« Notre ambition est d’être un “One-XPO” »

Article réservé aux abonnés

Luis Angel Gomez, le patron du transport au sein du groupe XPO Logistics Europe, s’est prêté au jeu des questions-réponses avec la rédaction. Le dirigeant du premier groupe privé français de TRM, comme il aime à le souligner, est tout entier tourné vers la mise en place d’une offre « tous terrains » pour les clients du groupe, du vrac aux grands volumes en passant par le 4PL, le complet et le partiel, jusqu’aux prestations de logistique. Autres chantiers : la digitalisation du groupe et le « last mile » qui arrive en France en février…
L’Officiel des transporteurs : Près de 3 ans après le rachat de Norbert Dentressangle par l’Américain XPO Logistics, quels sont les chantiers qui ont été ouverts ?

LUIS ANGEL GOMEZ : Le groupe XPO Logistics est devenu l’un des leaders mondiaux du secteur, et l’ancien groupe Norbert Dentressangle a fait partie de ce processus. Depuis le rachat, nous avons construit et fait émerger nos valeurs communes. En clair, nous n’avons pas fait qu’intégrer les valeurs américaines. Au-delà, le premier chantier a concerné le « rebranding », à savoir l’abandon du nom Norbert Dentressangle au profit de celui d’XPO Logistics. Le changement de marque a été bien perçu en interne et par nos clients en Europe. Nous sommes dans une certaine forme de continuité, à ceci près que la dimension technologique est devenue plus importante.

Et sur votre métier de transporteur et logisticien ?

L.A. G. : Depuis notre intégration au groupe américain, nous avons renforcé notre activité de lot complet au travers de l’affrètement ; et dans le e-commerce – nous occupons une position de leader en Europe – nous avons musclé notre activité dans le last mile (produits volumineux). Depuis le rachat, nous avons surtout effectué un bond en avant sur le plan technologique. Dans le but de renforcer nos relations avec nos clients, nous avons mis au point un CRM destiné au partage mutuel des données commerciales. C’est un chantier en perpétuel développement. Nous avons également ouvert un chantier logiciel transport. Il a démarré dans le lot complet et nous le poursuivons pour le lot partiel, principalement dans le « last mile ». Enfin, nous avons investi les chantiers de l’innovation et de la sécurité.

Avez-vous, dans l’intervalle, procédé à une réorganisation de vos activités, celle du vrac notamment ?

L.A. G. : Notre marque est XPO Logistics, mais notre ambition est d’être un « OneXPO » : nous voulons être en mesure de proposer aux clients un éventail de métiers dans le transport et la logistique. Le concept « OneXPO » est, à mes yeux, plus important que la singularité de chaque activité. Nos commerciaux doivent être en mesure de proposer aux clients l’éventail le plus large de nos services, qui comprennent le vrac, les grands volumes, les lots complets et partiels et les 4PL pour la partie transport et les métiers de la logistique pour la supply chain. Nous sommes avant tout concentrés sur les attentes de nos clients pour leur offrir les services dont ils ont besoin en transport et en logistique.

Le « last mile » constitue l’ADN de votre maison-mère aux États-Unis. En Europe, quel est le poids de cette activité que vous avez lancée il y a peu ?

L.A. G. : Notre credo, dans le last mile, c’est la livraison à domicile de produits volumineux, par 2 personnes. Nous sommes le numéro un aux États-Unis, où nous connaissons une croissance exponentielle grâce au boom du e-commerce. Cette activité est encore très fragmentée en Europe, très régionalisée, sans leader d’envergure. Nous avons consacré l’année 2016 au développement de notre technologie, indispensable pour répondre efficacement à ce marché. Nous sommes déjà présents en Angleterre, aux Pays-Bas, en Espagne et, bientôt, en France. Nous démarrons véritablement la France en février. Nous progressons aussi, dans le e-commerce, dans la livraison de colis aux magasins.

Que peut-on dire de la « green attitude » de votre groupe ?

L.A. G. : Nous sommes engagés dans des logiques d’optimisation, qui se déclinent notamment, bien entendu, avec nos véhicules (près de 9 000) dans le souci par exemple d’éviter au maximum les kilomètres parasites. Cela relève de nos investissements dans les technologies. Sinon, cela va de soi, il y a tous nos investissements dans le matériel roulant. 98 % de notre flotte est Euro V ou VI et le renouvellement s’effectue tous les 3-5 ans. Nous suivons aussi de près l’empreinte CO2 de nos transports pour le compte de nos clients. Notre objectif, pour 2018, est de réduire de 6 % nos émissions de CO2 par tonne transportée sur la base de notre performance 2015.

En matière de motorisations alternatives, nous investissons également sur le gaz. Nous exploitons une flotte d’une cinquantaine de véhicules gaz, dont une trentaine pour l’activité de messagerie palettisée à l’agence inaugurée en 2016 à Bondoufle (91). Nous prévoyons d’autres investissements près de Lyon sachant que deux camions roulent déjà au biogaz du côté de Saint-Etienne. Nous exploitons également des camions dédiés pour certains de nos clients. Le mouvement vers le gaz et le bioGNV s’introduit de plus en plus dans notre activité et notamment dans le lot complet. Le GNL en particulier répond particulièrement bien à nos besoins importants d’autonomie en transport longue distance. Il manque un réseau de stations plus important, bien qu’il se développe rapidement. Je pense que le gaz va devenir une réelle alternative au diesel. Même si l’investissement est plus important au départ, les gains de productivité permettent de compenser ce surcoût initial. Nous possédons également quelques véhicules électriques pour la livraison du dernier kilomètre car nous nous devons d’accompagner nos clients qui sont de plus en plus soucieux de réduire leur impact environnemental.

Quelle est votre politique vis-à-vis des sous-traitants ?

L.A.G. : La politique d’XPO n’a pas changé. Le choix entre moyens propres ou sous-traités est lié au business, au pays ou au marché. Le mix entre les deux est en moyenne de 50/50 mais il est variable selon le contexte et les conditions de compétitivité dans les différents marchés et différents domaines. Nous avons aussi développé des moyens propres surtout pour les activités de messagerie palettisée et des lots complets dédiés, aussi bien en France qu’au Royaume-Uni. En revanche, les lots complets non dédiés et le transport international (Espagne, Allemagne, Angleterre, Espagne, Pays-Bas etc.) sont confiés à des sous-traitants. Nous possédons les mêmes standards de qualité avec un cahier des charges pour maîtriser le respect de la réglementation. Nous avons renforcé notre TMS pour cela. Nous portons une attention particulière à la qualité de nos sous-traitants. Cela concerne aussi les exigences en matière de développement durable. Nous visons -6 % d’émissions de CO2 en 2018. Pour ce faire, le TMS nous permet de réduire les km à vide et d’optimiser le chargement. La typologie et l’ancienneté du parc de la sous-traitance font aussi partie de ses critères de qualité et de classement des prestataires. Si nous voulons continuer de grossir, la sous-traitance restera toujours d’actualité.

Quid de l’éthique dans vos relations avec ces sous-traitants ?

L.A.G. : Il y a des sous-traitants qui travaillent pour nous depuis plusieurs générations. L’optimisation de la productivité, que nous assurons, explique également la fidélité des prestataires. Nous nous efforçons d’éviter qu’ils se retrouvent dans une situation de dépendance économique vis-à-vis de nous. Nous avons une charte pour la sous-traitance au travers de laquelle les prestataires s’engagent à respecter les standards qualité du groupe.

Depuis quelques années, le Royaume-Uni représente une part importante du chiffre d’affaires européen et vous y avez installé l’une de vos tours de contrôle « KeyPL ». Comment appréhendez-vous le Brexit ?

L.A.G : Nous n’avons pas ressenti d’impact jusqu’à présent. Il faut dire que le marché britannique est un marché très local même s’il s’agit, pour nous, du deuxième marché européen après la France. De plus, nous y traitons surtout des contrats de logistiques contractuelles. Notre sentiment est que la population va continuer à consommer donc, nous ne croyons pas à un impact négatif par rapport à notre activité locale. Côté transport, il s’agit aussi d’une activité nationale avec le réseau de messagerie palettisée et les tours de contrôle, des services dédiés qui ne seront pas non plus impactés. Par ailleurs, nous sommes l’un des plus gros acteurs sur le Transmanche avec 500 passages par jour (répartis entre Eurotunnel et les ferries). Aujourd’hui, nous n’avons pas constaté de baisse mais plutôt une augmentation liée à la dévaluation de la livre sterling, qui a rendu l’export vers l’Europe plus compétitif. De plus, la complexification des procédures douanières pourrait même nous donner un avantage compétitif car nous sommes mieux placés pour y faire face, par rapport à d’autres opérateurs plus modestes et moins structurés. Plus quelque chose est complexe, plus on peut apporter de la valeur ajoutée. Et la complexification doit être accompagnée par une valorisation du service.

Que vous inspire l’éventualité du retour d’une fiscalité sur le transport ?

L.A.G. : Les transporteurs s’adaptent toujours. On est très flexible et on peut changer très vite. Nous nous adaptons toujours à la législation de chaque pays : en Espagne par exemple, on peut faire rouler des 25,25 m mais pas des 44 t alors qu’en France, c’est le contraire. En Italie, on peut « faire » du 44 t mais pas à l’international. Sans parler des différences au niveau des hauteurs maximales des véhicules. Ce que nous attendons avant tout des autorités, c’est une stabilité et une harmonisation des règles.

Norbert Dentressangle, puis XPO Logistics maintenant, est cité en exemple pour la livraison urbaine fluviale avec Franprix. L’expérience dure depuis 5 ans. Quel est votre bilan et comptez-vous poursuivre la collaboration ?

L.A.G. : C’est une très belle expérience qui va continuer. Notre client est très satisfait et nous également. L’expérience se poursuit avec un contrat sur une longue durée. Il s’agit d’un véritable partenariat, qui a même été renforcé. Nous avons commencé avec 26 conteneurs et sommes maintenant passés à 40 quotidiens, soit plus de 600 palettes par jour. Notre prochaine étape : la livraison des marchandises avec des camions roulant au gaz, notamment pour le dernier kilomètre (depuis le quai de la Bourdonnais à Paris au point de distribution) afin de réduire encore plus les émissions pour ce transport multimodal.

Certains de vos confrères affirment qu’il s’agit d’un mode qui vous coûte cher. Est-ce vraiment rentable ?

L.A.G. : Nous ne faisons rien qui ne soit pas rentable ! Au-delà de l’économie, les clients du multimodal s’engagent pour un véritable projet, dans une ambition à plus long terme qui conduit au partenariat.

Où en êtes-vous des autres projets liés au multimodal, comme l’hôtel logistique de La Chapelle International à Paris ou dans d’autres grandes villes ?

L.A. G. : Nous sommes constamment à la recherche d’innovations dans nos services. Pour Paris, nous sommes prêts. Notre propos, pour ce type de projets, consiste à être perçu comme le partenaire de référence. S’il y a relativement peu de projets développés aujourd’hui, c’est par manque de confirmation de partenariats de chargeurs. Ce sont eux qui disposent de la marchandise à basculer de la route au fleuve ou sur les rails. Nous possédons la solution, le savoir-faire et la capacité d’effectuer des investissements mais les chargeurs restent réticents. En termes de coût et de flexibilité, ils préfèrent encore la route. Le multimodal, aujourd’hui, n’atteint pas un niveau suffisant pour les convaincre.

La 5e ordonnance Macron, qui modifie le compte pénibilité, met en avant la prévention. Quelle est la politique de XPO en matière de santé et de sécurité pour ses salariés ?

L.A. G. : La sécurité de nos collaborateurs constitue notre premier chantier. Nous avons ainsi un programme mondial qui ne se limite pas aux métiers de la route mais également à tous nos collaborateurs en entrepôts ou sédentaires. Nous abordons en priorité le thème de la santé dans le cadre de nos enquêtes de satisfaction auprès de nos collaborateurs. Par exemple, nous leur demandons si nos investissements dans ce domaine s’avèrent satisfaisants. Nous avons aussi, dès 2016, ajouté des préventeurs à temps plein afin de diminuer le taux d’accidents.

Tous les projets d’investissement concernant la sécurité de nos collaborateurs ont été acceptés par le groupe avant même d’étudier leur impact économique. Par ailleurs, nous partageons les bonnes pratiques. Ainsi, lorsqu’un pays européen enregistre des taux plus faibles d’accidents que les autres, nous étudions les mesures appliquées pour parvenir à ce type de résultat.

L’une des voies envisagées dans le cadre de la réforme de la formation serait de promouvoir et développer les filières d’apprentissage. Quelle place ce type de formation tient-il chez XPO ?

L.A. G. : En tant qu’employeur de plus de 13 000 collaborateurs en France, nous portons de grands espoirs sur ce mode de formation. Nous accueillons des apprentis un peu partout en France. Nous avons dans ce sens élaboré notre propre programme « Red graduates » en Europe, avec pour objectif de développer le management de demain. Chaque année, nous recrutons des gens pour 24 mois, en 4 périodes de 6 mois, dans différents domaines et différents pays. Une grande majorité d’entre eux restent dans l’entreprise à l’issue de ce contrat et obtiennent des postes à responsabilité. Ce système a bien fonctionné et a été exporté aux États-Unis. Cela montre qu’il y a une réciprocité des initiatives.

Comment rendre la filière plus attractive selon vous ?

L.A. G. : Bien qu’anciens, les métiers de la logistique et du transport ont beaucoup évolué grâce à la technologie. Les grands groupes technologiques mondiaux, qui se focalisent sur la logistique et le transport, investissent beaucoup. Ils peuvent rendre ces emplois intéressants pour beaucoup de gens. D’ailleurs, l’utilisation de la technologie devient même nécessaire. Même si on connaît un trajet par cœur, le GPS peut être utilisé afin de savoir s’il y a des bouchons. Côté exploitation, les algorithmes et le big data apportent des informations qui permettent de gérer les flux beaucoup plus efficacement. Et en logistique, la robotique tient une place de plus en plus importante. Les drones procèdent à la lecture des codes-barres dans les entrepôts et contribuent ainsi à la gestion des stocks. L’employé n’a ainsi plus l’obligation d’utiliser le chariot élévateur pour effectuer cette tâche, ce qui renforce la sécurité pour nos collaborateurs.

Comment qualifieriez-vous le degré de digitalisation de votre entreprise ? Si vous deviez donner une note de 1 à 10 ?

L.A. G. : Je dirais 8. Notre PDG et nos actionnaires sont conscients de l’importance de ce secteur. Nous investissons 425 M$ par an dans la technologie. Nous comptons 1 600 collaborateurs spécialistes dans le monde. Par exemple, nous disposons d’un outil qui s’appelle Freight Optimizer pour les lots complets européens, qui était fonctionnel en 2017, en phase de test. En 2018, l’objectif est de le déployer partout en Europe. Un collaborateur à Paris, Madrid, Londres, n’importe où, pourra avoir accès, grâce à un outil commun, à toute l’information, savoir le détail des camions disponibles et comment optimiser les moyens.

Nous déployons également un système d’information des ressources humaines, opérationnel en janvier 2018. L’idée est de disposer de l’ensemble de l’historique d’un collaborateur pour l’accompagner et détecter les talents, les besoins en formation, etc. Car, avec plus de 91 000 collaborateurs dans le monde, il convient d’être attentif et de mieux maîtriser les données. Cela vaut également pour le commerce et la connexion avec nos clients.

Quoi d’autre ?

L.A. G. : Nous exploitons un outil nommé Connect XPO. Il s’agit d’un service web, sur lequel le client peut accéder à tous ses types de transports (palettes, lot complet, etc.) avec une déclinaison pour les moyens propres (OnBoard XPO) et une autre pour la sous-traitance (Drive XPO). Enfin, par rapport à l’offre de solutions informatiques, les outils sont réalisés en interne, pour le dernier kilomètre, pour le lot complet, pour le LTL. Mais il existe beaucoup de modules sur le marché ; nous les incorporons à notre propre système. Aucun des systèmes marché n’est en revanche prêt à l’emploi pour nous, donc c’est nous qui le construisons, avec des modules intégrés et le produit final est vraiment un produit maison. Je pense que dans les 5-10 prochaines années, avec les véhicules autonomes, avec l’utilisation du Big Data, des algorithmes qui font l’optimisation de la route, qui génèrent des coûts d’investissements aujourd’hui accessibles, le métier va se transformer fortement.

Êtes-vous rentrés dans ce qu’on pourrait appeler la digitalisation externe, c’est-à-dire les plateformes d’intermédiation comme Convargo, Chronotruck, Fretlink, etc. Quel regard portez-vous sur ces plateformes ?

L.A. G. : Il y a de nombreuses innovations en cours dans notre secteur. C’est une bonne chose car cela pousse tout le monde à innover. Nous suivons cela de près, et c’est déjà une réalité pour nous. Par exemple, dans le cadre de notre réseau d’affrètement, nous utilisons notre propre technologie Freight Optimizer pour trouver le camion le mieux adapté à chaque chargement.

Quels sont les projets que vous mettez en place pour « améliorer » cette note de 8/10 ? Avec quels objectifs, sur le court, moyen, long terme ?

L.A. G. : Je pense que les points d’amélioration se situent d’abord autour de Connect XPO et son déploiement. Il s’agit également de faire en sorte que tous nos camions soient équipés d’une application, pour nous faire remonter l’information sur les livraisons, les POD, le CRM, les documents signés… La partie administrative peut également être améliorée car le transport est un métier qui brasse beaucoup de papier, et qui est très encadré légalement. Par ailleurs, à mes yeux, le plus important est de casser les barrières géographiques. C’est la raison pour laquelle Freight Optimizer va disposer d’un outil couvrant toute l’Europe. Et Salesforce, notre outil CRM, le fait déjà. Donc un collaborateur peut, suivant son niveau de sécurité, accéder à toute l’information concernant un ordre de transport, une visite de client, etc. La cyber-sécurité est extrêmement importante également. Nos investissements pour sécuriser les données de nos clients, dont nous sommes responsables, sont énormes. Vous n’avez pas idée du nombre d’attaques auxquelles nous résistons. Le retour sur investissement n’est pas évident car il s’agit de prévention : mais celle-ci est indispensable. Nous ne serons donc peut-être jamais à 10/10 mais nous continuons de nous en approcher.

Face à la rédaction

Boutique
Div qui contient le message d'alerte
Se connecter

Identifiez-vous

Champ obligatoire Mot de passe obligatoire
Mot de passe oublié

Vous êtes abonné, mais vous n'avez pas vos identifiants pour le site ?

Contactez le service client abonnements@info6tm.com - 01.40.05.23.15