Quel surcoût pour les entreprises ?

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Répercuter sur leurs clients les 20 % à 25 % de surcoûts engendrés par l'accord sur le travail de nuit qui pourrait être signé le 30 mai. Telle est la préoccupation des transporteurs routiers. Des dirigeants d'entreprise qui, s'ils ne contestent pas le principe d'un dispositif applicable à tous, s'inquiètent du nouveau déséquilibre créé vis-à-vis de la concurrence étrangère.

Le 10 mai, la loi sur le travail de nuit était publiée au Journal Officiel. La veille, l'UFT (Union des fédérations de transport) et l'Unostra proposaient aux syndicats de salariés une cinquième version d'un projet de protocole d'accord sur ce dossier. Pas question pour la partie patronale d'aller beaucoup plus loin. Dans son esprit, la réunion du 30 mai doit marquer l'aboutissement de la négociation. Des derniers ajustements restent possibles, mais « nous sommes allés au bout du bout » assure Christian Rose, secrétaire national de l'Unostra. « En cumulant compensations financières et en repos, le dispositif frôle les 20 à 25 % de majoration pour les travailleurs de nuit dès l'an prochain ». Pourtant les propositions (cf encadré) ne satisfont pas entièrement les syndicats qui tentent de faire monter les enchères. Ainsi la branche route de la CFDT - qui n'a pas participé aux dernières négociations - salue l'avancée constituée par la prise en compte de toutes les heures réalisées entre 21 heures et 6 heures. En revanche, indique Jean-Pierre Rémy, « les taux nous semblent insuffisants au regard d'accords d'entreprise prévoyant 20 à 25 % pour les seules majorations pécuniaires. Ce que nous voulons au minimum ». Par ailleurs, l'organisation demande une stricte limitation de la durée maximale du travail de nuit à 8 heures. Les syndicats craignent aussi les effets de l'abrogation de l'article 24 bis de la convention collective qui « lorsqu'il est appliqué prévoit des indemnisations supérieures aux majorations proposées », indique Jean-Pierre Rémy. Un argument récusé par la partie patronale : « Si des dispositions plus avantageuses pour les salariés existent, elles ne seront pas remises en cause ».

Un minimum pour tous.

Bien qu'aucune étude ne chiffre le nombre de salariés concernés, l'UFT se félicite d'un dispositif généralisé à l'ensemble des entreprises de transport routier et « qui rompt avec la complexité du système actuel ». Une affirmation contre laquelle l'OTRE (Organisation des Transporteurs Routiers Européens) s'élève en faux par la voix de la responsable de sa commission sociale Aline Mesplés. Le manque de souplesse, la création d'une troisième source de repos et les difficultés d'application pour les personnels « mixtes » figurent parmi ses griefs. En revanche, pour l'Unostra, le mérite du projet est d'instaurer un minimum conventionnel unique en lieu et place des diverses pratiques en vigueur. Confirmation par Patrice Mevel, directeur général des Routiers Bretons : « actuellement, certaines sociétés se débrouillent en bricolant avec des faux casse-croûtes ou repas. Des règles applicables à tous permettraient d'y mettre bon ordre ». La traction en messagerie, spécialité de l'entreprise de Bruz (35), rend obligatoire le recours au travail de nuit. Celui-ci concerne la moitié des 105 conducteurs, un exploitant qui prend son service à 22 h 30 et deux personnels de quai qui commencent à 2 heures. Des salariés qui, jusqu'à présent, ne bénéficiaient pas de prime ou de majoration de salaire au titre de leur activité nocturne, « mais les réclamations des chauffeurs se font de plus en plus pressantes » indique le dirigeant. « A un moment, nous aurions dû trouver une solution en interne, car il me paraît normal de différencier les rémunérations entre salariés exerçant de jour et de nuit ». C'est également la position de Bernard Liébart, P-dg des Transports Liébart et Ichertz (51). Au sein de la première société, seuls 3 à 4 conducteurs sur 30 travaillent de nuit dans le cadre de navettes. Spécialisée dans le frigorifique, Ichertz en compte une quinzaine sur un effectif de 23. Si l'entreprise n'a pas mis en place de prime - « aucune demande n'a été formulée en ce sens » - elle compensait par une prise en compte globale au plan des rémunérations, indique le dirigeant. Lequel assure : «Sur le principe, je n'ai rien contre une majoration horaire compensant la pénibilité du travail de nuit dès lors que les modalités sont les plus simples possibles et que les entreprises peuvent continuer à travailler ». D'où la nécessité de fixer la durée maximum du travail de nuit à 10 heures, celle de 8 heures « risquant de désorganiser entièrement les trafics ». L'entreprise envisage néanmoins de modifier ses plannings afin de repousser les départs à 6 heures.

Répercuter le surcoût.

Au sein des Routiers Bretons, l'attribution des repos compensateurs risque de poser problème. « A 41 heures hebdomadaires, nous sommes déjà sur 4 jours. Avec l'octroi de jours supplémentaires, nous atteignons des niveaux difficiles à gérer. En outre, les salariés risquent de ne pas y trouver leur compte : moins de route, ce sont des indemnités qui disparaissent, ce qui atténuera l'impact de la majoration des taux horaires », analyse le directeur général. Au delà de la réorganisation de l'exploitation, c'est surtout la possibilité de répercuter les compléments de rémunération qui inquiète les entreprises. Le surcoût estimé à environ 3 millions de francs sur la masse salariale (24 MF pour les conducteurs) devra être répercuté sur les clients qui obligent à rouler de nuit, affirme Patrice Mevel. « Un seul palier de majoration aurait facilité cette démarche », note pour sa part Bernard Liébart. Lequel entrevoit de possibles changements d'habitudes : « les grandes surfaces, qui exigent des livraisons dès potron-minet, seront peut être amenées à réfléchir à d'autres modes d'organisation si les répercussions financières leur semblent par trop importantes ».

Excès de zèle ?

L'UFT et l'Unostra assurent avoir veillé à ce que le surcoût reste supportable et à éviter tout dérapage économique par rapport à la concurrence étrangère. Pourtant, les entreprises déplorent le déséquilibre supplémentaire engendré par ces nouvelles dispositions. « Même si le texte sur le travail de nuit est d'inspiration européenne, je crains que la France se fasse une fois encore la plus zélée dans son application », observe Bernard Liébart. Aline Mesplés va plus loin, déplorant que le dossier ne se soit pas inscrit dans le cadre plus large de l'harmonisation sociale européenne. A ses yeux, le texte communautaire permettait d'éviter une négociation purement franco-française. Encore une « occasion ratée » regrette l'OTRE.

A retenir...

- Le 30 mai, la cinquième version d'un protocole d'accord sur la rémunération du travail de nuit sera soumise aux syndicats de salariés.

- « Simple et généralisé à toutes les entreprises » tels sont les avantages du dispositif conventionnel proposé, selon les négociateurs patronaux.

- Si elles ne nient pas le bien-fondé de compensations salariales pour les travailleurs de nuit, les entreprises s'inquiètent de la répercussion des surcoûts sur leurs clients, de l'octroi de repos supplémentaires et du différentiel qui se creuse toujours avec leurs concurrents étrangers.

Ce que prévoient les textes
Projet d'accord et loi du 9 mai

La dernière version du projet d'accord conventionnel prévoit :

- Une majoration du taux horaire conventionnel (à l'embauche pour la catégorie concernée) de 10 % la première année et 15 % dès la deuxième pour toutes les heures effectuées entre 21 h et 6h ;

- l'octroi de repos compensateurs sur la base de 5 % du temps de travail effectué de nuit pour les salariés réalisant un minimum de 60 heures par mois durant la période nocturne.

Sur le travail de nuit, la loi du 9 mai 2001 relative à l'égalité professionnelle entre les femmes et les hommes (Journal Officiel du 10 mai) stipule que:

- la mise en place dans une entreprise du travail de nuit ou son extension à d'autres catégories de salariés sont subordonnées à la conclusion préalable d'une convention ou d'un accord collectif de branche étendu ou d'un accord d'entreprise ou d'établissement ;

- la durée quotidienne de travail des travailleurs de nuit ne peut excéder 8 heures et 40 heures hebdomadaires sur une période de 12 semaines consécutives. Un accord de branche peut déroger à ces dispositions, portant notamment la durée hebdomadaire à 44 heures « lorsque les caractéristiques propres à l'activité d'un secteur le justifient » ;

- les travailleurs de nuit bénéficient de contreparties sous forme de repos compensateur et «le cas échéant» sous forme de compensation salariale. Le projet d'accord, qui prévoit les deux formes de compensations, permettrait de substituer des repos à des compensations pécuniaires et vice-versa ;

- les salariés qui souhaitent passer d'un poste de jour à un poste de nuit (ou vice-versa) dans la même entreprise ont priorité pour l'attribution d'un emploi ressortissant de leur catégorie professionnelle ;

- le travailleur de nuit bénéficie, avant son affectation et tous les six mois, d'une surveillance médicale particulière.

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