Les professionnels du secteur n’ont pas caché leur déception face à l’accord sur la révision de la directive travailleurs détachés, conclu le 23 octobre entre les Ministres du Travail européens. Bien qu’inclus dans le texte, le transport routier devra finalement attendre la négociation des règles spécifiques au secteur dans le cadre du Paquet Mobilité. Pour parvenir à décrocher une majorité confortable, la France a ainsi dû se résoudre à une importante concession aux pays de Visegrad (Pologne, Hongrie, Républiques tchèque et slovaque) mais aussi à l’Espagne et au Portugal. Ces derniers réclamaient que le transport, de par sa nature mobile, bénéficie d’exemptions au travail détaché. La France a fini par accepter que la directive révisée ne s’applique pas au transport tant qu’un accord n’aura pas été trouvé dans le cadre du Paquet Mobilité. Ainsi le TRM, s’il n’est pas exclu de la directive ainsi révisée, se retrouve toutefois suspendu à un accord spécifique qui devra définir les règles sociales applicables propres au secteur. En attendant, l’ancienne directive de 1996 reste en vigueur pour le transport routier. Les conditions de travail des salariés doivent donc en l’état actuel respecter la législation du pays dans lequel ils sont détachés dans plusieurs domaines : le salaire minimal, mais aussi la durée minimale des congés payés, les périodes maximales de travail ou encore les conditions de sécurité. Face à cet accord, l’Exécutif s’est rapidement voulu rassurant. Muriel Pénicaud, la ministre du Travail, a souligné que l’accord confirme « que les règles du détachement s’appliquent au transport ». Pour convenir aux spécificités du secteur, le texte prévoit ainsi un report d’application, le temps de permettre à la négociation du Paquet Mobilité d’aller à son terme, a-t-elle précisé. Dans un communiqué commun, les ministères du Travail, chargé des transports et chargé des Affaires européennes assurent ainsi que « la question du transport routier est clarifiée : les règles du détachement s’appliquent pleinement au secteur du transport. L’accord trouvé aujourd’hui le confirme pleinement. » Les trois ministres précisent que les salariés français du secteur seront protégés exactement de la même manière que les autres « puisque la loi française le prévoit déjà ».
Face à ce report, un fort désaccord est apparu entre les organisations patronales. Pour l’OTRE, cet accord apparaît comme une « catastrophe » et rendra la négociation du Paquet Mobilité encore plus difficile : « le transport routier et ses salariés ont été sacrifiés aux intérêts des pays de l’Europe centrale, Pologne en tête, et de l’Espagne » pour parvenir à un accord « historiquement scandaleux » sur le travail détaché en Europe, a-t-elle déploré au lendemain de l’accord. La fédération retient désormais que « la position française se trouve de ce fait fragilisée en pleine négociation du Paquet Mobilité ». La FNTR, en revanche, estime que le TRM n’a pas été oublié puisqu’il prend en compte les négociations en vue de l’accord européen spécifique au transport routier. Un avis partagé par l’UNOSTRA qui soutient que l’exclusion provisoire du TRM « n’est pas un drame ». La nécessité d’aboutir à un accord qui harmoniserait le détachement pour le secteur reste toutefois au cœur des préoccupations. Dans un communiqué commun, la FNTR et TLF soutiennent que rester dans le champ de la directive de 1996 ne pourrait être une solution viable, « aucun État n’appliquant le détachement de salariés de la même façon ». Elles se disent ainsi « vigilantes à ce qu’au niveau européen, les dispositions spécifiques permettent de rétablir une égalité de concurrence dans le secteur du transport routier de marchandises et que ces nouvelles dispositions spécifiques soient également parfaitement contrôlables ».
Les syndicats de salariés de la branche ont exprimé unanimement leur déception. L’ETF (European Transport Workers’ Federation), qui rassemble des syndicats routiers issus d’une quarantaine de pays, a ainsi regretté que les chauffeurs soient devenus des « citoyens de l’UE de second rang ». Le salaire minimum reste la norme en place et lieu de la rémunération globale, regrette Roberto Parillo, président de la section transport routier à l’ETF. Dans un communiqué intersyndical de la branche transport, face à « l’exclusion » du transport de la Directive, la CFDT, la CGT, FO, la CFTC et CFE-CGC annoncent qu’elles combattront ce projet. « Les conséquences sont inacceptables pour notre secteur qui, sans propositions fortes et réalistes de notre gouvernement, connaîtra assurément dans les années à venir, la mort du métier de conducteur en France », ont-elles assuré. Jérôme Vérité (CGT) redoute pour sa part que les pays de Visegrad, avec l’Espagne et le Portugal, qui ont obtenu gain de cause, campent davantage sur leurs positions lors de la négociation du Paquet Mobilité. Patrice Clos, secrétaire général de FO Transports, déplore le deal « entre le président Macron, les pays de l’Est et la péninsule ibérique. Malgré de belles paroles de Madame Borne, le TRM est exclu de la nouvelle directive travailleurs détachés ». Pour la CFTC, les conducteurs français resteront les travailleurs pauvres du marché français car ils « continueront à être dumpés allègrement » par des chauffeurs étrangers, moins cher, soutient Thierry Douine (CFTC). L’ETF prévoit désormais de sonder les divers syndicats de salariés en Europe en vue d’une semaine d’action à partir du 20 novembre, a précisé Roberto Parillo.
Le problème, pointent l’ensemble des fédérations patronales et quelques syndicats, reste que la directive actuelle fait déjà l’objet de nombreux contournements. Car, si la problématique des contrôles de cabotage est bien prise en compte dans le décret n° 2016/418 du 7 avril, issu de la Loi Macron, les partenaires sociaux se montrent particulièrement sceptiques quant à son application effective. Roberto Parillo rappelle qu’un grand nombre de fraudes ont d’ores et déjà été constatées. En moyenne, 30 % des véhicules de transport de marchandises et de voyageurs qui circulent en Europe sont ainsi en infraction, soit quelque 600 000 véhicules sur les 2 millions qui sillonnent les routes de l’Union. L’OTRE demande ainsi à la ministre des Transports « l’application des règles françaises issues de la loi Macron. Il est indispensable de renforcer très fortement les moyens a minima afin de contrôler plus efficacement le cabotage ». Un avis partagé par Florence Berthelot, déléguée générale de la FNTR : « La clé de toute réglementation, et particulièrement celle sur le détachement, c’est le contrôle effectif du paiement au salaire français ! »
(Retrouvez l’interview d’Élisabeth Borne page suivante)
La directive détachement, révisée qui devrait entrer en vigueur à partir de 2022, doit désormais faire l’objet de nouvelles négociations au Parlement et à la Commission avant l’adoption d’un texte définitif. Outre le transport, trois autres thématiques sont prévues par le texte : les ministres du Travail européens se sont ainsi accordés sur la durée du détachement, avec une limite fixée à 12 mois, ce que réclamait la France avec insistance. Toutefois, une prolongation de 6 mois à la demande de l’entreprise et sous réserve de validation par l’autorité administrative locale sera possible. Dans sa proposition initiale de réforme, présentée en mars 2016, l’exécutif européen avait proposé de limiter cette durée à 24 mois. Deuxième thème abordé par la directive, les éléments de salaires en visant l’application d’un « salaire égal, à travail égal, sur un même lieu de travail ». Ainsi, dans la directive initiale, qui date de 1996, il est simplement spécifié que les travailleurs détachés doivent toucher le salaire minimum du pays d’accueil. En révisant la directive, l’exécutif européen veut désormais que toutes les règles valables pour les travailleurs locaux s’appliquent aux détachés : ainsi, si le pays d’accueil prévoit une prime de froid, de pénibilité, d’ancienneté, un treizième mois, ces bonus devront aussi leur être versés. Enfin, la lutte contre la fraude et les entreprises « boîte aux lettres » se voit renforcée.