Deux ans d’enquête, trente-trois arrestations, une cinquantaine de mises en examen et la découverte d’un vaste réseau mafieux chinois partant de l’Italie pour traverser toute l’Europe. L’Allemagne, l’Espagne, le Portugal, des ramifications en Pologne, République tchèque, Roumanie et même en Grèce, aucun pays ne devait échapper à l’emprise de la triade démantelée à la mi-janvier. Son “cœur de métier” ? Le contrôle du transport routier de marchandises chinoises dans quasiment toute l’Europe, hégémonie dans le domaine de la logistique grâce aux mécanismes des menaces et de l’extorsion et un chiffre d’affaires à plusieurs zéros. Mais la triade dirigée d’une main d’acier par Zhang Naizhong plus connu sous le sobriquet de « l’homme noir », s’était aussi insérée dans un tout autre registre commercial en plantant sa griffe dans le proxénétisme, la drogue, le racket et les cercles de jeux illégaux.
Baptisée opération « China Truck », l’enquête italienne effectuée en coopération avec les polices espagnoles et françaises a levé le voile sur l’une des plus grosses infiltrations de la pieuvre chinoise des dernières années. « Prato (petite ville aux portes de Florence avec une très forte présence de la communauté chinoise, ndlr) est le district le plus important et la France a la communauté la plus importante en Europe. D’où la nécessité pour le parrain chinois d’asseoir son pouvoir en se faisant reconnaître en France à l’occasion d’une réunion », confie une source proche du parquet. L’homme se présentait depuis comme le gangster le plus influent de toute l’Europe et le seul « patron des entreprises en France ». Agé de 58 ans, ce Chinois avait voulu montrer sa richesse — alors que sa déclaration d’impôt frôle à peine les 50 000 € par an — à l’occasion des noces de son fils. Un mariage de mafieux comme dans le film « Le Parrain » de Francis Ford Coppola avec 500 invités arrivés dans des Ferrari et des Lamborghini louées par Zhang Naizhong et un diner d’apparat dans l’hôtel Hilton situé sur les hauteurs de Rome. Montant de l’addition : 80 000 €, une bagatelle pour le “Don” chinois.
Dans son rapport de 322 pages, une version condensée des plus de 2 200 pages des enquêteurs, le juge d’instruction Alessandro Moneti du parquet de Florence, en charge de l’enquête préliminaire, décrit le parrain chinois comme dénué de scrupules, prêt à tout pour consolider sa suprématie et élargir son empire. À Rome, Zhang Naizhong s’insère dans les transports en déposant dans son charriot à roulettes, la société Euro Anda rebaptisée par la suite Interlogistica S.R.L.. Implanté dans la banlieue romaine, à quelques kilomètres à peine de l’ancienne basilique des papes de Saint-Jean-de-Latran, l’entrepôt qui sent la grisaille est bien indiqué sur la toile. Sa succursale, la société Cheng Xin est située à Prato. Les méthodes musclées de Zhang Naizhong et de ses lieutenants lui ont garanti le contrôle du marché. Une autre entreprise de transports « Liantong » implantée en Italie mais aussi au 111, avenue Victor-Hugo à Aubervilliers, joue un rôle important dans les affaires de la triade. La partie italienne a été confiée à Lin Guochun, un proche du parrain. Il y avait bien un troisième associé dans l’affaire mais il a été rapidement éliminé du jeu contraint de vendre ses parts pratiquement à titre gracieux. Dans son rapport, le magistrat fait aussi état de l’interrogatoire d’un certain Weng Deshun, propriétaire de la société de transports Eurotrans International dont le siège est situé à Bobigny et la succursale à Neuss en Allemagne. Apparemment, un ennemi de Zhang Naizhong qui l’avait baptisé « le chien de France ». Durant son interrogatoire, Weng déclare que « l’homme noir » aurait fait partie du commando qui avait tiré à coups de mitraillettes contre deux de ses employés en 2007 à Neuss. Les armes auraient été achetées à Paris. Pour prendre le contrôle du transport de marchandises, les méthodes étaient toujours identiques et basées sur la férocité. En 2009, un transporteur est blessé par balle, il reste paralysé des deux jambes. Naples 2006 : fusillade. France 2009 : autre fusillade. Espagne 2010 : embuscade au couteau. En février 2011, Weng Deshung porte plainte en France contre Anda, la société de « l’homme noir » qui a été rebaptisée pour dépister les gêneurs. Dans sa plainte, Weng Deshung fait état des menaces reçues par d’autres transporteurs. Il affirme qu’en Europe, aucune société n’a le droit d’ouvrir, sous peine de sa destruction et des rétorsions sur les propriétaires. Le rapport fait aussi état d’une autre société toujours implantée en France, Alpha Logistique, 160, avenue Paul-Vaillant-Couturier, à la Courneuve, spécialisée dans le stockage de colis. En fait, une filiale de Euro Anda, ou plutôt Interlogistica S.R.L dirigée par Zhang Naizhong selon un autre interrogatoire. « En France, deux personnes ont été mises en examen dans le dossier China Truck, nous avons encore des choses à apprendre » confie la source proche du parquet.
2010
Le gérant chinois de la société Eurotrans International, en région parisienne, subit des menaces multiples et son entrepôt de Bobigny est incendié.
2011
L’enquête China Truck démarre en Italie et implique notamment les équipes de magistrats de l’« Antimafia ». Elle concerne plusieurs villes italiennes.
Janvier 2018
33 personnes sont écrouées suite au coup de filet mené dans plusieurs villes en Italie et en Europe. Mais les enquêteurs et les forces de l’ordre visent une cinquantaine de membres de la pieuvre chinoise.