicule décoré, pour qu’il reste beau, exige un soin tout particulier porté à l’entretien. Les gens qui font partie de la profession tout autant que ceux qui n’y appartiennent pas, s’ils ne le savent pas, le sentent. Il faut être à la fois méticuleux et passionné, ne pas compter son temps ». Souvent qualifié « d’expérience » ou « d’usage », le design relève sans doute aussi de ce type de relation entre un conducteur ou un transporteur et son véhicule mais aussi entre un véhicule en particulier et un environnement donné.
« Quid des autres acteurs du design ? », pourrait-on s’interroger. Car le design concerne l’ensemble de la chaîne du transport et de la logistique. Même s’il est difficile d’avancer une raison, les transporteurs et les chargeurs demeurent frileux lorsqu’il s’agit d’aborder les questions pourtant larges touchant au design. Y compris du côté de grandes marques qui n’hésitent pourtant pas à communiquer autour de leur engagement en faveur du design. Celles que nous avons sollicitées ont préféré décliner nos prises de contact. Étrange. Et sûrement momentané.