Agé de quarante-huit ans, marié, père de trois enfants, Bernard Prolongeau est un homme dynamique à la carrière bien remplie. Diplômé de l'Ecole Polytechnique et de l'Ecole Nationale des Ponts et Chaussées, il appartient à la longue lignée des hommes de ce corps qui se sont investis dans la fonction publique et, notamment, le transport.
Au cours des premières années d'activité, en effet, il intègre la direction de l'Equipement où il occupera successivement divers postes administratifs de 1977 à 1985. A cette date, il est détaché auprès de la Région des Pays de Loire où il assurera la fonction de directeur général adjoint des services. Six ans plus tard, il est déjà pressenti pour occuper de hautes fonctions à l'Association pour la Formation dans les Transports (AFT) et intègre cette association en qualité de délégué général adjoint, directement aux côtés du président de l'époque. En 1998, quand Jacques Trorial,- par ailleurs président du Port Autonome de Paris et président de l'association des Ports de France- quitte la présidence de l'AFT devenue entre temps Groupe AFT/Iftim, Bernard Prolongeau prend naturellement sa succession.
Il occupe aujourd'hui de nombreuses fonctions liées à ce titre, notamment dans le secteur de la formation professionnelle : vice-président de la Commission Pédagogique Nationale des IUT de Transport et Logistique, vice-président de l'Institut International pour le Management en Logistique. Bernard Prolongeau est également membre du Cercle des Transports, membre de la commission professionnelle consultative Transport-Manutention auprès du ministère de l'Education nationale, membre du conseil des études de l'Ecole Supérieure des Transports et vice-président de la commission consultative Transport, commerce et services auprès du ministère de l'Emploi.
Autant de titres qui font de Bernard Prolongeau l'interlocuteur privilégié pour évoquer et analyser les problèmes de recrutement - et de formation qui lui sont étroitement liés - que rencontrent aujourd'hui les entreprises de transport. Un constat tout d'abord : le secteur des transports n'est pas le seul affecté par la pénurie d'emplois...un terme qu'il estime pourtant inapproprié.
Officiel des Transporteurs Magazine : Le recrutement de conducteurs est, actuellement, le problème principal des transporteurs routiers. Selon vous, quelles sont les raisons de cette pénurie ? Comment les interprétez vous?
Bernard Prolongeau : Tout d'abord, le terme de pénurie me paraît un peu exagéré. Certes, les entreprises de transport routier connaissent des difficultés sérieuses pour embaucher et un certain nombre d'entre elles ont été obligées de laisser une partie de leurs véhicules sur parc, cet été, parce qu'elle manquaient effectivement de conducteurs. En fait, le problème réel auquel sont confrontés les employeurs est un allongement de la durée de recherche. D'autre part, il faut noter que les difficultés de recrutement ne sont pas propres à notre pays. La situation est générale et affecte y compris l'Amérique du Nord où transporteurs des Etats-unis et Canadiens ont également des difficultés à recruter des conducteurs. Il s'agit là d'un phénomène passablement lourd.
Parallèlement, en France, aujourd'hui, tous les secteurs ont des difficultés à recruter car on assiste à une concurrence inter branches ce qui est une situation nouvelle. Tous les métiers sont à la recherche de personnel et, malheureusement, nous arriverons à une situation où tous les secteurs économiques auront du mal à recruter car, à la base, se pose un phénomène démographique.
Par ailleurs, la situation est particulièrement difficile à appréhender dans sa globalité. On ne sait pas précisément quel est actuellement le déficit en matière de conducteurs routiers. Nous n'avons pas affaire à un marché national uniforme. Nous sommes confrontés à une somme de marchés régionaux additionnés et les situations sont différentes dans chaque région.
OTM : Cette pénurie était-elle prévisible ?
B.P. : Aujourd'hui, il paraît facile de dire que cette situation était prévisible. Le fait est, pourtant, que nous avons commencé à ressentir les premières difficultés de recrutement il y a, environ, trois ans. Nous avons immédiatement lancé des opérations de sensibilisation. Mais qui aurait pu dire, avant cette période, que les transporteurs rencontreraient les difficultés auxquelles ils sont actuellement en butte ? Depuis 15 ans, en France, le secteur des transports et de la logistique a été nettement créateur d'emplois. Si l'on s'en tient aux statistiques récentes, les effectifs sont passés de 350 000 à plus de 500 000, soit une augmentation de près de 50 %.
OTM: en conséquence, quelles sont les actions entreprises par le Groupe AFT-Iftim pour tenter de résoudre ces problèmes?
B.P: Actuellement, la plupart de nos actions sont orientées vers les jeunes afin de leur faire découvrir les métiers du transport. Tout d'abord, nous avons choisi de mener des actions de proximité. Dans chaque région, nous avons mis en place un service « emploi-formation » qui peut être contacté grâce à un numéro indigo. Les appels sont orientés vers un interlocuteur chargé de fournir toutes les indications, de juger de la capacité du postulant et d'enregistrer sa candidature à des journées d'informations qui sont organisées en parallèle.
Pour aller également au-devant des jeunes, nous organisons des rencontres en partenariat avec l'Education Nationale, nous participons à des forums, à des salons. Nous avons ainsi programmé plus de 300 réunions chaque année.
L'objectif de ces actions est de faire découvrir aux jeunes une profession dont on se rend compte tous les jours qu'elle est très mal connue. La plupart des gens ne l'appréhendent qu'au travers du conducteur routier, mais ils ignorent souvent les 14 catégories de métiers qu'elle englobe.
En parallèle des opérations qui sont menées auprès de la population scolarisée, nous avons entamé une étroite collaboration avec l'armée. On dit généralement que la profession va être coupée de ses sources habituelles de recrutement en raison de la fin du service militaire obligatoire. Or c'est exactement le contraire qui se produit. Les différentes armes vont recruter des jeunes qui vont recevoir une formation mais que l'armée ne conservera que quelques années. Il faudra donc, par la suite, assurer leur reconversion.
Nous avons contacté les différentes armes, marine, armée de l'air, armée de terre et gendarmerie, aux responsables desquels nous avons présenté les possibilités de reclassement que pouvait offrir le secteur des transports. Les premiers contingents qui vont représenter environ 20 000 personnes vont arriver sur le marché du travail à partir de 2002 ce qui offrira, à nouveau, aux entreprises de larges possibilités de recrutement.
Troisième volet de notre action : nous réfléchissons à la demande des professionnels afin d'explorer des pistes qui étaient jusqu'alors inexploitées. Ainsi, en raison de la raréfaction générale du marché de l'emploi, nous recherchons des candidats dont les profils, antérieurement, ne répondaient pas aux critères sélectifs des entreprises. Avec la profession, nous allons être conduits à effectuer des actions conjointes sur le terrain de la réinsertion sociale afin d'amener au transport, et en les préparant, des gens qui ne présentaient pas, d'emblée, les qualités requises. Nous nous appuyons pour cela sur tous les réseaux associatifs locaux, les conseils généraux, etc, et c'est ce dernier volet que nous mettons actuellement en place.
OTM : Existe-t-il d'autres métiers que celui de conducteur qui, dans le transport connaissent les mêmes difficultés ou qui risquent de les connaître si les entreprises n'y prennent pas garde?
B.P: Problème de recrutement se pose en effet dans la plupart des métiers du transport. A titre d'exemple, nous avons organisé, le mois dernier, en collaboration avec le Snagfa, une journée d'information sur les métiers qui sont liés au transit aérien car cette profession connaît également ces mêmes problèmes.