Les « 16 » — le nombre des personnalités qui ont planché sur le rapport — ont établi trois scénarios de financement. Les trois incluent le TRM au chapitre « recettes nouvelles ». Où il est question d’augmentation de la TICPE, de suppression ou de baisse du remboursement partiel de cette TICPE — ce que Philippe Duron qualifie de « niche fiscale » — et de l’instauration d’une vignette forfaitaire qui viserait tout à la fois les poids lourds français et étrangers en transit, ainsi que les VUL. La ministre des Transports, Élisabeth Borne, a, depuis lors, fait le tour des rédactions pour saluer le travail du COI et rappeler que les pistes de travail évoquées dans le document Duron ne constituent, à ce stade, que des préconisations. Lesquelles viendront — si elles sont retenues en partie ou dans leur intégralité — nourrir la future loi d’orientation sur les Mobilités, prévue pour le printemps prochain et qui sera discutée au Parlement dans la foulée. « Le gouvernement fera un choix clair dans les prochains mois sur le scénario retenu », a déclaré Élisabeth Borne, selon laquelle « on va devoir sortir des projets non financés, investir plus et mieux ». La ministre des Transports estime que « le désenclavement routier de notre territoire peut être mené en 10 ans ». Trois scénarios de financement ont donc été établis par le rapport Duron : un premier (par le bas) qui mobiliserait 48 milliards d’euros en 20 ans pour l’AFITF (Agence de financement des infrastructures de transport de France), soit une enveloppe annuelle moyenne de 2,4 Md€. « Ce scénario offre peu de marges de manœuvres », indiquent les auteurs du rapport. Le deuxième préconise la mobilisation de 60 Md€ sur 20 ans (600 M€/an supplémentaires par rapport au scénario 1) pour l’AFITF. « Il permet d’avancer les premières phases des grands projets ». Le troisième table sur une enveloppe de 80 Md€ pour l’AFITF sur 20 ans, soit une moyenne annuelle de 3,5 Md€ d’ici 2022 (+ 1,1 Md€ en plus par rapport au scénario 1) puis 4,5 Md€ sur les 10 années suivantes et 4 Md€ pour finir. « La majorité du conseil s’interroge sur la possibilité d’atteindre un tel niveau de dépenses dans le cadre financier et budgétaire que connaissent actuellement l’État et les collectivités territoriales appelées à cofinancer à parité ces projets », commente le rapport Duron.
Les Assises de la Mobilité, qui se sont achevées en décembre dernier, n’ont accordé qu’une place dérisoire à celle des marchandises. Il a essentiellement été question de mobilité des voyageurs, si ce n’est de logistique urbaine. Au moment où le Conseil d’orientation des infrastructures a été constitué et qu’il a lancé ses auditions — notamment celles des organisations patronales — les dirigeants du secteur ont très vite pris conscience que la place de la mobilité des marchandises dans ces assises allait être reléguée au guichet « financement des infrastructures ». Ce qui avait fait dire à Yves Fargues, le président de TLF : « Ce ne sont pas les Assises de la mobilité mais les Assises de la fiscalité ».
Philippe Duron l’a assuré : « il n’est pas opportun d’augmenter les prélèvements publics sur nos concitoyens ». Exit donc les automobilistes. Au nom du désormais fameux « principe pollueur-payeur » — quid dans ce cas des automobilistes — le président de l’AFITF a évoqué trois sources nouvelles de financement pour les infrastructures. Lesquelles visent une nouvelle fois à mettre à contribution le TRM au travers de 3 leviers : une augmentation de la TICPE (« quelques centimes en plus »), une suppression ou un rabotage du montant du remboursement partiel de cette même TICPE (« une niche, avec celle des taxis, qui atteint 900 M€ ») et, également, la mise en place d’une vignette forfaitaire — « ça a été une proposition émanant d’une fédération professionnelle », a tenu à préciser Philippe Duron — qui frapperait les camions et les VUL français et étrangers. Autre idée dans l’air du temps, à plus longue échéance : l’établissement de péages urbains. Comme un clin d’œil aux fédérations patronales qui demandent un fléchage des recettes versées par le TRM à l’AFITF, Philippe Duron a précisé : « l’affectation des recettes prélevées sur le secteur des transports aux dépenses des transports est une condition forte de l’acceptation des mesures qui seront retenues ».
De quoi mieux faire passer la pilule auprès des organisations patronales du TRM ? « Le secteur contribue déjà largement ; il faut juste réorienter vers le financement des infrastructures. L’AFITF est financée à 90 % par la route (39 Md€, Ndlr). Or, 40 % de ses dépenses sont affectées à la route. Et on veut nous ajouter encore des taxes ?, s’insurge Florence Berthelot, déléguée générale de la FNTR. On taxe tout le monde ou on ne taxe personne. Même la Commission, dans son projet de révision de la directive Eurovignette, dit que “oui” les camions contribuent à abîmer les infrastructures mais que les 2/3 des externalités sont à mettre au crédit des automobiles ». Du côté de l’OTRE, on parle de fiscalité punitive. « Comment voulez-vous que les transporteurs français fassent de la transition énergétique, de l’automatisation des véhicules, de la sécurité routière avec des véhicules autonomes et de l’aide à la conduite qui améliorerait nettement l’accidentologie ? Comment faire tout cela en étant pénalisé à ce point ? C’est ubuesque comme situation », s’insurge également Aline Mesples.
La présidente de l’OTRE — devant la déclaration de Philippe Duron attribuant à l’OTRE, sans la nommer, la proposition de vignette qui risque d’être introduite — tient à préciser : « Nous l’avons proposée au moment où l’on évoquait les 4 centimes en remplacement de l’écotaxe. Comme ils n’étaient pas fléchés sur le financement des infrastructures, nous avons suggéré l’idée d’une vignette qui se serait imposée à tous les usagers. Nous avions calculé que cette vignette sur les PL pouvait rapporter 320 M€ et celle sur les VUL 240 M€, c’est-à-dire un total équivalent à ce qui était espéré avec l’écotaxe. Et on avait dit “vignette” pour solde de tout compte », explique Aline Mesples. De son côté, l’UNOSTRA « dénonce ce scenario de financement qui va détruire encore une fois la compétitivité des PME françaises ».
Florence Berthelot déclare réfuter le terme de « niche fiscale » employé par Philippe Duron au sujet du remboursement partiel de la TICPE. « Cela voudrait dire que l’on se sert d’un avantage ou d’un effet d’aubaine. Je rappelle que le gazole professionnel trouve son origine dans une directive européenne qui permet de marquer une différence entre le prix de carburant pour les professionnels et celui pour les particuliers ». Rabotage ou suppression totale de cette ristourne carburant ? « Si ce dispositif est supprimé, il risque d’y avoir des mouvements violents dans notre secteur », assure la déléguée générale de la FNTR, selon laquelle « la vignette n’est pas Euro-compatible. Cela reviendrait à taxer 2 fois un même tronçon de route. Bruxelles veut supprimer les vignettes temporelles dans la mesure où elles sont injustes car elles font payer le même prix à l’utilisateur, qu’il effectue 10 km ou 250 km ».
Élargir la contribution fiscale aux VUL, tel que le préconise le rapport Duron, ne constitue qu’« une cote mal taillée », aux yeux de Florence Berthelot. « Et pourquoi, dès lors, ne pas intégrer les voitures particulières ? La réalité, c’est que, au moment où Élisabeth Borne a lancé les Assises, se posait la question de savoir si on faisait payer le contribuable ou l’usager. En fait, on est en train de se rendre compte que l’usager et le contribuable ne forment qu’une seule personne ».
Aline Mesples pense qu’« en politique comme en financement des infrastructures, il y a un vieux monde qui doit tourner la page ». Florence Berthelot, pour sa part, tient à rappeler la petite phrase de son président, Jean-Christophe Pic, qui, en faisant allusion à un possible mouvement des transporteurs, avait déclaré en juin 2017 : « Gonflez vous pneus, graissez vos chaînes et sortez vos vélos »…
Dans un communiqué publié le 2 février, l’AUTF (Association des utilisateurs de transport de fret) met en garde le gouvernement contre « les effets néfastes sur notre économie, et en particulier sur les utilisateurs de transport de fret de toute démarche visant à exposer le transport routier de marchandises à un double alourdissement de ses coûts en lui supprimant un dispositif fiscal qui lui a été accordé en vue de réserver sa compétitivité européenne et en l’assujettissant à une nouvelle redevance (vignette forfaitaire, Ndlr) de circulation ». L’association présidée par Denis Choumert se déclare opposée à toute double peine qui viendrait frapper les transporteurs routiers. Elle rappelle que le TRM (VI et VUL) pèse aujourd’hui 90 % des flux de transport de marchandises et « participe de la croissance tirée par les entreprises de l’industrie, de l’agriculture et du commerce dont la préservation de compétitivité doit demeurer une priorité nationale ». Enfin, l’AUTF réitère son opposition à tout projet de taxe ou de redevance sur le TRM et déclare soutenir « l’orientation consistant à affecter au financement de l’entretien et du développement des infrastructures de transport tout ou partie des augmentations programmées des recettes de TICPE sur les carburants ».
S. B.
« Faisons avant tout un bilan de ce que les transporteurs payent déjà au titre de l’utilisation des infrastructures et établissons un delta par rapport au coût que nous générons. Car, nous en avons connaissance, les pouvoirs publics ont trop tendance à utiliser les recettes versées par le TRM à des fins de financement du ferroviaire. Si l’on veut taxer le TRM uniquement pour lui imposer de nouvelles taxes, qu’on nous le fasse savoir plutôt que de prendre le prétexte du financement des infrastructures. Une vignette ? Cela ne peut se mettre en place sans une remise à plat de la taxe à l’essieu, de celle sur les cartes grises et toutes ces taxes dont on nous accable. Cette vignette ne peut être instaurée qu’en direction des seuls transporteurs de marchandises. Elle doit viser tous les utilisateurs de la route, y compris les particuliers. Son élargissement aux VUL me semble opportun car leurs parts de marché sont en pleine progression et ils doivent être soumis aux mêmes règles que nous. Nous ne voulons pas être les dindons de la farce ».
• Plus de 30 ans que le dossier d’une nouvelle autoroute entre Lyon et Saint-Étienne traîne dans les tiroirs de l’administration et des deux agglomérations rhône-alpines. Régulièrement évoqué puis sans cesse remisé aux oubliettes, il figurait sur le haut de la pile des chantiers envisagés ces derniers mois. à Saint-Étienne comme à Lyon, les milieux économiques commençaient à se frotter les mains. Pas de chance : le Conseil d’orientation des infrastructures en préconise la mise en sommeil au motif qu’« une poursuite des études est indispensable » afin de s’assurer qu’il n’existe pas « d’alternative effective à un coût raisonnable ». Il faut dire que l’état doit mettre à la main à la poche pour 400 M€.
• Jugée comme l’une des routes les plus dangereuses de l’Hexagone, la RCEA (Route centre Europe Atlantique) devra être aménagée entre 2018 et 2022 (A79– N70– N79– N80).
• Le contournement est de Rouen (A133 – A134) est déclaré d’utilité publique. Devra être réalisé entre 2018 et 2022.
• L’achèvement de l’axe Rouen-Orléans (A154) est qualifié de « prioritaire ». Il devra être mené sous la forme d’autoroute concédée.
• La liaison Castres/Toulouse devra être réalisée entre 2018 et 2022
• A31bis (doublement de l’axe Toul-Nancy-Metz-Luxembourg). Au programme : un nouveau tronçon à péage de Thionville au Luxembourg, l’élargissement de l’axe existant de Nancy à Metz. Une demande d’études supplémentaires pour le contournement de Nancy a été formulée.
• À noter que la Commission Duron n’inclut pas deux dossiers majeurs dans ses scénarios de financement : le canal Seine-Nord-Europe et le tunnel Lyon-Turin. Ils feront l’objet d’arbitrages par ailleurs…
S. B.