OTM : Vous avez été chargé l'année dernière de conduire un groupe de travail destiné à mettre au point un contrat de sous-traitance. Pourquoi le CNT s'est-il attelé à une telle démarche ?
Maurice Bernadet : La création de ce groupe de travail est venue à la demande des organisations professionnelles. La sous-traitance est une réalité économique qui ne bénéficie d'aucun cadre juridique précis. Des dérives ont été constatées depuis maintenant plusieurs années et la jurisprudence a été amenée à prononcer des requalifications de contrats. L'objectif avoué de ce groupe de travail était bien évidemment de se positionner par rapport aux critères de requalification. Comme le précise son mode d'emploi, il a été « rédigé en évitant toute clause et toute formulation d'une clause qui crée une situation de subordination juridique du sous-traitant ».
OTM : A travers ce contrat type, quel nouveau cadre entendez-vous donner à la sous-traitance ?
Maurice Bernadet : Ce contrat régit les relations entre un opérateur de transport et un transporteur public, le premier confiant de façon régulière et significative l'exécution de tout ou partie des opérations de transport au second. L'opérateur peut être à la fois un commissionnaire de transport ou un transporteur, qui est alors dénommé transporteur principal. Celui qui exécute les opérations de transport avec ses propre moyens est alors le sous-traitant. Ce contrat définit donc le cadre des relations entre les deux acteurs. Il définit notamment quelles sont les obligations du sous-traitant, quelles exigences peut avoir l'opérateur de transport à son égard. Mais ce contrat type veille surtout à protéger le sous-traitant, pour lui éviter les conséquences fâcheuses d'une situation de dépendance économique. Ce contrat précise quelles sont les obligations contractuelles et financières de l'opérateur de transport vis à vis du sous-traitant.
OTM : Mais quelle est la différence entre ce contrat type et les autres ?
Maurice Bernadet : En fait, c'est un contrat complémentaire aux autres contrats type. Il ne régit pas les problèmes de livraison, de délai d'immobilisation, etc.
OTM : N'avez-vous pas le sentiment que les organisations professionnelles souhaitent couvrir certaines pratiques que la jurisprudence a condamné et que l'on trouve notamment dans le transport de béton prêt à l'emploi ou dans la messagerie ?
Maurice Bernadet : Au départ, c'est une crainte qui a été émise par la DILTI, délégation interministérielle de lutte contre le travail illégal et l'IGMOT, Inspection générale de la main d'oeuvre dans le transport. Ces deux institutions n'ont d'ailleurs pas souhaité participer aux travaux. Mais en fait, cette crainte s'est avéré injustifiée. Il n'y a rien, dans ce contrat type, qui incite à violer la législation sociale. D'ailleurs, les deux institutions ont maintenant pris acte que le groupe de travail avait respecté ses objectifs.
OTM : Pourtant, ce contrat de sous-traitance autorise les mises aux couleurs de véhicules et donne la possibilité au donneur d'ordre d'imposer l'usage de ses systèmes informatiques. N'est-ce pas en contradiction avec les décisions jurisprudentielles récentes ?
Maurice Bernadet : Notre objectif a été de faire comprendre que certaines pratiques de sous-traitance dans le transport routier sont couramment admises par les parties. La mise aux couleurs, comme le recours à des systèmes informatiques communs font partie intégrante de la chaîne du transport. Il ne s'agit nullement d'actes de subordination. En revanche, ce contrat type a mis l'accent sur la nécessité de protéger le sous-traitant pour éviter des situations de trop grandes dépendance. Il impose notamment la définition d'un volume minimum de prestation et le principe d'un paiement à trente jours.
OTM : Pensez-vous que ce contrat type connaîtra une réelle application ?
Maurice Bernadet : Combien l'appliqueront ? Il est impossible de le savoir. Ce contrat type, comme les autres, a d'abord une vertu pédagogique. Pour bien renforcer cette vocation, il est accompagné d'un guide d'application et d'un formulaire de contrat, une première dans le cadre des contrats type. Par ailleurs, ce texte aura le mérite de donner un cadre à l'attention des agents de contrôle et des tribunaux, ce qui nous permettra d'éviter la multiplication des interprétations jurisprudentielles d'une région à l'autre.
Le contrat type « applicable aux transports publics routiers de marchandises exécutés par des sous-traitants » a été adopté par le Conseil national des transports au début du mois de mars. Il est actuellement à la signature du ministre des Transports et du Premier Ministre. Il reste désormais à attendre la publication officielle au Journal Officiel du décret qui donnera à ce contrat type un caractère officiel. A noter que la publication du décret permettra d'éviter les vides juridiques et donnera à toute relation de sous-traitance un référentiel juridique.
Les travaux menés par le CNT devraient logiquement inciter ce dernier à entamer une révision du contrat type de location de véhicule industriel avec conducteur, qui régit uniquement les opérations entre un industriel (ou un distributeur) et un loueur. Mais les organisations professionnelles concernées (chargeurs et loueurs) voient d'un mauvais oeil les risques d'une transposition des dispositions du contrat type de sous-traitance au contrat type location avec conducteur. « Cette activité relève de pratiques spécifiques qui n'ont rien à voir avec les situations de sous-traitance, précise, sous le sceau de l'anonymat, un loueur. Confondre les deux amènerait à la fin de la location avec conducteur en France. »