Externalisation : les pièges à éviter

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L'externalisation des fonctions transport et logistique n'est pas une opération simple à réaliser. Depuis quelques mois, les tribunaux, soucieux de préserver l'intérêt des salariés, sont de plus en plus attentifs aux conditions dans lesquelles sont effectuées ces opérations. Ils n'hésitent pas à remettre en cause des stratégies d'externalisation et à requalifier les contrats. Tour d'horizon des questions à se poser.

L'externalisation est une opération par laquelle un industriel ou un distributeur décide de confier une partie de ses activités à un prestataire. Cette technique concerne les entreprises qui décident de se recentrer sur leur « core business » et ne souhaitent pas développer d'activités connexes. C'est, à grande échelle, le choix retenu par IBM en 1997 qui décide de confier alors sa logistique à Geodis et Tibbett et Britten. C'est, plus récemment, Iveco qui passe un accord avec Hays. Mais c'est aussi, plus modestement, la décision des grands magasins parisiens de confier l'étiquetage de leurs produits textiles à des entrepositaires de l'Essonne (voir encadré). A priori séduisant sur le plan financier et managérial. La dernière enquête annuelle de l'AFT sur les besoins en emplois et formations dans la logistique a récemment fait le point sur l'ampleur de la sous-traitance et a constaté que 80 % des entreprises interrogées sous-traitent au moins une de leurs activités logistiques (sondage réalisé en 2000). Le secteur de la pharmacie-parfumerie est en pointe à ce niveau là (94 %), devant l'industrie automobile (85 %) et la chimie (80 %). La fonction transport est évidemment la plus concernée (elle est externalisée dans 72 % des cas), loin devant l'entreposage (36 %) et l'emballage/préparation de commandes (12 %). Mais le quart des entreprises industrielles et du commerce pense que la sous-traitance des fonctions entreposage va s'accélérer au cours des prochaines années. Un signe ne trompe d'ailleurs pas : en l'espace d'un an la sous-traitance des fonctions emballage est passée de 3 à 12 % et de plus en plus de fonctions d'organisation liées à la logistique sont concernées par cette vague (étiquetage, inventaire, facturation, etc.).

Il n'en reste pas moins que cette stratégie de l'externalisation a connu des revers au cours des dernières années. D'abord, parce que derrière les effets d'annonce sur des mariages et partenariats d'une nouvelle génération, nombre de prestataires ont eu de mauvaises surprises. « Un contrat d'externalisation se base sur des prévisionnels de gestion de flux qui sont rarement respectés » note ce dirigeant d'une société de prestation logistique.

Ensuite, la décision d'externaliser repose parfois sur des motivations purement sociales, qui consistent à restructurer ses biens immobiliers et son personnel à moindre frais. C'est pourquoi, la jurisprudence, en vue de protéger l'emploi, a été amenée depuis plusieurs années à requalifier les contrats d'externalisation. En distinguant, d'une part, le cas des contrats de travail qui sont transférés à un prestataire et d'autre part, les cas où l'entreprise qui externalise met en place des contrats de sous-traitance auprès de travailleurs indépendants.

La jurisprudence du L 122-12

Dans le premier cas, la base juridique est celle du fameux article L 122-12 du code du travail. Cet article repose sur un principe simple : en cas de vente, fusion ou succession, les contrats de travail sont automatiquement transférés au nouvel employeur. « Au départ, cette disposition a été créée pour protéger les salariés et leur assurer qu'en cas de cession de leur activité, leurs contrats de travail et tout ce qui tourne autour (avantages sociaux, ancienneté, etc.) seraient maintenus, explique Maître Schmerber, avocat au barreau de Paris. En fait, les entreprises vont détourner l'esprit de cet article et l'utiliser pour donner un fondement juridique à des opérations d'externalisation du personnel. D'un carcan, les entreprises ont su faire de cet article une opportunité. »

Les syndicats de salariés sont donc devenus de plus en plus méfiants à l'égard de l'externalisation et n'hésitent pas à entamer les procédures juridiques aptes à faire casser de telles procédures. La chambre sociale de la cour de cassation a pris une position de principe en 1992, indiquant que « la rédaction d'un hebdomadaire, qui ne constituait pas un service distinct disposant de ses propres moyens, ne caractérise pas une entité économique autonome susceptible d'être transféré ». Ce principe a été réaffirmé avec vigueur l'année dernière lors d'un arrêt dit « Perrier », concernant la volonté par un industriel de transférer son activité de gestion des palettes, possibilité qui lui a été refusée pour les mêmes raisons. « En fait, l'analyse de cette jurisprudence aboutit à une règle simple, poursuit Maître Schmerber. Pour qu'il y ait une véritable externalisation et donc application de l'article L 122-12, il ne suffit pas qu'il y ait transfert d'activité. Il faut également que l'opération s'accompagne d'un transfert d'actifs. »

La requalification des contrats de sous-traitance

C'est ce même souci de protection de l'emploi que l'on retrouve dans le cas des requalifications de contrats de sous-traitance. Georges Champion, directeur d'exploitation de RMC (fabricant et distributeur de béton prêt à l'emploi), est plongé dans cette problématique depuis plusieurs années :« nous considérons que notre métier d'industriel est de fabriquer et non de transporter. C'est pourquoi la stratégie de l'entreprise repose depuis plus de 20 ans sur le principe de l'externalisation de la fonction transport. » Mais dans ce domaine très sensible, les embûches juridiques se sont multipliées. Dans un premier temps, RMC a transféré le matériel à ses anciens salariés, qui se sont alors inscrits au registre des transporteurs. Echec. Puis, RMC a changé de stratégie pour mettre en place des contrats de location avec conducteurs avec des chauffeurs indépendants qui ne sont pas d'anciens salariés. Mais les ennuis continuent pour RMC. « La justice nous reproche pêle-mêle d'avoir mis en place des contrats d'exclusivité, d'avoir placé les chauffeurs sous la conduite du locataire et d'avoir cautionné l'achat de certains véhicules », déplore Georges Champion. En fait, RMC, comme tout le secteur du béton prêt à l'emploi et de la messagerie express, a été placé sous les fourches caudines de la Dilti, délégation interministérielle de lutte contre le travail illégal, et de l'Igmot, inspection générale de la main d'oeuvre dans les transports qui font la chasse depuis plusieurs années à ce qu'ils nomment « la fausse sous-traitance dans le transport ».

Dans une note interne de la Dilti, la fausse sous-traitance est caractérisée lorsqu'un employeur fait travailler des salariés sous l'apparence du statut de travailleur indépendant, afin d'échapper à l'application du code du travail et aux obligations sociales et fiscales.

Les tribunaux ont matérialisé cette idée en précisant que « nul ne peut s'affranchir, y compris par consentement mutuel, de l'ordre public social, qui fonde la société française ».

Pour la Dilti, la requalification d'un « pseudo travailleur » (sic) en salarié se fait en démontrant l'existence d'une subordination évidente entre celui qui effectue la prestation et le donneur d'ordre. Plusieurs indices concourent à l'établissement de cette situation de dépendance. Le premier vise à rechercher une subordination juridique permanente (le travailleur indépendant est-il un ancien salarié ?, les modes opératoires sont-ils imposés par le donneur d'ordre ?, qui détermine les horaires de travail ?, le lieu de travail et le secteur géographique sont-ils imposés par le donneur d'ordre ?, le matériel est-il fourni par le donneur d'ordre et est-il à ses couleurs ?, qui détermine les conditions de rémunération ? etc.).

Le second indice recherché par les agents de contrôle et les tribunaux vise à démontrer la subordination économique et technique. C'est à ce niveau là que l'on retrouve les notions d'exclusivité, la note de la Dilti insistant sur le fait qu'il faut, même en cas de clause de non exclusivité, savoir si les horaires et la charge de travail permettent d'avoir une clientèle diversifiée.

La gestion du changement

Il n'en reste pas moins que, même si les problèmes juridiques peuvent être résolus, le succès d'une externalisation ne repose pas uniquement sur ce volet juridique. D'ailleurs, pour Philippe Limbourg, directeur général de Giraud International et ancien DRH du groupe Giraud, le débat autour du L 122-12 est un faux débat : « Les dossiers d'externalisation ne doivent pas se limiter à la dimension juridique de reprise du personnel. Nous ne sommes pas là pour permettre à nos clients de déconsolider des actifs et du personnel. Notre objectif est de travailler l'angoisse liée au projet et d'amener une véritable ingénierie sociale qui permette de rassurer et de pouvoir répondre aux attentes spécifiques. » Le bilan de Giraud en la matière est loin d'être négligeable, puisqu'en l'espace de deux ans, ce sont plus de 450 salariés qui ont intégré le groupe par le biais de contrats d'externalisation. « Il est évident qu'un projet d'externalisation doit s'intégrer avant tout dans une perspective stratégique, insiste Georges Drouin, Pdg de LoveFrance et promoteur d'une charte sur l'externalisation éditée par le Medef. Il s'agit d'un acte de management et l'une des clés de la réussite consiste bien à placer l'homme au coeur de la démarche. Il faut être capable de transformer la crainte du changement en volonté d'adhésion. » Plus facile à dire qu'à faire...

L'externalisation vue par une PME de l'entreposage

FDL et Solignac sont deux PME de l'Essonne spécialisées dans la préparation de commandes et le travail à façon. La taille modeste de leur activité ne les empêche pas de travailler pour les grands noms de la distribution.

Ils ne récupèrent que les miettes de l'externalisation. Mais ils préfèrent parler de stratégie de niche et constatent que les mouvements de réorganisation des activités logistiques dans le commerce et l'industrie entraînent de multiples opportunités pour des PME comme les leurs. Basés respectivement à Villebon et Longjumeau dans l'Essone, FDL et Solignac, qui gèrent à eux deux environ 9000 m2 d'entrepôts, se sont surtout spécialisés depuis quelques années dans la gestion de travaux à façon à caractère saisonnier. Très tournés vers le textile, FDL et Solignac assurent moins des prestations de stockage que des activités de gestion de références, de tri (par taille et coloris), d'étiquetage, de pose d'antivol, etc. « Nous gérons les moutons à cinq pattes, des opérations très ponctuelles nécessitant une flexibilité extrême, que ne peuvent assurer les grands prestataires de la logistique », explique Fabrice Deredec, gérant de FDL. C'est ce qui explique que des grands noms du commerce comme Tati, les Galeries Lafayette ou le Printemps continuent à faire appel à FDL et Solignac, même si elles ont parfois passé des contrats d'externalisation importants avec d'autres prestataires. A FDL et Solignac de gérer alors les contraintes qui en découlent, comme le recours massif aux contrats à durée déterminée. « En 2000, nous avons réalisé sur FDL un chiffre d'affaires d'environ 3,5 millions de francs, précise Fabrice Deredec. Mais les pointes d'activité sont notre lot quotidien. Une dizaine de salariés seulement sont en CDI et en période de pointe, nous pouvons passer du jour au lendemain à 25 personnes. »

Reprise d'un bail commercial

Moins problématique que la reprise du personnel, celle de baux commerciaux n'en demeure pas moins une opération complexe, qui peut réserver de mauvaises surprises.

Dans une opération d'externalisation, le coeur du problème reste évidemment le transfert du personnel. Mais comme le fait remarquer « Le nombre de situations à gérer est complexe, selon que l'on a affaire à un bail de droit commun régi par l'article 1709 du code civil ou un bail commercial régi par la loi de 1953. Dans un cas comme dans l'autre, les possibilités de résiliation ne sont pas toujours possibles avant terme et obéissent à des règles juridiques très strictes. Quant aux possibilités de transfert du bail ou de sous-location au nouveau repreneur, elles sont loin d'être systématiques »

Ainsi, dans le cas d'un bail commercial dit 3-6-9 (bail de 9 ans avec possibilité de révision triennale), le principe de base est l'interdiction de la sous-traitance. Il faut que le contrat initial le stipule explicitement et généralement le bailleur se réserve un droit d'agrément du sous locataire. Autre exemple de la rigidité des procédures : la résiliation du bail à la fin d'une période triennale doit être faite par acte d'huissier et non par simple lettre en recommandée avec AR. « La méconnaissance de telles règles entraîne souvent la nullité du transfert ou de la résiliation du bail, insiste Jacqueline Tropin. Auquel cas, il est important que le locataire et son repreneur mesurent parfaitement les coûts engendrés par de telles situations ».

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