Dès l'été 2003, transporteurs et conducteurs routiers devront pouvoir acquérir les cartes à puces nécessaires à l'utilisation du chronotachygraphe électronique. Si le calendrier fixé par les Quinze est respecté, cette phase anticipera de quelques mois l'obligation d'équipement des véhicules prévue à l'automne suivant. L'opération s'effectuera à l'initiative des Etats membres. En France, c'est un centre de gestion national (cf encadré) qui s'occupera de l'instruction des demandes, de la délivrance et de la gestion des cartes. Par délégation de service public, cet organisme prendra en charge toutes les opérations, du traitement avec les fournisseurs de cartes brutes à l'encaissement des paiements auprès des utilisateurs. Du budget qui lui sera nécessaire pour assurer son équilibre financier dépendra le prix de vente des cartes valables cinq ans. Directeur des transports terrestres, Hubert du Mesnil avance une première estimation de l'ordre de 40 à 50 euros à l'unité: « ramené à la prestation, ça ne fait pas très cher payé pour un dispositif qui s'inscrit parfaitement dans la culture du temps compté et payé à l'entreprise comme au conducteur » évalue-t-il.
Au total, plus de 800 000 cartes devraient être injectées dans le circuit. Le plus gros morceau est constitué par celles destinées aux conducteurs : 600 000 à 700 000 sont prévues afin d'assurer la montée en puissance du dispositif au fur et à mesure de l'équipement des véhicules. Elles seront délivrées sur demande à tout titulaire du permis de conduire poids lourd, même en l'absence de contrat de travail avec une entreprise de transport. Seules seront vérifiées au préalable la détention du permis et l'absence de délivrance antérieure ou dans un autre Etat membre. Rien n'empêchera en effet un conducteur salarié d'une entreprise belge ou allemande de « prendre » sa carte en France. Personnalisée d'une photo, cette dernière mémorise pendant 28 jours l'activité de son titulaire quel que soit le poids lourds conduit, l'identité du véhicule pris en charge, la distance parcourue. En revanche, sa lecture ne permet pas d'accéder à des informations telles que le nombre de points retirés sur le permis de conduire, la détention des formations obligatoires ou les « antécédents » de son propriétaire.
Parallèlement, 100 000 cartes « entreprise » seront mises à disposition des employeurs afin qu'ils puissent lire les données collectées dans l'unité de mémoire intégrée au véhicule. Ce stock imposant doit permettre aux transporteurs d'en utiliser plusieurs si leur mode d'organisation le nécessite. La possibilité leur sera en effet donnée d'en confier à leurs personnels en grand déplacement de manière à ce que ces derniers opèrent le déchargement de leur propre carte dans la mémoire « véhicule ». Par la sécurisation du système, cette formule ne peut entraîner de fraude, assure le ministère. De même, la carte vise à garantir un accès confidentiel aux données. Ainsi, en location de véhicules avec conducteur, pourront être déchargées les seules données relatives à chacun des locataires du poids lourd. La mémoire « véhicule » enregistre pendant 365 jours l'identité du ou des membres de l'équipage, le statut de conduite (conducteur simple ou en double équipage) - « ce n'est pas le nouveau chronotachygraphe qui empêchera de recourir à ce mode d'organisation » -, les activités effectuées par le ou les conducteurs, la distance parcourue, la vitesse sur les 24 dernières heures d'utilisation du véhicule et les éventuelles anomalies de fonctionnement de l'appareil de contrôle. A ce flux de cartes s'ajoutera celles réservées aux corps de contrôle (15 000 unités) et aux ateliers agréés pour l'installation des appareils (1 000).
En attendant la généralisation des nouveaux matériels, les entreprises et les contrôleurs devront jongler avec l'ancien et le nouveau dispositif. Cette dualité « qui ne sera pas facile à assumer », la DTT la prévoit néanmoins de courte durée. « Beaucoup de transporteurs devraient basculer en une seule fois et rapidement au tachygraphe électronique, avance Hubert du Mesnil. Ils comprendront rapidement leur intérêt de bénéficier de ses avantages ». On ne saurait être plus positif...
Commandées auprès du centre de gestion, les cartes seront adressées par voie postale en recommandé. Les entreprises les retireront à leur bureau de Poste après réception d'un avis de disponibilité. Toutefois, l'administration - qui craint peut-être les aléas du courrier - dit également envisager une remise par un réseau de guichets. Tel est d'ailleurs le choix opéré par l'Italie qui confiera la délivrance des cartes à ses Chambres de commerce. L'Angleterre s'oriente vers la création d'une agence spécifique tandis que les services du ministère des Transports néerlandais agiront en direct. En Allemagne et Autriche, chaque Etat fédéré assumera la responsabilité de cette opération avec un fichier centralisé. Et la moitié des Etats ne savent pas encore comment ils procéderont. Au total, ce sont 7 millions de cartes « conducteur » et 1 million de cartes « entreprise » qui circuleront à l'échelle européenne, la Norvège, la Suisse et le Liechtenstein ayant annoncé leur intention de s'associer aux Quinze. C'est un vaste marché que le constructeur allemand de chronotachygraphes VDO-Kienzle verrait bien associé à la fourniture de l'appareil. D'où l'inquiétude manifestée par TLF (fédération des entreprises de transport et logistique de France) et la CFDT qui évoquent les risques liés à d'éventuelles tentatives monopolistiques. C'est aussi un volume en rapport avec l'ampleur de cette réforme qualifiée par la DTT de « premier vrai projet européen pour les transports ».
Délivrer et gérer quelque 800 000 cartes à puces nécessitées par le chronotachygraphe électronique, c'est un marché conséquent qu'offre à un organisme privé ou public le ministère des Transports. Lequel a lancé, le 22 mars, un avis de délégation de service public pour bâtir son centre de gestion national. Un appel d'offres est paru dans la presse économique parallèlement à sa publication au Bulletin officiel des annonces des marchés publics (BOAMP). Cette procédure de consultation « permet toutes les possibilités y compris celle d'une candidature d'un organisme associant les professionnels du transport ou mis en place par eux à cette occasion » souligne la Direction des Transports Terrestres. « Vraisemblablement, cette structure devra être créée », avance son directeur. « Nous veillerons à ce qu'elle reste bien dans l'esprit du service public », souligne Hubert Du Mesnil, en émettant le souhait qu'elle puisse s'appuyer sur une alliance tripartite entre l'Administration, les entreprises et les organisations syndicales. Mission assignée au délégataire : traiter avec les fournisseurs de cartes vierges et les sociétés chargées de les personnaliser ; recevoir et instruire les demandes de cartes initiales, de renouvellement et de remplacement ; veiller à leur bon acheminement par voie postale auprès des utilisateurs. Il mettra à la disposition des corps de contrôle les informations nominatives et statistiques issues de leur lecture et assurera la coordination avec les autorités responsables des autres pays membres. Il percevra des usagers le prix des prestations liées à la délivrance des cartes et répondra à leurs éventuelles demandes de renseignement et réclamations.