Réduction du temps de travail aidant, les entreprises d'intérim se portent à merveille avec une augmentation moyenne de 20 % tous métiers confondus sur l'année 2000. La plupart des secteurs de l'économie font appel aux services des spécialistes du travail temporaire, le transport et les activités logistiques ne font pas exception à la règle.
Le nombre de « commandes de missions » émanant des grands du transport et de la logistique a augmenté de 30 % en 2000 par rapport à l'année précédente. On avance le chiffre de 40 % pour l'ensemble du secteur routier quelle que soit la taille des entreprises. De février 99 à février 2000, selon la Dares, direction de l'analyse, de la recherche et des études statistiques au ministère du Transport, l'intérim représenterait l'équivalent de 32 000 emplois pleins sur les 520 000 emplois recensés dans le transport. Ce qui situe les transports au troisième rang des secteurs consommateurs de personnels de travail temporaire, après le BTP et la métallurgie, mais avant le secteur du commerce. Par ailleurs, le phénomène de pénurie en matière de conducteurs routiers se combine aujourd'hui avec une explosion exponentielle de la demande de personnel roulant auprès des agences d'intérim spécialisées.
Cette situation ne date pas d'aujourd'hui, sociétés d'interim et professionnels en ressentent les effets depuis quatre à cinq ans. La réduction du temps de travail dans le transport routier fait office de facteur aggravant qui vient s'additionner à la désaffection que rencontre le métier auprès des jeunes. Une enquête de l'Insee reprise par l'observatoire chargé de suivre la mise en place de la réduction du temps de travail dans le transport chiffrait à 2,8 h la diminution pour l'ensemble des conducteurs routiers de marchandises sur le premier semestre de l'année 2000.
La réduction du temps de travail semble donc faire l'objet d'efforts notoires de la part des entreprises. Le recours aux services des entreprises d'intérim se multiplie provoquant du même coup un changement d'attitude de la part de certains dirigeants du transport routier qui voient ce type de service d'un oeil nouveau et l'envisagent comme palliatif régulier. Des sociétés comme Adecco et Manpower se targuent, aujourd'hui, de mettre quotidiennement plus de 9 500 conducteurs sur les routes à elles deux...Ce qui en fait peut-être les premières entreprises de transport routier de France par le nombre de conducteurs !
Ayant rapidement analysé le potentiel qu'elles pouvaient tirer de cette situation, les entreprises spécialisées ont développé une stratégie orientée vers le secteur transport. Adecco qui avait créé 10 agences spécialisées dans les métiers du transport et de la logistique, il y a une dizaine d'années, en compte plus de 70 aujourd'hui. De son côté Manpower affiche 40 agences exclusivement dédiées aux métiers du transport et une centaine qui traitent des effectifs de conducteurs avec un personnel spécialisé. Les raisons du succès rencontré par les sociétés d'intérim dans le transport routier de marchandises tiennent principalement à des raisons structurelles en tête desquelles figurent les aléas que connaît le marché du transport dans ses activités et le fort besoin de flexibilité qu'ils engendrent.
D'autre part, un goût de plus en plus prononcé pour le travail en intérim, notamment chez les jeunes, est une composante nouvelle qui favorise son développement. Le travail temporaire est, aujourd'hui, une alternative plus attrayante que l'ANPE... Jérôme Musin, responsable grands comptes chez Manpower, estime que cette tendance à une grande chance de perdurer « dans la mesure où, désormais, une majorité des nouveaux conducteurs considèrent cette activité comme un épisode passager mais normal dans leur parcours professionnel ».
Cependant, les sociétés de travail temporaire n'échappent pas à la pénurie de conducteurs routiers bien que Jean Charles Fortier responsable de clientèle Transport et Logistique chez Adecco appréhende le phénomène différemment des professionnels : « les transporteurs routiers connaissent une désaffection des conducteurs. En ce qui nous concerne, nous avons à gérer une plus grande tension au niveau du recrutement ». Une distinction qui peut paraître subtile mais qui traduit une réalité : l'intérim séduit un nombre croissant de salariés. Il faut en effet noter, que sur le plan juridique, c'est l'intérimaire qui dispose du droit de choisir l'entreprise qui va l'accueillir, il a le pouvoir de refuser une proposition de mission et la conjoncture actuelle le conduit à se trouver en position de force.
De son côté, Jérôme Musin ne réfute pas la pénurie. Tout en précisant qu'elle ne concerne pas que la France mais s'étend à l'ensemble des pays européens. Le phénomène sévit même outre-Atlantique, « le gouvernement canadien ne lance-t-il pas une opération officielle dont l'objectif est d'attirer 2400 conducteurs routiers français que pourraient séduire les grands espaces ? »
Pourtant, bien que le nombre de conducteurs routiers gérés par les entreprises d'intérim augmente chaque année, cette croissance est moins rapide que celle de la demande. « L'écart se creuse et la pénurie va s'accroître sensiblement dans les années à venir, il s'agit d'un phénomène durable », reconnaît Jérôme Musin. Aussi, la difficulté qu'éprouvent les sociétés de travail temporaire à suivre la demande les incite à gérer de plus en plus finement leurs ressources et leurs recrutements, ce qui les a conduit à mettre en place une véritable stratégie de management.
Au delà de cette difficulté de recrutement, l'interim dispose par ailleurs d'atouts qui lui sont propres. C'est ainsi que les intérimaires salariés de sociétés de l'importance de Manpower ou d'Adecco bénéficient d'avantages équivalents à ceux des personnels permanents comme le comité d'entreprise.
D'autre part, chez Manpower, ils disposent d'un accès libre à une formation en ligne très complète dans tous les métiers y compris sur des progiciels SAP ! Chez Adecco les intérimaires bénéficient d'un intéressement aux résultats. Par ailleurs la diversité des entreprises utilisatrices multiplient les spécialités à l'intérieur du métier ce qui ouvre de larges possibilités d'adaptation et de changement pour chaque intérimaire.
« Pour obtenir une bonne productivité, il doit se produire une véritable osmose entre les trois composantes d'un contrat d'intérim, le client utilisateur, l'intérimaire et l'agence de recrutement », explique Patrice Baudouin, coordinateur Transports chez Adecco. Ainsi l'intérêt du travailleur temporaire et celui de son employeur doivent se combiner : « nous n'hésitons pas à former nos intérimaires pour qu'ils acquièrent une certaine polyvalence qui leur permet une rotation dans l'accomplissement des missions », indique Jean-Charles Fortier.
À l'instar du conducteur classique qui est souvent sollicité par les clients habituels, lesquels apprécient de travailler avec un conducteur qu'ils connaissent, le conducteur intérimaire est très souvent choisi par l'utilisateur saisonnier lorsque celui-ci a donné satisfaction. Ces éléments confèrent au métier de conducteur routier intérimaire un attrait non négligeable d'autant que la rémunération moyenne est supérieure à celle habituellement pratiquée par les transporteurs. Le cumul de ces avantages permet en outre aux sociétés de travail temporaire de fidéliser une partie de leur population d'intérimaires.
S'il existe une ombre au tableau, elle réside dans la rémunération. Pour les intérimaires, en général, elle s'établit à partir du salaire de base. Ile ne pourra bénéficier que rarement de l'ancienneté à laquelle il peut prétendre dans l'entreprise qui utilise ses services et il lui est difficile de faire valoir un échelon particulier.
« L'accueil, en général, et les facilités d'intégration qu'offre l'entreprise, sont particulièrement importants.Un intérimaire qui ne parvient pas à s'intégrer ne reviendra jamais. Il choisit de se rendre là où il sera le mieux payé et le mieux accueilli. Cet aspect est d'autant plus sensible qu'il s'agit d'une population relativement volatile ». Un élément qui s'ajoute aux conditions objectives du marché pour faire dire à Jérôme Musin : « aujourd'hui les intérimaires font et défont le marché et ils le savent », « actuellement l'intérimaire mène jeu », renchérit Jean-Charles Fortier. Mais les sociétés d'intérim constatent qu'un véritable tutorat spontané se met en place dans certaines agences, les « anciens » qui connaissent le bassin d'emploi se chargeant d'apporter les informations et de renseigne.
La capillarité du réseau des agences de sociétés d'intérim constitue un outil de recrutement efficace au niveau national. La gestion fine du fichier national, tous métiers confondus, par les sociétés d'intérim représente une autre source exploitable. Les sociétés d'intérim se disent conscientes de l'importance de leur responsabilité « publique » aussi ne négligent-elles pas les mesures de sélection appropriées au moment du recrutement.
Manpower utilise un test vidéo qui place le conducteur en situation « réelle » de façon à évaluer son comportement face aux diverses situations auxquelles il sera confronté lors d'une mission. Sur le même registre Adecco fait passer un test « expert » de sensibilisation à la sécurité. « Nous avons une obligation de moyens auprès de notre client, nous y ajoutons une obligation de sécurité », commente Jean-Charles Fortier. Ces deux responsables mettent également en avant les efforts que leurs sociétés respectives consentent dans le domaine de la formation. L'une et l'autre mettent en chantier des contrats de qualification, des formations permis EC et Fimo, soit de leur propre initiative, soit à la demande de certains clients.
Du côté de l'utilisateur, le discours présente évidemment quelques différences. Il varie également selon les spécialités pratiquées et la taille de l'entreprise. « Nous faisons appel aux sociétés de travail temporaire avec lesquelles nous passons des contrats nationaux et diffusés par sites », souligne Jean-Michel Pohu, DRH de Giraud international.
Néanmoins les responsables transports et logistiques du groupe se livrent à une réflexion sur ce thème avec pour objectif de répondre aux besoins par des actions internes (formations, partenariats avec des écoles...) plutôt que de faire appel à l'intérim. « La réponse apportée par les sociétés de travail temporaire ne correspond pas à 100 % de nos besoins et le service en souffre. Nous n'ignorons pas que les contraintes extérieures propres aux métiers du transport y sont pour beaucoup »,poursuit Jean-Michel Pohu.
En effet le pic de demandes culmine de mai à septembre pour l'ensemble de la profession. D'autre part dans la majorité des cas il est nécessaire d'effectuer une formation de l'intérimaire avant de le rendre totalement opérationnel. Enfin, si l'intérimaire demeure un certain temps au sein de l'entreprise, il est indispensable qu'il puisse faire preuve de polyvalence. Il n'en demeure pas moins que le travail temporaire dans le secteur du transport semble encore appelé à se développer, compte tenu de facteurs devenus structurels: la difficulté de recrutement et la réduction du temps de travail... Même si l'interim ne peut satisfaire toute le monde, en quantité et en qualité.
Très impliquées, désormais, dans le secteur du transport et de la logistique en raison des besoins croissants, les sociétés d'interim incluent dans leurs stratégie de développement l'élargissement de la palette des métiers proposés.
Même si le plus fort potentiel reste le métier de chauffeur, elles proposent également du personnel d'entretien, de manutention, des administratifs et des commerciaux et du personnel d'encadrement.
Le marché français tous secteurs confondus représente 140 000 intérimaires/jour. Les métiers du transport et de la logistique pèsent pour 50 000 intérimaires dont 15 000 pour les seuls conducteurs routiers. La profession du transport routier évalue le nombre de conducteurs manquants à 30 000.