Geodis et le Sernam peuvent préparer leurs fiançailles. Prévu de longue date, cet « événement » vient de recevoir la bénédiction de la Commission européenne. Le 23 mai, Bruxelles, qui n'a pas encore notifié sa décision aux principaux intéressés, a autorisé l'aide à la restructuration du Sernam apportée par la SNCF. Une condition sine qua non à la cession du messager au groupe de transport et de logistique contrôlé à hauteur de 43,6 % par l'opérateur ferroviaire. Montant du chèque : 448 millions d'euros, soit environ 2,9 MdF, destinés à couvrir les pertes d'exploitation de l'ex-service messagerie de l'entreprise publique, filiale de SNCF Participations depuis le 1er février 2000. Une enveloppe bien supérieure à celle prévue initialement. Celle-ci s'élevait à 1,3 MdF. « Pendant que les fonctionnaires européens réfléchissent, le déficit du Sernam se creuse », commente un cadre du Sernam. Et ce n'est pas fini puisque les autorités européennes devront encore se prononcer sur des aides d'Etat complémentaires estimées elles à 1,9 MdF. Celles-ci sont cette fois censées supporter le surcoût de la mise en place du plan de restructuration ainsi que celui lié à l'emploi du personnel sous statut SNCF chez Geodis. Au total, l'intégration du Sernam dans Geodis pourrait donc coûter à l'Etat la somme de 5 MdF !
Dans son argumentaire, la Commission européenne précise que le premier ballon d'oxygène auquel elle a consenti est « compatible avec la législation communautaire en matière d'aides d'Etat au sauvetage et à la restructuration des entreprises en difficulté ». « La prise de contrôle de la société par Geodis et le plan de restructuration qui sera mis en oeuvre permettra un retour à la viabilité du Sernam sous quatre ans », assure Bruxelles pour qui « la filialisation du Sernam a montré que l'entreprise n'était pas rentable. Depuis la création du Sernam comme entité distincte, la SNCF a financé un compte courant pour faire face à des pertes mensuelles d'environ 50 MF, qui se cumulent aujourd'hui pour atteindre 950 MF ». Soit un chiffre légèrement supérieur aux 700 MF de déficit que le Sernam aurait enregistré en 2000 (pour un chiffre d'affaires de 3,8 MdF). Quant aux conséquences de l'aide sur la concurrence, elles ne seront pas, pour Bruxelles, « défavorables, notamment grâce à la réduction prévue des effectifs et des capacités de production ». Seule mise en garde exprimée par la Commission : le gouvernement français devra présenter un rapport annuel sur la progression de la mise en oeuvre du plan de restructuration du Sernam.
Selon le schéma retenu il y a un an par le président de la SNCF et Alain Poinssot, le prédécesseur de Pierre Blayau à la tête de Geodis, le groupe de transport et de logistique devrait prendre une participation de 60 % dans le capital du Sernam. La SNCF conserverait les 40 % restants ainsi que l'important patrimoine foncier et immobilier. Au terme d'une période transitoire de 4 ans, Geodis pourrait porter sa part à 100 %. Selon le voeu de Geodis, le Sernam devra atteindre un niveau de rentabilité conforme aux normes du groupe dans le métier de la messagerie. Soit une marge opérationnelle équivalente à 3 % du chiffre d'affaires. Reste maintenant à connaître les intentions de Pierre Blayau qui, lors de la présentation de la nouvelle organisation de Geodis en mars 2001, a purement et simplement exclu le Sernam. Autre question : comment le Sernam et Calberson, deux entités culturellement antagonistes, vont-ils travailler ensemble ? « Les Sernamiens sont soulagés par la décision de Bruxelles car ils y voient la pérennité de leur entreprise mais ils craignent que celle-ci soit vampirisée par Calberson », souffle un responsable syndical. Quid également des synergies, du plan de transport, de la stratégie européenne ? Autant d'interrogations sur lesquelles doit aujourd'hui se pencher François Branche, le directeur général de Geodis.
En alignant son huitième exercice déficitaire consécutif en 2000, le Sernam a malgré tout « accompli des efforts importants afin de préparer son intégration dans Geodis », plaide Armand Toubol, le P-dg de SNCF Participations. De fait, le messager a tout d'abord réduit le nombre de ses personnels. Il n'accueille plus aujourd'hui que 3 700 salariés, contre un peu plus de 5 000 lors de sa filialisation. Sur ce total, 1 200 personnes bénéficient du coûteux statut de cheminot, contre 3 900 auparavant. Le nombre de sites de production est passé de 87 à 62. Par ailleurs, le projet de régionalisation de l'activité est quasiment bouclé. Il s'appuie notamment sur la création de sept filiales régionales que le siège accompagnera sur le plan opérationnel, stratégique et de la consolidation financière. Quatre entités juridiques nouvelles viendraient compléter ce dispositif, dont Sernam Route pour les tractions routières, ainsi que des filiales spécialisées sur la logistique et les services. Les régions seront ainsi dotées de compétences et de moyens permettant « d'exercer de façon autonome la gestion de leur domaine de responsabilité géographique et opérationnel. » De leur côté, les agences seront directement responsables de leurs recettes et de leurs dépenses de fonctionnement. D'un point de vue commercial, la stratégie envisagée consisterait à opérer une sélection de la clientèle. Au programme : revalorisation tarifaire de certaines prestations et diversification dans une optique de complément de gamme avec les autres sociétés du groupe Geodis. De façon réciproque, le Sernam solliciterait Geodis pour développer des activités internationales ou la conquête de grands contrats logistiques. Par ailleurs, il est prévu que le Sernam mette l'accent sur certains produits qui recevront un traitement spécifique. C'est notamment le cas de la presse, activité historique de la SNCF traitée par le Sernam ou encore de la livraison aux particuliers, issue de la VPC ou des commandes effectuées en ligne. Le Sernam devra également revoir ses coûts de transport à la baisse. Lesquels se situeraient nettement au dessus des standards de la profession. Ce différentiel trouverait son origine dans un taux de remplissage largement insuffisant. Une réduction significative de la sous-traitance au niveau des traitements des colis à quai et de l'activité camionnage serait également en cours. En attendant que ces différents chantiers se mettent en place, la SNCF devra faire avaler la cession du Sernam aux organisations syndicales. Affaiblies par le départ de nombreux cheminots, ces dernières pourraient néanmoins battre le fer pendant qu'il est chaud. Le projet de filialisation régionale est en effet perçu comme une ébauche de démantèlement du Sernam. Quant à l'adossement du messager au groupe Geodis, il est vécu comme une véritable privatisation.
Si le Sernam va mal, sa maison mère ne se porte pas très bien non plus. En 2000, SNCF Participations, la société holding chapeautant les 568 filiales non ferroviaires de la SNCF, a vu son bénéfice net consolidé chuter de 97,5 %, à 15 MF, contre 603 MF en 1999. Dans le même temps, son résultat d'exploitation s'est établi à 262 MF contre 603 MF un an plus tôt. Seule consolation : sous l'effet d'une conjoncture favorable l'an dernier, le groupe a augmenté son chiffre d'affaires de 12,87 %, à 30,7 MdF. P-dg de SNCF Participations, Armand Toubol explique l'effondrement de la rentabilité par plusieurs « facteurs négatifs », tels que la hausse du prix du gazole, la mise en oeuvre de la réduction du temps de travail, le renchérissement des prix de la sous-traitance routière ou encore les problèmes de qualité ferroviaire. Le coût du dernier conflit social à la SNCF est estimé à 100 MF pour l'ensemble des sociétés du groupe. Générant 22 MdF du chiffre d'affaires consolidé de SNCF Participations, Geodis est lui aussi montré du doigt en raison d'un exercice 2000 qui s'est soldé par une perte de 176,3 MF. Pour 2001, le redressement de cette entreprise est classé parmi les dossiers prioritaires de SNCF Participations. Armand Toubol mise notamment sur la mise en place de la nouvelle organisation du groupe de transport et de logistique impulsée par son nouveau P-dg Pierre Blayau. Concernant Bourgey-Montreuil (BM), l'entreprise représentant l'ex-branche route de Geodis qui accuserait 100 MF de pertes en 2000, « le choix de Pierre Blayau est de faire évoluer le pôle chimie », indique Armand Toubol. Largement déficitaire, BM Chimie pourrait ainsi être cédée, adossée à un partenaire extérieur voire à une filiale à dominante ferroviaire de SNCF Participations. Autre chantier à venir, le projet d'alliance capitalistique entre Geodis et La Poste qui semble emprunter une voie de garage. « Compte tenu des nombreuses acquisitions effectuées par la poste française ces derniers temps (NDLR : DPD, Mayne Nickless), la donne a considérablement évolué. Si d'un point du vue opérationnel, ce projet reste séduisant, nous n'avons pas trouvé de solution en ce qui concerne le montage financier », affirme Armand Toubol.