Le grand chambardement

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Deux ans et demi après le début des grandes manoeuvres lancées dans l'Hexagone par les grands groupes européens, la poussière que celles-ci ont soulevé n'a pas fini de retomber sur le marché français de la messagerie. Même si tout est loin d'être encore joué, quelques tendances semblent se dessiner. Décryptage.

Grimaud et Rhône Pyrénées Transport qui déposent le bilan avant d'être rachetés l'un par Ziegler, l'autre par Danzas, Touraille Messageries liquidée, Griset et Lesire mis en redressement judiciaire... ce ne sont là que quelques uns des avatars qu'a connus le marché français de la messagerie ces derniers mois. La liste devrait s'allonger dans les prochaines semaines tant certaines entreprises, et non des moindres, sont dans des situations critiques. Ce phénomène peut paraître paradoxal au regard des chiffres qu'a enregistrés le secteur en 2000. Selon le Service Économique et Statistiques (SES) du ministère des Transports, l'activité messagerie traditionnelle aurait été, l'année dernière, à peine inférieure - en tonnages (- 0,6 %) comme en nombre d'envois (- 0,7 %) - aux niveaux de 1999 qui constituaient un record. Ce léger infléchissement n'a pas freiné la hausse du chiffre d'affaires réalisé sur ce marché puisque celui-ci progresse de 5,6 %. Une telle croissance s'appuie pour l'essentiel sur une revalorisation continue des prix de vente unitaires. Lesquels sont passés de 1,67 F/kilo fin 1999 à 1,85 F douze mois plus tard, soit une augmentation de 10,78 %. Sur la même période, selon les indices établis par l'Observatoire du Transport de Messagerie (OTM), les coûts de revient ont progressé en moyenne de 4,57 %.

Marges insuffisantes.

Profitant d'une conjoncture économique particulièrement bonne et de la très forte demande de moyens de transport qu'elle a générée, les entreprises ont tenté en 2000 de rétablir leurs marges. « Je n'avais jamais vu un tel niveau de relèvement des tarifs depuis que je travaille dans cette branche », admet un "vieux " professionnel du secteur. Et celui-ci de préciser : « si importante qu'elle puisse sembler, cette revalorisation n'a pas suffi à rattraper le grand écart accumulé ces dernières années entre coûts de production et prix facturés ». Les opérateurs sont unanimes : l'activité de messagerie traditionnelle n'a toujours pas atteint un seuil de rentabilité satisfaisant. La hausse des prix est d'ailleurs intervenue trop tard pour certains. Après avoir pendant des années vécu sur leurs réserves, ils n'ont pu supporter le « décalage temporel » entre l'augmentation et sa répercussion sur les prix de vente.

Bouleversement des alliances.

La fragilité des messagers français est d'autant plus grande qu'ils doivent gérer, depuis deux ans, une série de bouleversements de leur organisation opérationnelle. A l'origine de ce grand chambardement : l'arrivée massive sur le marché domestique des grands groupes européens à travers les acquisitions de Broos Fouya par TNT Post Group, de Danzas, Sernadis, Arcatime par Deutsche Post puis de Dubois, Delagnes, Testud, Bouquerod par ABX Logistics et plus récemment par la reprise de Grimaud par Ziegler. Grâce à ces opérations, les quatre acquéreurs ont conquis des parts de marché pour se classer parmi les dix premiers opérateurs français aux côtés de Calberson (Geodis), Gefco, Mory et du Sernam (SNCF). Les uns (Danzas/Deutsche Post, TNT) ont densifié leur maillage du territoire français et les autres (ABX et Ziegler) se sont dotés de véritables réseaux dans l'Hexagone. Toutes les entreprises rachetées et intégrées dans ces grands ensembles ont été amenées à remettre et prendre le fret de leurs nouvelles sociétés soeurs et par conséquent à abandonner leurs anciens partenaires. Lesquels se sont alors trouvés fort dépourvus. Les plus touchés : les petits opérateurs « locaux ». C'est ainsi qu'est tombé en 2000 le Morbihannais Plantard, correspondant de Danzas jusqu'à ce que celui-ci rachète un autre Breton, Arcatime. Nombre d'entreprises ont également fait les frais des rachats des messagers parisiens apporteurs de fret Broos Fouya et Sernadis. La perte de partenaires est d'autant plus difficile à gérer que les indépendants se raréfient. Pour preuve : le déclin des réseaux « ouverts » de messagerie au sein desquels se retrouvaient ces derniers. France Rapide a vu la moitié de ses adhérents disparaître. France Etoile comme Interdem n'ont survécu qu'en ouvrant leurs plates-formes aux grands groupes.

Tous touchés.

Les « petits » ne sont pas les seuls à faire les frais de la redistribution des cartes orchestrée par les grands. Celle-ci touche également les « moyens », c'est à dire les gros régionaux qui couvrent en propre une partie du territoire ou dont le maillage national n'est pas très dense (type Joyau, Heppner, Alloin, Ziegler, BMV, STG). Les reprises de Delagnes et Testud ont par exemple respectivement laissé en panne de partenaire Alloin et Joyau. Lesquels ont ainsi été amenés à se lancer à leur tour dans des opérations de croissance externe. Seule manière de stabiliser un réseau mais aussi de s'implanter rapidement et sans avoir à affronter la pénurie de personnels particulièrement sensible en 2000. Les entreprises de taille intermédiaire sont susceptibles de boucher ainsi certains trous mais sans doute pas de s'offrir un maillage serré du territoire. D'autant que certaines régions sont complètement contrôlées par des « grands ». La solution : conclure certains accords ponctuels avec ces derniers. Mais cette porte serait en train de se refermer. Les groupes réservant désormais l'accès à leur réseau à des partenaires triés sur le volet et « fidélisés » par le biais notamment de prise de participation. Deux options s'offrent donc aux messagers de taille intermédiaire : se vendre ou s'allier entre eux et/ou avec les « petits » sur des bases solides. Certains croient encore ce schéma possible : « Il reste sur le marché de quoi constituer des noyaux à partir d'entreprises saines et fiables de toute taille et qui ne souhaitent pas vendre », assure un professionnel du secteur qui rappelle que « toute vague de concentration amène l'apparition de nouvelles pousses ». Lesquelles pourraient croître sur les niches (comme celle de la messagerie palettisée) délaissées par les grandes structures qui privilégient le fret dont le traitement est «industrialisable».

Rentabilité obligée.

La déferlante des groupes pourrait en outre être freinée le temps pour eux de finaliser la structuration de leurs acquisitions et de rationaliser leurs réseaux. Il va s'agir d'apprécier la cohérence géographique, de répartir les territoires, d'harmoniser les procédures, de réussir à intégrer des entreprises et des hommes aux profils des plus variés... Une homogénéisation qui risque de renchérir sérieusement le coût des acquisitions. Viendra ensuite le temps de rentabiliser ces investissements... y compris pour les entreprises dont les performances financières sont encore noyées dans des comptabilités publiques. Deutsche Post, la poste publique allemande, est en train d'être privatisée et Bruxelles vient de l'obliger à isoler ses activités concurrentielles de sa branche postale. ABX, division de la Société Nationale des Chemins de fer Belges, est sur le point d'être filialisée. Toutes les deux vont devoir rendre des comptes. Comme le Sernam, devenu une société à part entière cette année et qui devrait être intégré à Calberson (Geodis) dans les prochains mois. Ce changement de statut serait d'ores et déjà sensible : l'ex-division colis de la SNCF adoptant des pratiques concurrentielles plus en phase avec les lois du marché.

Cette évolution devrait aider à consolider l'équilibre que semble avoir trouvé le secteur, débarrassé côté offre d'un grand nombre de canards boiteux et encore porté, côté demande, par la croissance économique. Cette situation survivrait-elle à un retournement de la conjoncture ? Les grands groupes hésiteraient-ils alors à ressortir la carte « guerre des prix » pour alimenter les grosses machines qu'ils ont constituées ? C'est une autre histoire...

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