Le bras de fer se poursuit malgré les multiples tentatives d’apaisement des ministères du Travail et des Transports. Face aux ordonnances signées le 22 septembre par le président Emmanuel Macron, les syndicats de salariés FO et CGT transports entendent maintenir la pression bien que la quasi-totalité de leurs actions menées les 25, 26 et 27 septembre soient suspendues. Les deux syndicats expliquent cette retombée par la réunion organisée le 28 septembre par la ministre des Transports, Élisabeth Borne, afin de tenter de calmer la grogne. « Les gens se disent “attendons de voir” », indique Jérôme Vérité, secrétaire de la CGT. De son côté, la CFDT-Route, premier syndicat du secteur, a menacé de lancer un mouvement de grève à partir du 10 octobre si ses craintes n’étaient pas levées sur la réforme du code du travail. « Près de 80 % des entreprises du transport sont des TPE et PME et donc concernées par la possibilité que donnent les ordonnances de signer des accords internes en dérogeant aux accords de branche », souligne Patrick Blaise, secrétaire général de la CFDT Transports, pointant le risque de dumping social, notamment via la primauté donnée aux accords d’entreprise sur les accords de branche. La CFTC-Transport doit réunir son bureau fédéral pour décider de se joindre ou non à l’appel à la grève de la CFDT. Côté patronal, la crainte de dumping social que procureraient ces ordonnances reste infondée. « Le risque était bien pire avant, assure Florence Berthelot, déléguée générale de la FNTR. Les ordonnances ouvrent désormais un assouplissement du dialogue social dans les petites entreprises. Elles leur permettent de passer des accords, ce qui n’était pas possible jusqu’à présent, sauf pour celles qui possédaient un délégué syndical. Un dialogue social peut apporter beaucoup de choses et pas forcément toujours dans un sens négatif. » Les quatre syndicats se sont lancés dans deux mouvements distincts : la CFDT et la CFTC, qui avaient organisé une journée de mobilisation le 18 septembre, réclament ainsi une exception et des aménagements pour le secteur sur les accords internes à l’entreprise ; FO et la CGT demandent pour leur part l’annulation des ordonnances. Si les discussions de la rencontre du 28 septembre doivent avant tout porter sur le dumping social et la concurrence déloyale, avec la problématique de la directive européenne de détachement en toile de fond, les représentants de salariés espèrent également obtenir des réponses à leurs revendications. Au cours de la réunion préparatoire du 26 septembre, les quatre syndicats de salariés — FO, CGT, CFDT, CFTC — ont ainsi exposé les points des ordonnances qui pourraient, selon eux, pénaliser les salariés de la branche transport. Ils redoutent notamment que des annexes de rémunération, comme les primes d’ancienneté ou de travail de nuit, fixées au niveau de la branche professionnelle, ne soient remises en cause par des accords d’entreprise. Au cours des derniers jours, le gouvernement ainsi que les organisations patronales n’ont eu de cesse de répéter que les ordonnances ne modifiaient pas la rémunération des conducteurs, sans convaincre. Au micro de France Info, le 26 septembre, Florence Berthelot, a estimé qu’il « y a eu un habillage transport de certaines revendications par les syndicats mais sur des points qui ne correspondent pas à la réalité », pointant notamment la crainte de la disparition de primes d’ancienneté exprimée par FO et la CGT Transports. « Il n’y a pas de prime d’ancienneté au niveau de notre convention collective. Elles ne peuvent donc pas disparaître au niveau de l’accord d’entreprise, a-t-elle précisé. Par ailleurs, notre secteur est confronté à de fortes tensions dans le recrutement et ce n’est certainement pas en diminuant les rémunérations que nous pourrons trouver les emplois de demain. » L’OTRE affirme également que « la convention collective ne prévoit pas de primes d’ancienneté mais des majorations d’ancienneté applicables aux taux horaires des minima conventionnels. Or, il suffit de lire les projets d’ordonnances pour voir qu’il est expressément prévu que l’accord de branche primera de façon “exclusive” sur l’accord d’entreprise dans onze grands domaines dont, en premier lieu, les minima conventionnels, les classifications professionnelles, les mesures relatives à la durée du travail, à la répartition et à l’aménagement des horaires… »
Peu à peu, au fil des mobilisations, d’autres revendications sont apparues, parfois éloignées du seul champ des ordonnances, comme le congé de fin d’activité ou les classifications. Un amalgame dénoncé par l’ensemble des organisations patronales. Ainsi, Jean-Christophe Pic, président de la FNTR, et Yves Fargues, président de TLF, considèrent que « la CGT et FO tentent d’instrumentaliser leurs sections transport pour faire une démonstration de leur capacité de nuisance aux pouvoirs publics. L’objectif est clairement politique et s’appuie sur des contre-vérités concernant le secteur du transport routier de marchandises ». Une observation partagée par l’OTRE qui déplore « les nombreuses confusions, les amalgames et contre-vérités dans les propos tenus » par les deux syndicats. Le week-end précédent la mobilisation de la CGT et FO Transports, la ministre des Transports a écrit aux organisations syndicales afin de tenter de les rassurer sur le sort du CFA. « Les engagements de l’État seront tenus », assure la ministre qui rappelle l’accord signé le 19 avril. La participation financière de l’État se poursuivra dans les conditions actuelles pour les demandes d’entrée dans le CFA formulées avant le 31 décembre 2020 ». Ils seront ainsi garantis par le biais d’un amendement au projet de loi de finances de la sécurité sociale pour 2018. Une voie qui ne tranquillise pas Jérôme Vérité : « la disposition doit encore passer au Parlement », déplore-t-il.
Au cours de la réunion préparatoire, la CFDT a proposé la mise en place d’une commission afin d’empêcher les petites et moyennes entreprises de mettre en place des accords moins favorables que la branche professionnelle. Une piste déjà avancée lors de la mobilisation du 18 septembre de la CFDT et la CFTC mais qui « requerrait des moyens », souligne Thierry Douine, président de la CFTC. Une solution que Florence Berthelot estime contre-productive : « une commission existait déjà jusqu’à ce que la loi Travail la supprime. Mais les syndicats refusaient systématiquement chaque accord présenté. Et si on l’accepte dans le TRM, il faut l’accepter partout. Cela remettrait totalement en cause le principe des ordonnances. » Malgré le préavis de grève déposé par la CFDT pour le 10 octobre, un rapprochement des deux groupes de syndicats n’est pas à exclure : « selon les réponses du gouvernement que nous obtiendrons le 28 septembre, nous considérerons avec la CFDT et la CFTC un rapprochement, a précisé Patrice Clos. Aller vers une convergence des organisations syndicales du transport engendrerait davantage de monde… »