«Savam Groupe Dentressangle, bonjour... » A Soissons, siège de la Savam, le standard téléphonique était déjà prêt le 15 janvier, jour de l'annonce officielle de la vente de l'entreprise au groupe Norbert Dentressangle. Annoncée dans nos colonnes le 6 janvier, l'opération a été signée le 12 janvier. Aux 5,3 milliards de francs de chiffre d'affaires consolidé qu'il a prévu de réaliser en 2000, le groupe de Saint-Vallier ajoute ainsi 500 millions de francs, acquis en déboursant environ 50 millions de francs. Il devient le numéro un incontesté du grand volume en France et l'un des leaders européens de la spécialité, aux côtés du Néerlandais Harry Vos et de l'Allemand Westermann, seuls concurrents qu'il se reconnaît. Chacune de ces trois entreprises prétend exploiter environ un millier de véhicules « grand volume ». Le Français ajoute désormais aux 400 porteurs remorqueurs dont il disposait déjà, les 600 véhicules de la Savam. Parmi ces derniers figurent 70 porteurs solos, 100 ensembles semi-remorques et 400 porteurs remorqueurs. Une flotte confiée à 680 salariés, ainsi qu'à une centaine d'affrétés « régulièrement inscrits au registre des transporteurs et dont les contrats ne sont pas exclusifs », précise Bernard Dumas, directeur général de Savam. Ce dernier ajoute que son entreprise respecte les règles européennes et françaises, notamment en matière sociale. « Nos conducteurs grands routiers travaillent 210 heures par mois en moyenne et sont assurés d'être payés sur un minimum de 200 ». Une exception française qui ne s'applique pas aux routiers salariés (chiffre non communiqué) de ses deux filiales européennes, Initial Savam Lux, au Luxembourg et United Transport Logistic en Espagne. Au Portugal, en Italie et en Grande-Bretagne, les implantations de Savam se limitent à des bureaux commerciaux ou d'affrètement, dont certains devraient fusionner rapidement avec les bases de Norbert Dentressangle, en particulier Outre-Manche. En France, Savam est installée depuis sa création en 1962, à Soissons. Elle contrôle également les Transports Hardy (44), dont les 30 millions de francs de chiffre d'affaires annuel sont réalisés en traction et distribution pour le compte de La Poste, dans l'ouest.
Pour son dernier exercice clos en 1999, Savam affiche 450 millions de francs de chiffre d'affaires. Elle jouit, selon Norbert Dentressangle, d'une « rentabilité satisfaisante », autrement dit environ 5 % de résultat net avant impôts par rapport au chiffre d'affaires. Cette performance financière explique, selon Bernard Dumas, que Savam a été une des dernières, « voire la dernière » des filiales vendues par le groupe britannique Rentil, dans le cadre d'une stratégie de recentrage sur les services aux entreprises.
Ces mêmes bons résultats ont-ils suffi à convaincre l'acheteur de réaliser une opération « dans de très bonnes conditions financières » ? Pour Thierry Leduc, porte-parole du groupe Norbert Dentressangle, l'opportunité du rachat s'imposait d'autant plus que « les financiers ne se bousculent pas aujourd'hui pour investir dans le transport routier », trop exposé aux variations erratiques du cours du baril de pétrole. A l'annonce du rachat de la Savam, les analystes de la place de Paris se sont d'ailleurs montrés assez réservés. D'autant que ce rachat rompt avec la stratégie jusqu'alors affichée par Norbert Dentressangle de se développer dans la logistique. Au sein de la Savam, on ne trouve pas le moindre mètre carré d'entrepôt. Et Bernard Dumas assure que son nouvel actionnaire est un des rares groupes français à croire encore que le transport routier peut avoir une rentabilité « à terme ». Opportunisme ou revirement stratégique? Toujours est-il que, après le retrait du groupe Giraud, dont Sebban semble digérer avec difficultés le rachat des activités grand volume, après la signature d'un accord commercial entre Westermann et la pme française Cordier, Norbert Dentressangle mise sur un créneau qui lui promet de nombreux flux de jouets, meubles, emballages ou encore produits d'hygiène. Autant de marchandises dont la consommation et par conséquent la distribution sont actuellement portées par la bonne santé de l'économie européenne. Outre ses promesses de croissance, le marché du grand volume est aussi en pleine restructuration. Ainsi, « nous sommes contactés pour racheter de nombreuses entreprises de 70 à 200 millions de francs de chiffre d'affaires annuel », assure Thierry Rabier, P-dg du groupe Bréger Organisation Services, à Saint-Berthevin (53). Ce dernier figure aujourd'hui, avec 600 millions de francs de chiffre d'affaires annuel et environ 650 ensembles routiers spécialisés, comme le numéro deux français du grand volume, après Norbert Dentressangle.
Un classement provisoire qui exclut le milliard de francs de chiffre d'affaires qu'espérait cumuler le groupement de pme Réseau Europ Volume (REV). Ce GIE a été créé en novembre dernier, à Soissons, par huit entreprises indépendantes, dont... la Savam. Bernard Dumas, vice-président de REV, ne cache pas que « la Savam était la locomotive de ce groupement, pour permettre aux autres adhérents d'avoir accès à des appels d'offres européens. Aujourd'hui, la locomotive est plus grosse. La question de notre maintien ou non est effectivement posée. Mais aucun élément des statuts de REV ne prévoit l'exclusion d'un adhérent si il est racheté». Une réunion du conseil d'administration de REV, prévue le 17 janvier, devait statuer sur ce point. Norbert Dentressangle aurait également son mot à dire. « Cela fait partie des sujets à traiter pendant la période d'intégration de la Savam », reconnaît Thierry Leduc. Francis Triart, président de REV et P-dg de Gorron Fret, rappelle que les statuts du GIE en interdisent l'entrée à une entreprise membre d'un autre groupement ou filiale d'un groupe. Quant à la sortie, seule une cession suite à un redressement judiciaire peut provoquer l'exclusion d'un adhérent. Selon les statuts, la Savam, filiale de Norbert Dentressangle, peut donc rester membre de REV. Comme les six autres fondateurs du groupement (Braun Transports, Doumen, Grimonprez, Lamy, Trans Bretagne et Transports Rapides du Maine), Francis Triart attend donc des explications de la part de Bernard Dumas. Aucun de ces chefs d'entreprise n'ignorait que la Savam était en vente lors de la création de REV. Tous ont signé les statuts. Certains ont peut-être misé sur une vente de leur propre entreprise. D'autres s'estiment trompés, voire manipulés. Les uns seront sans doute favorables à la poursuite du REV avec Norbert Dentressangle. Les autres demanderont probablement l'exclusion de la Savam, quitte à provoquer la dissolution du GIE. Celui-ci a pourtant entamé son premier exercice comptable le 1er janvier. Dès le 8, selon Francis Triart, une bourse de fret interne a été ouverte. Et, comme c'est la règle dans la plupart des groupements, les adhérents ont échangé informations commerciales et d'exploitation. Celles-ci peuvent avoir été transmises par la Savam à son nouvel actionnaire. Auquel cas Norbert Dentressangle devient non seulement le numéro un français du transport routier de marchandises volumineuses, mais il en déstabilise également quelques-uns des acteurs secondaires, tout en en freinant une éventuelle réorganisation du marché. De quoi s'accorder quelques mois de tranquillité. Reste à savoir si les chargeurs seront dupes de ce rêve brisé.