«Inutile de se lever le matin si c'est pour ne pas gagner d'argent », telle est la devise de Gilles Collyer, P-dg des Routiers Bretons, basés à Bruz (35). Une philosophie qu'il applique scrupuleusement à son entreprise. Celle-ci a dégagé en 2000 un bénéfice net de 3,8 millions de francs pour un résultat d'exploitation de 6,4 MF, soit 6,9 % de son chiffre d'affaires qui atteint 94,9 MF. Ce qui représente une progression de 16,3 %. Une croissance à deux chiffres dont est coutumière la pme depuis cinq ans. Son développement s'est tout d'abord appuyé sur l'activité de transport en flux tendus avec relais de conducteurs, qui représente 80 % du CA total. « Nous effectuons des tractions de messagerie, en produits secs pour des groupes comme TNT, Arcatime, XP, Joyau, ou Ducros, et en frais pour Stef-TFE (agences de Rennes et Yffiniac) et Nexia (ex Exel-Froid). Ces clients transporteurs nous ont confié de nouveaux contrats en 2000 pour des liaisons nationales comme internationales », explique Gilles Collyer. Sur le territoire français, la société dispose de plusieurs lignes régulières, reliant Rennes à Lille (7 véhicules/jour), à Paris (6 véhicules/jour), à Lyon (9 véhicules/jour), à Avignon (5 véhicules/jour), à Toulouse (2 véhicules/jour), à Tours (1 véhicule/jour) et à Nancy (1 véhicule/jour), mais aussi entre Paris et Toulouse (1 véhicule/jour).
A l'international (18 % du CA total), les Routiers Bretons desservent Milan, au départ de Rennes et Paris en passant par Mâcon, pour le compte de messagers et de Decathlon (approvisionnement de la plate-forme milanaise). Ils joignent également la Bretagne à Bruxelles, via Lille, pour Kenwood notamment. Depuis le 2 avril, ils ont lancé une nouvelle ligne Nantes-Angers-Tours-Avignon, à la demande de leur client Arcatime. Mais celui-ci ne charge qu'à l'aller. «Pour le retour, nous allons, dans un premier temps, compenser avec du spot, via une bourse de fret comme celle du groupement Astre, dont nous sommes membres depuis octobre 1992. Ensuite, nous essaierons de trouver un client régulier, précise Gilles Collyer. C'est ainsi que nous procédons sur les nouvelles lignes et nous parvenons à équilibrer 98 % des flux ». La sous-traitance pour des groupes de messagerie compte pour 64,5 % du volume d'affaires réalisé par l'entreprise. L'évolution actuelle du marché n'inquiète pas le P-dg. « Le regroupement des acteurs peut entraîner une modification de nos tractions, mais aussi une massification plus forte qui nous fait gagner en souplesse. De plus, notre chiffre d'affaires est bien réparti. Ce qui limite les risques ». Le premier client messager représente ainsi 15,5 % du CA total des Routiers Bretons, le second 8,8 %, le troisième 7,8 %, le quatrième 7,5 % et le cinquième 7,1 %. Les cinq suivant entre 1 % et 5 % du CA.
Quelles que soient la distance et la destination, le transporteur a choisi de s'appuyer sur des systèmes de relais de conducteurs. Le schéma idéal consiste à faire partir en même temps un véhicule à chaque extrémité de la ligne, un de Rennes et un autre de Mâcon par exemple. Les deux chauffeurs conduisent chacun pendant quatre heures et demi. Ils se retrouvent à mi-chemin, prennent leurs 45 minutes de coupure et échangent les camions pour retourner à leur point de départ.
Au retour, deux autres conducteurs peuvent prendre en charge les véhicules à Rennes et à Mâcon, pour repartir sur une traction ou effectuer de la distribution. Sur les plus longues distances, le fonctionnement est un peu différent. Un chauffeur qui relie Toulouse à Rennes roule de nuit et arrive en Bretagne très tôt le matin, puis il doit se reposer. Son véhicule, pris en charge par un autre conducteur, peut ainsi être réutilisé la journée en distribution. Ce système implique des capacités d'accueil adaptées. Mais, avec la croissance de l'entreprise, l'unique chambre qui permettait aux salariés de dormir avant de repartir s'est rapidement révélée insuffisante. C'est pourquoi le transporteur a investi 700 000 F dans la construction d'un « hôtel repos » (7 chambres simples et une double) sur le site de Bruz. « Nous privilégions ainsi le confort des salariés. "L'hôtel " étant placé le plus loin possible du parking et de ses bruits », commente Gilles Collyer. Ce dernier projette d'ailleurs de bâtir un lieu de repos semblable pour les chauffeurs rennais qui dorment à Mâcon, où ils disposent pour l'instant d'un appartement.
La croissance des Routiers Bretons s'est également appuyée sur le métier de distribution - un complément nécessaire aux tractions de messagerie - au départ de Rennes (15 % du CA) et à destination de Brest, Caen, Cherbourg et Niort. Le transporteur livre, depuis l'année dernière, les 12 centres Norauto du grand Ouest. Il approvisionne également les magasins de la région rennaise de Decathlon et ceux de Districenter. Les clients directs, comme Kiabi, Demeyere, Philipps, Seifel ou Degano, comptent pour 23,3 % du CA total. La distribution génère par ailleurs de la logistique, mais celle-ci représente à peine 1,5 % du volume d'affaires de l'entreprise.
Les Routiers Bretons conservent d'autres activités parallèles. « Nous réalisons 5 millions de francs de chiffre d'affaires pour Electrolux. Sur le site de Marly-la-Ville (95), nous chargeons quotidiennement ses produits dans nos camions-remorques pour les ramener en Bretagne », indique Gilles Collyer. L'ensemble du parc de camions-remorques étant en caisses mobiles, celles-ci sont dissociées et placées sur des porteurs de distribution qui rééclatent les marchandises à partir de Rennes. « J'ai voulu une flotte standardisée pour réduire les contraintes à l'exploitation », poursuit le chef d'entreprise.
Plus marginal, le transport à la demande représente 1,5 % du CA de la société. « Nous le préservons pour quelques-uns de nos anciens chauffeurs passionnés. C'est aussi une soupape. En cas de problème de sous-capacité, panne ou accident, nous utilisons les 4 véhicules mis à disposition pour cette activité », souligne Gilles Collyer.
Au départ de son site historique de Saint-Malo (agence de 4 personnes), l'entreprise achemine également des produits frais et secs vers les îles anglo-normandes de Guernesey et Jersey (3 MF de CA). Une véritable niche qui s'avère toutefois très rentable aux dires des dirigeants des Routiers Bretons (cf. encadré). Selon Gilles Collyer, le développement sur des créneaux très particuliers permet en effet d'être moins concurrencé et d'avoir de meilleures marges.
Une des clés de la stratégie des Routiers Bretons est de savoir anticiper, notamment en ce qui concerne le social. « Pour fidéliser le personnel et aussi dormir plus tranquille, j'ai toujours voulu être le plus près possible de la réglementation sociale », affirme Gilles Collyer. Les Routiers Bretons ont donc appliqué le contrat de progrès en novembre 1995, date à laquelle ils ont commencé à comptabiliser les heures grâce à la lecture des disques. Avec la loi Aubry I et le décret « Transport routier de marchandises » en août 1998, ils ont entamé une réflexion sur les 35 heures. « Nous avons mandaté un salarié, qui s'est inscrit à la CFDT. En décembre 1998, un accord a pu être signé », affirme Patrice Mevel, directeur général des Routiers Bretons. En janvier 1999, un référendum a été organisé auprès du personnel. Résultat : 95,2 % de « Oui ». « Nous avons préféré ne pas attendre que cette loi devienne obligatoire. En anticipant, nous avons bénéficié du maximum des aides publiques. Nous avons aussi profité du flou des dispositions », reconnaît Patrice Mevel. C'est donc le 1er mars 1999 que la réduction du temps de travail (RTT) a été appliquée aux 130 salariés de l'entreprise. Les 25 sédentaires sont passés aux 35 heures hebdomadaires (5 journées de 7 heures) tandis que les 105 conducteurs ont diminué leur temps de travail de 204 heures à 180 heures. Ce qui a coûté 2,5 millions de francs à l'entreprise. Une somme en partie compensée par les aides octroyées par les pouvoirs publics de 2,1 MF. Au total, les Routiers Bretons ont recruté 10 % de personnel supplémentaire, soit 16 salariés. Les salaires ont été gelés en 1999 et ont augmenté à nouveau l'année dernière. En 2000, la Loi Aubry II et les aides correspondantes ont fortement participé au résultat du transporteur.
« Je suis satisfait de la réduction du temps de travail. Je suis moins fatigué et ai plus de temps à consacrer à ma famille », constate Stéphane Caillard, chauffeur « distribution » chez les Routiers Bretons depuis 6 ans. Celui-ci effectue une semaine de 5 jours puis une de 4. L'organisation du temps de travail repose en effet sur deux semaines, qui sont planifiées à l'avance. Avec ce système et la régularité des horaires, les 160 chauffeurs des Routiers Bretons sont presque des « ouvriers de la route ». Ce ne sont pas en tout cas de vrais passionnés du métier mais plutôt des personnes qui recherchent une certaine stabilité. Malgré un turnover de 12 %, les Routiers Bretons ne sont pas particulièrement touchés par la pénurie de conducteurs. Ils tentent encore une fois d'anticiper au maximum les recrutements. « Nous embauchons par exemple en avril des conducteurs en CDD pour la période de l'été », indique Mickaël Goalec, directeur qualité/SAV.
Pour 2001, les dirigeants bretons attendent la promulgation du décret sur la rémunération des heures de nuit. « La majoration de ces heures devrait certes représenter un surcoût de 3 MF environ, que nous allons répercuter sur les clients. Mais une réglementation plus précise évitera le bricolage actuel et représentera une réelle avancée sociale », estime Patrice Mevel. Une organisation sociale performante permet aussi de motiver les salariés.
Forts de cette politique, les Routiers Bretons comptent bien poursuivre cette année leur rythme de croissance. Ils tablent sur un chiffre d'affaires de 120 millions de francs, soit une progression escomptée de 26,5 %, tout en maintenant une rentabilité de 6 %. « Nous allons continuer dans ce que nous savons faire, en tenant compte des nouvelles contraintes écologiques, sociales et réglementaires, annonce Gilles Collyer Notre objectif est d'asseoir la présence des Routiers bretons dans le transport national 80 % du CA) et d'intensifier les liaisons à destination de l'Union européenne ». Pour ses clients transporteurs, le chef d'entreprise souhaite renforcer les tractions nationales et internationales en flux tendus. Il amplifiera par ailleurs les échanges inter plates-formes et l'approvisionnement des magasins pour le compte des industriels.
Même si une opération de croissance externe est également à l'étude, c'est sur le développement en interne que mise l'entreprise. En s'appuyant sur le nouveau site en région parisienne du groupement Astre, elle pourrait notamment démarrer une activité de transport de demi-lots (1 à 5 palettes). Après 8 mois de tests, le projet est aujourd'hui au stade de la faisabilité. « Si ça marche, nous démarcherons probablement des clients pour être remettant sur la plate-forme francilienne. En revanche, pour l'Ouest et la région Rhône-Alpes, nous devrions créer notre propre ligne Rennes-Mâcon, où nous effectuerons du dégroupage », explique Gilles Collyer. L'agence de Mâcon devra donc être étoffée, notamment avec la mise en oeuvre de nouveaux moyens (un ou deux chauffeurs, un ou deux porteurs). C'est aussi près de cette ville de Saône-et-Loire que les Routiers Bretons construiront cette année un entrepôt, « sur le terrain de 16 000 m2 en bordure de l'A6 que nous avons acheté l'année dernière ». Le transporteur souhaite en effet développer la logistique, qui représente 1,2 MF de CA en 2000 mais qui devrait passer à 2,4 MF en 2001. Pour ce faire, un directeur logistique a été embauché. D'ici fin mai, la plate-forme de Saint-Malo aura été réaménagée, pour augmenter la surface de stockage dédiée notamment à Gitem (magasins d'électroménager). L'entrepôt de Rennes sera également agrandi de 2 500 m2 d'ici fin septembre. « Pour l'instant, la plus grosse partie de notre activité de stockage et de préparation de commandes provient de nos clients transport. Mais à l'avenir, nous souhaitons nous lancer davantage dans la logistique pure », commente Gilles Collyer.
Parallèlement, les Routiers Bretons devraient ouvrir une agence à Lille dans le courant de l'année. « A partir de 7 ou 8 véhicules par jour qui desservent la même ville, le besoin de créer une structure, même petite, se fait ressentir », note Gilles Collyer. Sur le site de Bruz, après avoir construit l'hôtel et agrandit les parkings grâce à l'achat de 20 000 m2 supplémentaires, les Routiers Bretons doivent accroître la taille des bureaux. En 2000, le parc comptait 88 moteurs (dont 26 nouveaux) et 112 non moteurs comprenant 16 nouvelles semi-remorques. Cette année, le transporteur breton investira dans 28 moteurs, dont 4 en augmentation de parc, et 10 semi-remorques, dont 4 supplémentaires. Au total, les Routiers Bretons devraient consacrer une enveloppe de 19 MF pour ces investissements, contre 16 MF l'année dernière
Trois millions de francs, c'est le chiffre d'affaires réalisé par l'activité de transport à destination de Guernesey et Jersey, au départ de Saint-Malo. Depuis 20 ans, les Routiers Bretons acheminent produits frais et secs vers ces deux îles anglo-normandes, à l'aide de 12 petites « caisses » de 2 tonnes chacune, conçues spécifiquement. « Mesurant 2,5 m sur 1,4 m, les petits modules à roulettes peuvent être carrossés en bâchés, frigo ou fourgons. Nous les positionnons sur un châssis spécifique puis les emmenons à la gare maritime. Ils sont ensuite tractés par des 4x4 puis chargés sur les ferries. Sur les îles, ils sont pris en charge par nos correspondants, des transporteurs locaux, qui dispatchent les marchandises », explique Patrice Mevel, directeur général des Routiers Bretons. Les ferries rapides qui transportent les petites caisses partent deux à trois fois par jour (un seul départ en hiver). A destination des îles anglo-normandes, les Routiers Bretons chargent également deux ou trois semi-remorques une fois par semaine sur un grand ferry.
Mais, modules ou semi-remorques reviennent presque toujours à vide, à l'exception de quelques homards ou fleurs (des jonquilles). « C'est l'aller qui paye, confirme Patrice Mevel. Cette activité est pourtant très rentable, les habitants de Guernesey et Jersey ayant un fort pouvoir d'achat. De plus, nous ne sommes que trois transporteurs sur ce marché ». L'agence de Saint-Malo, site historique des Routiers Bretons, compte quatre personnes : un responsable, un conducteur, une personne qui gère le côté administratif et un déclarant en douanes. Un dernier poste nécessaire puisque les îles anglo-normandes ne font pas partie de l'Union Europénne.
217 cartes grises, c'est ce dont disposent les Routiers Bretons, à fin mars 2001. Cette flotte se compose de 96 véhicules moteurs, répartis en 62 tracteurs et 34 porteurs dont 4 spécifiques à l'activité de distribution. Elle compte par ailleurs 35 remorques (de camions-remorques), 78 caisses mobiles et 77 semi-remorques dont 15 frigorifiques, 49 fourgons et 13 savoyardes. 38 % des véhicules moteurs sont de marque Volvo, 28 % Scania, 30 % Mercedes et 4 % Man.
L'entreprise travaille en permanence à améliorer la productivité du matériel roulant. Le kilométrage moyen mensuel des moteurs a été augmenté de 1 000 km en moyenne entre 1999 et 2000, jusqu'à 1 650 km pour les tracteurs. Un atelier intégré de 400 m2 (ouvert en semaine de 7 h à 20 h et le samedi matin), où travaillent 3 mécaniciens, permet d'effectuer les vidanges et graissages. Mais une grosse partie de l'entretien est sous-traité (freins, préparation au contrôle des mines, embrayages). Les véhicules sont renouvelés tous les 3 ans ou 650 000 km (700 000 km maximum), les semi-remorques tous les 7 ans (5 ans pour les frigo) et les porteurs de distribution tous les 5 ans.